![]() |
5 octobre 2000 ![]() |
Les détracteurs de l'université affirment souvent qu'étudiants et professeurs y poursuivent des projets déconnectés de la réalité et s'enferment fréquemment dans leur "tour d'ivoire" . Le même reproche s'applique aussi aux politiciens accusés de concocter des lois entre eux, sans écouter la population. La rencontre organisée le 27 septembre dernier par Germain Trottier, professeur à l'École de service social, a le mérite de faire voler en éclats ces préjugés négatifs. Cet enseignant, qui donne un cours intitulé Délinquance, déviance et criminalité, a eu l'idée, en effet, d'inviter le député Réal Ménard, du Bloc québécois, à exposer à ses étudiants son avant-projet de loi sur la prostitution de rue. Ces derniers ont quelques semaines pour prendre position sur les propositions du politicien, et lui envoyer une lettre argumentée sur le sujet.
La campagne d'un député
Depuis quelques mois, le député fédéral
de Hochelaga-Maisonneuve mène une campagne active pour
tenter de régler une partie du problème de la prostitution
de rue. Il a mis sur pied un groupe de travail qui rencontre
régulièrement des citoyens des centre-ville, des
responsables d'associations de travailleurs du sexe ou des représentants
de la police. Sa proposition? Instaurer des maisons closes, où
il serait légal d'offrir des services sexuels à
des consommateurs. La loi actuelle canadienne ne condamne pas
la prostitution, mais elle interdit la sollicitation de clients,
ou leur accueil dans une maison privée.
"Je crois que mon projet de loi est intéressant, car actuellement les travailleuses du sexe subissent beaucoup de violence quand elles sollicitent les passants dans la rue, précise Réal Ménard. Beaucoup d'entre elles m'ont expliqué qu'elles se font tabasser lorsqu'elles refusent d'avoir des relations sexuelles sans condom, et elles ne peuvent aller porter plainte puisqu'elles sont dans l'illégalité." Dans l'avant-projet de loi présenté par le député, les prostitués des deux sexes auraient la possibilité de proposer leurs services dans des maisons closes situées dans des quartiers non résidentiels, à 500 mètres au minimum d'une école primaire ou secondaire. De plus, les propriétaires d'un tel lieu devraient obtenir une licence du ministre canadien de la Justice en vertu de certaines règles. Toutes les personnes employées dans la maison close devraient être majeures, et accepter de passer régulièrement des tests de santé.
Des résistances du groupe cible
Mais voilà où le bât blesse. Selon Marc
Drapeau, qui travaille à la coordination du Projet d'intervention
sur la prostitution de Québec (PIPQ), les travailleuses
du sexe ne voudront pas quitter le centre ville, un milieu de
vie où se trouvent leurs enfants et leurs amis, et encore
moins se soumettre à des examens de santé. Une bonne
partie d'entre elles souffrent en effet de toxicomanie, et elles
ne se risqueraient donc pas à fréquenter une maison
close assujettie à une licence. "La prostitution de
rue constitue un véritable problème social complexe,
et une simple modification législative ne peut la résoudre,
soutient le travailleur social. Les personnes qui se prostituent
dans la rue ont des trajectoires très particulières
- pauvreté, détresse, dépendance aux drogues
- et on doit traiter leurs demandes par de l'action sociale.
Faire en sorte, par exemple, qu'elles puissent avoir droit à
l'aide, comme n'importe quelle autre femme, quand elles sont victimes
de violence. "
Sceptique sur la pertinence de l'instauration des maisons closes,
Marc Drapeau craint par ailleurs qu'une telle législation
n'empire les conditions de vie de celles et de ceux qui travailleraient
dans la rue. La police pourrait par exemple devenir davantage
répressive dans la mesure où il existe une autre
alternative. "Je ne suis pas naïf, soutient Réal
Ménard. Je sais que toutes les travailleuses du sexe ne
vont pas aller exercer leur profession dans le cadre formel d'un
maison close. Mais je pense que mon projet de loi reconnaît
au moins l'existence de cette question alors que jusqu'à
présent le Parlement ne débat jamais de la prostitution,
alors que c'est une réalité canadienne. À
mes yeux, le pire ennemi du député et du travailleur
social demeure le préjugé."
Une réflexion que les étudiants du cours de Germain
Trottier auront tout le loisir de méditer avant d'envoyer
leur devoir de citoyen à Réal Ménard présentant
leurs arguments personnels en faveur ou contre son projet de loi.
![]() |