12 octobre 2000 |
Nul besoin d'être grand clerc pour constater l'effritement
inexorable que subit l'Église catholique au Québec,
confrontée à une diminution généralisée
de ses pratiquants et à l'effondrement des vocations religieuses.
Mais les sociologues Jean-Paul Montminy et Raymond Lemieux, tous
deux professeurs à l'Université Laval, ont voulu
aller au-delà de ces vérités convenues. Dans
l'ouvrage Le catholicisme québécois, qu'ils
viennent de publier dans la collection Diagnostic aux Éditions
de l'IQRC, ils posent un regard lucide sur la crise que subit
le catholicisme québécois, en tentant de l'expliquer
notamment par des raisons historiques. Petit coup d'il dans le
rétroviseur.
Lorsque les deux auteurs ont commencé à plancher sur leur sujet, ils se sont interrogés sur la période historique qu'ils devaient considérer. Fallait-il tracer un portrait du catholicisme au Québec depuis la fondation de la Nouvelle-France? Finalement, ils ont opté pour une histoire démarrant avec la Conquête anglaise en 1760, peut-être pour rappeler à leurs lecteurs que l'Église de cette époque n'a rien de l'institution puissante et arrogante qu'elle deviendra à la fin du XIXe siècle. Des centaines de prêtres choisissent alors, en effet, de rentrer en France. Il n'en reste que 137 en 1764 et leur nombre augmentera peu jusqu'en 1850.
"Finalement, si on étudie les faits historiques, on constate que sur 400 ans d'histoire, la domination de l'Église sur le Québec s'étend seulement sur une période de 75 ans, avance Jean-Paul Montminy. Le rôle de l'historien et du sociologue consiste à se retourner vers les documents pour relativiser les regards convenus." Tout au long de leur ouvrage, les deux chercheurs s'attachent à déboulonner quelques mythes à la vie tenace, comme celui de la grande noirceur, "fabriqué par la bourgeoisie des années soixante de la Révolution tranquille", pour reprendre les mots de Jean-Paul Montminy. "Il est odieux de juger des situations passées avec des yeux d'aujourd'hui", renchérit Raymond Lemieux.
Bouffer du curé
Refusant de se considérer comme des révisionnistes
façonnant l'histoire selon leur opinion, les auteurs veulent
simplement relativiser des idées reçues. "Nous
ne nions pas les formes excessives de l'encadrement religieux,
précise Raymond Lemieux, mais les Québécois
ont toujours fait la part des choses et mangé du curé."
Il cite ainsi la propension des habitants des campagnes à
braver les interdits en continuant à danser ou à
boire, même si l'Église condamnait ces pratiques.
Une Église qui n'avait d'ailleurs rien d'un bloc monolithique,
selon Le catholicisme québécois. "Même
si l'image du conservatisme dominait sur le plan public, les grandes
idées de la Révolution tranquille se discutaient
déjà dans les officines de l'Église, indique
Jean-Paul Montminy. La grève de l'amiante, en 1949, a donné
lieu ainsi à des querelles énormes, et on a forcé
Mgr Charbonneau, l'évêque de Montréal qui
avait soutenu les grévistes, à partir."
"Nous ne nions pas les formes excessives de l'encadrement religieux, mais les Québécois ont toujours fait la part des choses et mangé du curé."
Dans leur ouvrage, les deux sociologues présentent donc l'image d'un clergé davantage opportuniste qu'obscurantiste. Dès la Conquête, en effet, une entente tacite avec les nouveaux maîtres du pays laisse une place relativement grande à l'Église catholique, en autant qu'elle assure la paix sociale. Peu à peu, les institutions religieuses prennent en charge l'éducation primaire des Québécois et veillent sur leur santé. Mais comme le reconnaît volontiers Raymond Lemieux, cette organisation a bien du mal à négocier le virage vers l'urbanité. L'effritement de l'Église en ville commence dès l'entre-deux guerres, car la forme d'encadrement en vigueur ne correspond plus aux critères de la modernité.
Des églises vides, vides, vides
On connaît le reste de l'histoire: la spectaculaire
chute de la pratique religieuse et la disparition de l'Église
de la sphère publique, une révolution accomplie
avec une "brutalité de temporalité extraordinaire",
selon Jean-Paul Montmigny. Mais les deux sociologues refusent
d'endosser un discours défaitiste qui égrènerait
des statistiques résonnant comme autant de coups de glas.
Ils observent ainsi depuis quelques années une résurgence
du sacré, en dehors de l'institution ou à sa marge,
qui les incite à croire que l'engagement religieux véritable,
c'est-à-dire non motivé par des questions de peur
ou de morale, n'a jamais été aussi fort.
"Je participe une fois par semaine à des réunions de groupes de croyants où les gens discutent de la Bible, indique ainsi Jean-Paul Montminy. Mais les participants n'éprouvent pas le besoin de se rendre à l'église le dimanche." Préférant parler d'"itinéraires de sens" plutôt que de "religion à la carte", les deux sociologues observent ainsi l'émergence d'une véritable fringale de recomposition des croyances. Raymond Lemieux en veut pour preuve cette rencontre qu'il a eu avec 200 personnes s'interrogeant sur l'accompagnement spirituel en milieu hospitalier. Apparemment, ces dernières puisaient aussi bien dans les textes sacrés de diverses religions que dans les pratiques de méditation zen pour aider les malades. Bien malin donc, qui pourra prévoir le futur visage de l'Église au Québec dans les années à venir. Une seule certitude aux yeux des deux sociologues: l'impossible retour en arrière vers les formes traditionnelles de l'institution.
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