19 octobre 2000 |
QU'EST DEVENUE L'ASSURANCE-VIE A L'ECOLE D'ACTUARIAT?
Je suis outré. Outré de voir l'affront que
subit l'assurance-vie depuis une couple d'années à
l'École d'actuariat. Et je m'explique.
Jusqu'en 1998, il se donnait à l'École d'actuariat
deux cours de base en assurance-vie et en assurance IARD (pour
les non-initiés: IARD = toute assurance qui n'est pas "vie"
ou "invalidité"). Ces cours faisaient voir les
aspects pratiques de l'actuariat dans ces domaines et étaient
donnés par des praticiens de l'actuariat (dont moi, le
représentant de l'assurance-vie). Il fut décidé
qu'à partir de l'automne 1999, au lieu de donner un cours
"VIE" suivi d'un cours "IARD", les 2 matières
seraient fusionnées et redonnées via deux nouveaux
cours: VIE et IARD, aspects qualitatifs, et VIE et IARD, aspects
quantitatifs.
"Bad, bad idea". D'abord, j'étais contre cette
idée de refonte des deux cours parce que, pour donner l'un
ou l'autre cours, il faut connaître à fond les deux
sujets. Et je prétends qu'un actuaire ne peut être
"maître" dans les 2 deux domaines. Un spécialiste
VIE n'est pas un spécialiste IARD, et vice-versa. Or,
pour prodiguer les aspects pratiques de l'assurance-vie, il faut
un spécialiste VIE, et un spécialiste avec expérience.
Idem pour l'assurance IARD.
Le premier cours (qualitatif) fut donné par un spécialiste
IARD. Loin de moi l'idée de critiquer sa manière
d'enseigner, ou ses capacités. Au contraire, ledit professeur
fut très aimé. Mais le fait est qu'il a donné
l'équivalent de quatre semaines sur 12 en "VIE",
et de huit semaines en "IARD". L'assurance-vie fut
donc la perdante de ce premier round, ne serait-ce qu'au niveau
de la quantité.
Mais où le bât semble avoir blessé le plus,
c'est dans le deuxième cours, sensé montrer les
aspects quantitatifs pratiques des assurances VIE et IARD. Pour
être quantitatif, il le fut! Mais pour être pratique,
on repassera. Le second cours, donc, a couvert les aspects quantitatifs
pratiques VIE et IARD en environ deux semaines de cours (6 heures)
à la toute dernière semaine du trimestre. Des restants,
quoi! Le reste du cours fut un étalage de statistiques,
purement et simplement.
Je ne critique pas les qualités pédagogiques du
professeur, qui fut apprécié des étudiants.
La matière était solide et de qualité supérieure.
Je critique le fait que ce n'est plus de l'assurance-vie. Les
étudiants ont-ils appris ce qu'est l'assurance-vie dans
"la vraie vie"? Je regrette, mais je pense que non.
On a présumé, je suppose, que "Aspects quantitatifs
=Mathématiques d'assurances", et ça, ils ont
les cours de mathématiques d'assurance pour les voir à
fond.
Mais justement, l'aspect quantitatif de l'assurance-vie en première
année, ce n'est pas de la mathématique! Pas une
loi de Poisson, ou une inégalité de Chebychev.
C'est des chiffres, oui, ou, comme je l'appelais dans le temps,
de "l'arithmétique compliquée", oui.
Mais pas de la mathématique!
Les aspects quantitatifs du domaine "VIE", c'est plutôt
ceci (sans être exhaustif, loin de là): montrer à
l'étudiant de simples, mais réels, tableaux de primes
(assurance temporaire cinq ans, dix ans, 100 ans, universelle,
etc), pour qu'il ait une idée des ordres de grandeur de
primes; montrer à fond, avec chiffres à l'appui,
les deux assurances les plus courantes actuellement, et celles
qui sont appelées à devenir les deux seules formes
d'assurance-vie permanentes du futur, soit la Temporaire 100 ans
(T100) et l'assurance-vie universelle; montrer aux étudiants
le fonctionnement de l'assurance-vie permanente traditionnelle,
avec dividendes, achat d'assurance libérée, valeurs
de rachat garanties, et avec chiffres à l'appui; montrer
aux étudiants pourquoi l'assurance-vie permanent traditionnelle
est appelée à disparaître et à se faire
damer le pion par l'assurance-vie universelle; montrer avec des
chiffres comment on peut faire un produit intéressant,
la rente "dos-à-dos", en combinant une assurance-vie
T100 avec une rente viagère; montrer comment on peut faire
de la planification financière pour la retraite en combinant
les REER, l'assurance-vie universelle et le prêt bancaire
"assuré".
Peut-être l'étudiant qui lira cet article dira-t-il:
"Ouf, ça a l'air plate, ces sujets-là, une
chance que j'ai pas eu Chouinard". Peut-être, mais
c'est pas une raison pour ne pas montrer ce qu'est l'assurance-vie
dans la vraie vie. Si l'étudiant n'aime pas, tant mieux,
il saura la branche de l'actuariat où il ne se dirigera
pas!
Expliquer les sujets quantitatifs sans aborder le qualitatif,
c'est presque mission impossible. Et j'en reviens à l'idée
incongrue de mélanger les deux matières VIE et IARD
pour ensuite créer deux entités qualitative et quantitative.
Vouloir dissocier le quantitatif du qualitatif (du moins en assurance-vie),
c'est comme vouloir séparer le jaune d'uf du blanc d'uf
avant de faire une omelette. Aussi inutile que ridicule. Quand
j'enseigne la façon de tenir compte de la surmortalité
dans les taux de primes (=quantitatif), ça ne me tente
pas de faire un rappel sur les types de surmortalité (=qualitatif)
que j'aurais vus cinq mois avant. Les deux concepts vont de pair
et doivent se voir dans un même cours, pas le type de surmortalité
en octobre, et la façon de la traiter en mars, de grâce!
En somme, l'École d'actuariat se comporte un peu, dans
toute cette histoire, comme le directeur du programme sportif
de la Ville qui viserait à faire nager des enfants et qui
engagerait le meilleur professeur de plongée sous-marine
qui soit. Les enfants adoreront peut-être la plongée
sous-marine, mais ils n'auront pas appris à nager. Le programme
d'Actuariat a pris un virage récemment en mettant l'accent
beaucoup trop sur la mathématique, mais ce virage le fait
déraper, c'est-à-dire s'éloigner de ce qui
attend le futur diplomé actuaire dans le quotidien de la
pratique.
Bien sûr, on pourra changer la description des cours, et
y fourrer des statistiques plein la vue. Mais alors, l'assurance-vie
aura disparu. Si c'est çà qu'on veut à l'École
d'actuariat, qu'on le dise. Si on veut préparer l'étudiant
au nouvel examen 4 de la SOA (c'est bien ce qui circulait en coulisse,
en même temps que se donnait le deuxième cours?),
qu'on le dise. Mais qu'on dise aussi qu'on a supprimé,
assassiné, l'assurance-vie.
Si l'on change la vocation du cours, je n'aurai pas un mot à
dire à la défense de l'assurance-vie puisqu'on aura
décidé de ne plus l'enseigner dans ses aspects pratiques.
Mais j'aurai un mot à dire, par contre, sur la tangente
dangereuse qu'aura prise, et qu'a déjà prise, l'Ecole
d'actuariat de l'Université Laval: on s'éloigne
dangereusement de la pratique. Pour terminer, je retiens de cette
histoire que la "tour d'ivoire du grand savoir", comme
on dit dans le grand public dont je suis, semble entre bonnes
mains. Aurais-je dû dire "la tour aveugle du grand
savoir?".
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