19 octobre 2000 |
Le métier de chercheur est un long calvaire: stress, pression, exigences de performance, compétition de tous les instants, évaluation permanente de la part des étudiants, des pairs, des supérieurs et des organismes subventionnaires. Publier ou mourir. La jungle, quoi. Au point où on se demande pourquoi des êtres apparemment sains d'esprit s'engagent dans cette voie. Mais la réponse est simple si on en juge par les propos des six professeurs qui ont participé à la table ronde sur le métier de chercheur, présentée dans le cadre du Mois des découvertes en santé: les chercheurs sont de grands curieux!
La passion d'abord
"La curiosité, l'ouverture aux autres domaines,
la persévérance, l'esprit d'innovation et l'habileté
à communiquer sa pensée sont des qualités
indispensables aux chercheurs, a résumé Frédéric
Sériès, du Centre de recherche de l'Hôpital
Laval. Et une chose est certaine, on ne s'ennuie jamais."
À la fois pneumologue clinicien et chercheur, ce professeur
de la Faculté de médecine partage son temps entre
ses patients, ses étudiants et son laboratoire. Même
si ces multiples activités le contraignent à une
gymnastique de gestion du temps, il ne saurait être question
pour lui d'abandonner l'une d'elles.
Même son de cloche du côté de Sylvie Dodin,
gynécologue à qui la recherche a ouvert la porte
du doute. "Lorsque j'ai terminé mon cours en médecine,
je croyais que je savais tout, avoue-t-elle. La recherche m'a
appris à me poser des questions sur ma pratique clinique.
Mais, rencontrer des patients est encore important pour moi parce
que ça compense pour les frustrations de la recherche.
Comme chercheure, même à 45 ans, je suis encore évaluée
comme une enfant d'école et l'estime de soi prend parfois
de durs coups."
Stress sans détresse
Marie Audette, une biologiste de formation qui a délaissé
son amour de la nature pour répondre au chant de la recherche
médicale au cours de ses études supérieures,
confirme les propos de sa collègue. "Les déboires
d'un chercheur peuvent survenir en série et il est essentiel,
pour conserver sa santé mentale, de dissocier sa vie professionnelle
et sa vie personnelle. Il faut avoir un bon sens de l'humour pour
durer en recherche", estime la chercheure du Centre de recherche
du CHUL. Malgré tout, confie-t-elle, pas une seconde elle
n'a regretté son choix de carrière. "D'ailleurs,
c'est probablement la dernière fois de ma vie où
j'ai pris une décision sans éprouver le moindre
doute."
Pour vivre sereinement sa vie de chercheur, il faut développer
des stratégies d'adaptation au stress, constate Lise Filion,
psychologue, professeure en sciences infirmières et spécialiste
du stress, de la fatigue et de la douleur! "On fait continuellement
l'apprentissage de l'humilité parce qu'on est continuellement
évalué. Non seulement faut-il être curieux,
rigoureux et obsessif pour réussir en recherche mais il
faut aussi posséder une bonne santé pour encaisser
les coups durs."
Ceux qui survivent dans cette jungle y trouvent d'immenses gratifications. Car, malgré tout, ils font le plus beau métier du monde.
Artiste et businessman
François Doré, de l'École de psychologie,
estime qu'un chercheur doit posséder un savant mélange
de caractéristiques contradictoires. "Il doit croire
en lui au point d'être prétentieux, voire même
baveux, et avoir la modestie de reconnaître que la recherche
est une oeuvre collective. Il doit posséder la créativité
d'un artiste pour imaginer de nouvelles expériences et
la rigueur de l'homme d'affaires pour gérer son laboratoire.
Il doit avoir la vitesse du sprinter pour s'adapter aux changements
rapides qui surviennent et la patience et l'endurance du marathonien."
Michel Tremblay, du Centre de recherche en infectiologie, a mis
du temps à s'engager sur la voie de la recherche. D'ailleurs,
à en juger par son histoire, on pourrait croire qu'un rétrovirologue
est quelqu'un qui entreprend une carrière en virologie
à reculons! Son cheminement d'étudiant et d'étudiant-chercheur
est jalonné de pauses, de "jobines" à
droite et à gauche et de longs voyages à travers
le monde. "J'ai réalisé un jour que ce n'était
pas nécessaire d'être un génie pour être
chercheur, bien qu'un soupçon d'intelligence peut aider.
Il faut surtout travailler fort et être un peu insouciant
parce que c'est tellement compétitif et que nos laboratoires
sont de petites PME où travaillent des gens qui dépendent
de nous."
Ceux qui survivent dans cette jungle, comme les six participants
à la table ronde, y trouvent évidemment d'immenses
gratifications. Malgré toutes les frustrations qui jalonnent
leur vécu de chercheur, ils continuent jour après
jour à mettre l'épaule à la roue, mus par
la conviction profonde, mais rarement avouée, qu'ils font
le plus beau métier du monde.
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