28 septembre 2000 |
La langue parlée par les anglophones de Québec
s'insère parfaitement dans le tissu linguistique canadien-anglais
mais elle révèle également le caractère
enclavé et tricoté serré de la communauté
des English Quebecers. Cette couleur locale risque cependant
de se ternir compte tenu de la baisse du nombre d'anglophones
à Québec et compte tenu de l'influence linguistique
des anglophones provenant de l'extérieur de la région.
Voilà quelques-uns des constats que dressent l'étudiant-chercheur
Troy Heisler, de la Faculté des lettres, et Jack Chambers,
de l'University of Toronto, dans un article qu'ils publient dans
un récent numéro du Canadian Journal of Linguistics.
Dans le cadre d'une vaste étude sociolinguistique des communautés
canadiennes, les deux chercheurs ont interrogé un peu plus
de 300 anglophones de Loretteville, Shannon, Sillery, Sainte-Foy,
Valcartier et Québec. "Un échantillon qui représente
presque un anglophone sur 30 dans la région", notent
les deux chercheurs au passage. Les participants, âgés
de 14 à plus de 80 ans, devaient répondre à
une centaine de questions portant sur la prononciation des mots,
le vocabulaire général et spécifique, la
morphologie et la syntaxe.
Longévité et isolation
La communauté anglophone de Québec a 250 ans
d'histoire derrière elle. Elle a évolué dans
un contexte unique en Amérique du Nord, en plein coeur
du pouvoir politique et culturel francophone. Sa langue, d'abord
considérée comme celle de l'élite bourgeoise
et commerçante, était parlée par plus de
40 % de la population jusqu'aux années 1850. Depuis, son
importance relative décroît; aujourd'hui, moins de
2 % des résidants de la région de Québec
déclarent avoir l'anglais comme langue maternelle. "La
longévité et l'isolation de l'anglais au coeur d'un
milieu francophone en font un sujet d'étude intéressant
pour quiconque s'intéresse aux normes et aux variantes
régionales", affirment les deux chercheurs. Leurs
travaux, dont voici quelques extraits, semblent leur donner raison.
D'abord, les chercheurs ont noté une influence de la culture
canadienne-française sur l'anglais. "Le contraire
aurait été surprenant vu les caractéristiques
communes des deux langues et leur coexistence à Québec."
Ainsi, contrairement à 80 % de la population du Golden
Horseshoe (la zone du sud de l'Ontario où vivent 17 % des
Canadiens) qui prononce le "s" du mot "asphalt"
comme un "sh", 50 % des Anglais de Québec le
prononcent comme un "s". C'est la prononciation la plus
commune aux États-Unis mais c'est aussi la façon
dont le mot équivalent est prononcé en français,
observent les deux chercheurs. "Nos données montrent
que plus les répondants utilisent le français dans
leur vie quotidienne, plus ils ont tendance à prononcer
"asphalt" avec un "s".
Plus près de la forme française
On retrouve la même influence dans l'usage de la préposition
"different from", la forme enseignée dans les
livres de grammaire mais pour laquelle on retrouve les variantes
"different than" et "different to" au Canada.
À Québec, 73 % des répondants utilisent la
forme standard. Fait à noter cependant, chez les anglophones
qui utilisent beaucoup le français dans la vie de tous
les jours, seule la forme "different from" existe. Le
fait que l'équivalent français soit "différent
de" et le fait qu'il n'y ait pas de forme "différent
à" et "différent que" peuvent expliquer
cette singularité, avancent les chercheurs. Lorsqu'il existe
des variantes en anglais, les anglophones de Québec vont
souvent privilégier celle qui ressemble le plus à
l'équivalent français. "Ce ne sont pas des
emprunts à l'autre langue, insistent-ils, mais bien des
variantes bien établies au Canada anglais qui ressemblent
à la forme française."
Certains mots de vocabulaire reflètent aussi le relatif
isolement des anglophones de Québec. Ainsi à la
question "Comment appelez-vous un meuble de salon sur lequel
deux ou trois personnes peuvent s'asseoir?", tous les Canadiens
auraient répondu un "chesterfield" il y a quelques
générations. Depuis 40 ans, "couch" est
devenu le terme le plus fréquent dans le Golden Horseshoe
et "chesterfield" vient bon second, loin derrière.
Fait inusité, la majorité des gens de 50 à
70 ans du sud de l'Ontario s'assoient toujours sur un "chesterfield"
alors que ceux de Québec préfèrent un "sofa".
"Québec est le seul endroit étudié au
Canada où sofa est si commun chez les anglophones",
signalent les chercheurs. Cependant, les jeunes anglophones de
Québec ont résolument adopté le "couch".
Exit?
Si les données obtenues chez les plus jeunes répondants
font foi de l'avenir, les chercheurs prévoient que les
anglophones de Québec vont parler le même anglais
que la majorité canadienne dans trois ou quatre décennies.
"Mais, nuancent-ils aussitôt, c'est une prédiction
risquée car, comme on l'a vu dans le cas de Québec,
des événements historiques et sociaux peuvent changer
le cours des choses."
La communauté anglophone de Québec existe depuis
250 ans. Au cours des 150 dernières années, elle
a survécu en tant que minorité linguistique et culturelle
tout en conservant un sens de cohésion et d'estime. Ses
institutions sont encore bien vivantes et dynamiques, notent Heisler
et Chambers. "Pour toutes ces raisons, nous n'avons eu aucune
difficulté à reconnaître l'unicité
du Quebec City English et à décrire le profil
unique que lui ont conféré son histoire et son contexte
social uniques."
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