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5 octobre 2000 ![]() |
LES JEUNES ET LES SCIENCES: FAUSSES PISTES ET GÉNÉRALITÉS
On a souvent entendu dire au cours des dernières années
qu'il y avait un problème de désaffection des étudiants
pour les sciences et la technologie. Or, notre analyse des données
statistiques du Québec des trente dernières années
à tous les ordres d'enseignement ne montre aucune trace
d'une telle désaffection (voir notre rapport : www.fsg.ulaval.ca/chaire-crsng-alcan/publicat.html).
En effet, aucune baisse significative du nombre d'inscrits et
de diplômés n'a été constatée
durant la dernière décennie. Au niveau universitaire,
il s'agit plutôt d'une stabilisation tant de la diplomation
que des inscriptions en sciences naturelles et en génie
(SNG) et ce, pour les trois cycles. Notons que la stabilisation
des inscriptions en SNG au premier cycle est d'autant plus significative
que l'on assiste à une baisse des inscriptions totales
pour l'ensemble des secteurs depuis 1993.
Outre la stabilisation des effectifs universitaires en SNG, l'analyse
de ces statistiques nous a permis de mettre à jour la nouvelle
composition sexuelle des effectifs en sciences de la nature au
collégial. En effet, à la suite d'une baisse de
l'effectif masculin et d'une croissance continue du nombre de
femmes, celles-ci ont atteint pour une première fois, en
1996, l'égalité numérique avec les hommes.
Or, les femmes ayant des modèles d'orientation professionnelle
différents de ceux des hommes, elles ne se dirigent pas,
une fois à l'université, vers les mêmes disciplines
scientifiques. Si cette situation perdure, elle entraînera
le déplacement des effectifs vers les sciences de la vie
et les sciences de la santé au détriment des sciences
physiques et de la plupart des programmes de génie, l'informatique
et la foresterie, domaines vers lesquels les femmes se dirigent
trois fois moins que les hommes.
Certains souligneront que plusieurs secteurs d'études,
dont les sciences humaines et l'éducation, ont vu croître
leur bassin de diplômés alors que celui en SNG demeurait
stable. Cependant, ces différences ne peuvent être
assimilées à une désaffection et sont plutôt
à mettre en relation avec la performance du marché
du travail au cours de cette période. Une étude
menée par Statistique Canada (1997) montre que les bacheliers
de sciences pures et appliquées (à l'exception de
l'informatique et du génie) affichaient, deux ans après
l'obtention de leur diplôme, des taux de placement plus
faibles et des salaires inférieurs ou équivalents
à ceux des finissants de sciences humaines et sociales.
Ces constats rejoignent d'ailleurs ceux du rapport Allen (1999)
qui compare la performance des travailleurs canadiens selon leur
discipline de formation et conclut que les diplômés
en sciences sociales et humaines se tirent aussi bien d'affaire
que les diplômés en sciences naturelles, mais un
peu moins bien que ceux en génie et en informatique. En
fait, ces études montrent que l'économie du savoir
semble avoir besoin de l'ensemble des savoirs et pas seulement
de ceux liés à des formations scientifiques et techniques.
Comment alors expliquer la persistance de discours sur la désaffection
des jeunes à l'égard des sciences alors que les
données montrent clairement que ce phénomène
n'existe pas? La réponse à cette question réside,
à notre avis, en bonne partie dans le fait que certains
acteurs sociaux perçoivent un écart croissant entre
l'offre stable de diplômés et une demande projetée
à la hausse. Ils craignent que la production globale de
diplômés universitaires en SNG comble de moins en
moins les besoins industriels que l'on dit en croissance, entraînant,
entre autres choses, une pression à la hausse sur les salaires.
Cette crainte nous apparaît d'autant plus sujette à
caution que selon le Conseil de la science et de la technologie,
dans bien des secteurs en S&T, les difficultés de recrutement
sont liées non pas à une pénurie de nouveaux
diplômés mais à des critères d'embauche
des entreprises qui donnent souvent la priorité à
l'expérience acquise.
À cette perception fondée sur l'anticipation du
futur s'ajoute une tendance certaine à prendre la partie
pour le tout, c'est-à-dire à transformer une pénurie
relative dans des domaines précis en l'expression d'une
tendance globale. Or ce type de généralisation n'est
nullement confirmé par les chiffres rendus publics par
Statistique Canada en 1999. Il faut donc délaisser les
discours trop généraux qui orientent l'analyse (et
les étudiants!) vers de fausses pistes et suivre les tendances
au niveau des disciplines et même des spécialités.
Enfin, une ambiguïté importante des discours sur les
carrières scientifiques est la confusion constante entre
"scientifiques" et "techniciens". Il n'est
pas certain que les discours visant à stimuler de façon
générale les "carrières scientifiques"
n'aient pas l'effet pervers de pousser vers des études
universitaires des jeunes qui pourraient bénéficier
d'une excellente formation technique au niveau collégial,
formation à forte composante scientifique sans toutefois
être de niveau universitaire. Ici encore les généralités
sont à éviter tant il est évident que plusieurs
secteurs de l'économie ont davantage besoin de techniciens
que de bacheliers et que des programmes de formation continue,
collégiale et universitaire, pourraient assurer par la
suite une progression professionnelle.
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