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12 octobre 2000 ![]() |
La possibilité de créer une espèce humaine améliorée grâce à la biogénétique, l'informatique et la cybernétique ne fait pas l'unanimité et requerra, si elle se concrétise, une très grande prudence car les conséquences ne seront pas que positives.
Le Musée de la civilisation de Québec a présenté
la semaine dernière un débat public sur un thème
cher aux amateurs de science-fiction, celui du "post-humain".
Trois professeurs d'université ont fait part de leur point
de vue sur la question. Le modérateur Daniel Jacques, directeur
de la revue Argument, a d'abord demandé s'il est
raisonnable aujourd'hui de parler d'un dépassement de l'être
humain.
Un désir de jouissance
Pour le professeur de littérature à l'Université
Concordia, également auteur de l'essai Chair et métal,
Ollivier Dyens, le "post-humain" est surtout une nouvelle
façon de voir l'être humain. Il rappelle que les
machines ont permis de découvrir que le vivant est composé
de plusieurs réalités et que celui-ci est foncièrement
perméable et manipulable. Loin d'être une création
définie, qu'elle soit oeuvre de Dieu ou de la nature,
le vivant est quelque chose qui bouge, se transforme, s'adapte.
Selon le professeur de philosophie politique à l'Université
d'Ottawa, Daniel Tanguay, la tentation semble maintenant très
forte de vouloir transgresser les limites de notre condition humaine.
"Ces limites, soutient-il, font désormais figure d'irritants
et d'entraves à notre désir de jouissance."
Il soulève par ailleurs le risque de jouer à l'apprenti-sorcier.
"Nous avons tous, dit-il, plus ou moins conscience de cet
impératif qui vient du fond des temps et qui nous avertit
que l'être humain est à mi-chemin entre les bêtes
et les dieux. À trop vouloir jouer aux dieux, nous risquerions
de redevenir des bêtes."
Pour sa part, le professeur de biologie à l'Université
Laval, également auteur de l'ouvrage Le miroir du monde,
Cyrille Barrette, rappelle que l'humain fait de la manipulation
génétique avec les animaux domestiques et les végétaux
depuis 10 000 ans. Selon lui, il y a de fortes chances que surviennent
des effets pervers majeurs à la suite de manipulations
génétiques sur les humains, de la même manière
que nous avons, à une autre échelle, des problèmes
de surpopulation et de réchauffement planétaire.
Ces phénomènes sont des conséquences du progrès
amené par notre intelligence, progrès qui nous a
soustraits aux impératifs de la sélection naturelle.
Selon Cyrille Barrette, nous n'avons pas changé au point
de vue biologique depuis nos lointaines origines, il y a environ
100 000 ans. Il estime donc que les humains du futur nous ressembleront
beaucoup. Selon lui, un des défis de l'avenir reposera
sur notre capacité à survivre à notre intelligence
avec le corps et le cerveau de l'homme de Cro-Magnon.
Gagner et perdre
L'animateur a demandé si nous ne risquons pas de perdre
quelque chose de fondamental en allant vers le "post-humain".
Cyrille Barrette a répondu que plus une technique est performante,
plus les effets pervers sont imprévisibles et dommageables.
Pour lui, jouer dans le génome humain représente
une tâche extrêmement délicate et difficile.
Il insiste sur le fait que le corps humain est un ensemble complexe,
tout le contraire d'une improvisation.
Selon Daniel Tanguay, reconstruire l'espèce humaine constituerait
une menace pour l'essence même de l'homme, animal de langage
et de symboles. Il déclare que son choix personnel est
celui des grandeurs et misères de l'humain, des limites
de notre condition et de la tension nourricière entre le
corps et l'esprit. En outre, il se dit profondément inquiet
par le fantasme derrière le "post-humain", qui
efface la distance entre l'humain et la nature.
Ollivier Dyens indique que des scénarios cauchemardesques
seront inévitables dans une société "post-humaine".
"Mais cela fait des millénaires que ça se passe",
précise-t-il. Selon lui, les défis du futur seront
les mêmes qu'aujourd'hui: exploitation du faible par le
fort, violence, haine, etc. "Le "post-humain",
dit-il, oui, c'est dangereux. Mais oui, on va aussi gagner des
choses."
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