19 octobre 2000 |
Si la Nature avait sa cérémonie de remise des
Oscars, ce serait sûrement un mâle qui remporterait
le prix de meilleur acteur de soutien pour son rôle dans
le reproduction. Pauvres mâles! La biologie leur a donné
la portion congrue dans le partage des responsabilités
sexuelles et, malgré l'apparente simplicité de leur
rôle, ils trouvent le moyen de jouer faux plus souvent qu'à
leur tour, au point où la science s'ingénue à
trouver de moyens de les court-circuiter.
Voilà le portrait plutôt triste du mâle qui
se dégage de la conférence des chercheurs Janice
Bailey et Robert Sullivan, du Centre de recherche en biologie
de la reproduction, présentée le 3 octobre au pavillon
Desjardins. Contrairement à ce qu'annonçait le titre
un peu primesautier de la présentation - "Pourquoi
les mâles ne pensent qu'à ça" -, l'auditoire
est reparti avec l'impression que la vie sous l'emprise de la
testostérone s'annonce moins rose que jamais.
F1 cellulaire
"Chez les mammifères, la femelle joue un rôle
beaucoup plus complexe que le mâle dans la reproduction,
a d'abord souligné Janice Bailey, une spécialiste
de la reproduction du porc et des bovins. La femelle produit des
gamètes, elle abrite l'oeuf au moment de la fécondation,
elle nourrit et protège le foetus pendant la grossesse,
elle donne naissance aux petits et elle leur prodigue des soins
par la suite. Le mâle, lui, produit des gamètes."
Ce rôle ingrat de simples producteurs de spermatozoïdes
est exacerbé dans les sociétés d'insectes
comme les abeilles où toutes les tâches essentielles
- reine et ouvrières - sont dévolues aux femelles.
Les mâles, eux, ne sont tolérés que pour copuler
avec une nouvelle reine; leur office accompli, ils meurent après
s'être arraché l'extrémité de l'abdomen
à la tâche. Les autres mâles sont chassés
de la ruche où, incapables de se nourrir seuls, ils attendent
la mort.
Ce n'est pas parce que la tâche à accomplir est simple
que ceux qui s'en acquittent le sont pour autant. Ainsi, Robert
Sullivan, spécialiste de la reproduction masculine, décrit
les spermatozoïdes comme des "bêtes complexes"
et des "mécaniques incroyables". Ces microscopiques
Formules 1 sont les cellules les plus différenciées
chez les mammifères, plus encore que les cellules nerveuses.
"Il existe 1397 protéines différentes à
la surface d'un spermatozoïde et il y en a moins de 20 dont
on connaît la fonction", souligne-t-il.
Autre exemple de complexité masculine, les organes génitaux
externes de l'homme sont munis d'un ingénieux système
de régulation thermique qui vise à maintenir la
température des testicules à environ 33 degrés
Celsius, la zone optimale pour la spermatogenèse. Les testicules
sont attachés à des muscles qui se tendent ou se
relâchent selon la température de l'abdomen "pour
éviter la surchauffe des amourettes", dit le chercheur.
De plus, un réseau d'artérioles et de veinules accolées
les unes aux autres fait office d'échangeur de chaleur
à contre-courant du flot sanguin pour maintenir la température
dans la zone idéale.
Le meilleur des mondes?
Cette belle mécanique connaît cependant des ratés.
"Quand tu as vu trois spermatozoïdes de hamster, tu
les as tous vus, atteste Robert Sullivan. Chez l'homme par contre,
environ 70 % des spermatozoïdes ont une forme anormale. Certains
sont microcéphales, d'autres macrocéphales ou hydrocéphales.
On en voit qui possèdent deux têtes ou deux flagelles,
d'autres sont totalement immobiles." La raison de ces difformités
est inconnue mais on pointe un doigt accusateur vers les vêtements
trop serrés, vers les toxines de l'environnement et vers
les plantes qui contiennent des substances similaires aux hormones
femelles. La densité des spermatozoïdes serait aussi
en baisse dans le sperme humain; depuis 20 ans, on assisterait
à un déclin annuel de 2 %.
Depuis 1984, les techniques d'analyse et de conservation du sperme
ont progressé au point où il est maintenant possible
de sexer la semence et de stocker du matériel génétique
mâle. La science a trouvé moyen de court-circuiter
le spermatozoïde en injectant directement le bagage génétique
mâle dans un ovule. Ces techniques peuvent être utilisées
pour de bonnes causes, comme la reproduction d'espèces
en voie de disparition, mais aussi à des fins moins transcendantes:
des femmes auraient été inséminées
avec du sperme prélevé sur leur défunt conjoint.
Selon Robert Sullivan, l'homme moderne a de bonnes raisons de
s'inquiéter. "Les progrès technologiques permettent
de court-circuiter la physiologie de l'homme pour permettre la
reproduction. Il faut réaliser que ce qui était
de la fiction dans le roman Le meilleur des mondes, écrit
par Aldous Huxley en 1946, est en voie de devenir réalité
aujourd'hui."
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