28 septembre 2000 |
MENTION DE DÉSHONNEUR
Moi, femme, je dis "Mention de déshonneur"
à l'Université Laval qui continue de promouvoir
une image androcentrique des membres de sa communauté.
Depuis plusieurs mois déjà cette image nous envahit.
Surexposée dans les salles de toilettes, tout près
des lavabos (et parfois derrière la porte des toilettes
même !), dans les corridors et à la sortie des tunnels
; manifeste aussi dans certaines publications telles que l'Agenda
2000-2001 de l'AELIÉS, celui de la CADEUL, le Fil
des événements (numéros antécédents
à la rentrée scolaire), le magazine Contact
et quoi encore... ? Présente partout, on croirait une urgence,
un appel au meilleur... mais non au pire. Universelle, l'Université
? Et pourtant...
Sur cette réclame louant le prestige d'un diplôme obtenu à Laval, nous pouvons lire le message suivant : "Nos diplômés de la maîtrise et du doctorat changent le monde. C'est par leur recherche et leurs découvertes qu'ils marquent l'histoire. Aujourd'hui Québec, demain le monde." Et l'on ajoute : "Bourse de 2000 $ à tout nouvel étudiant admis au doctorat". Ici, rien d'impartial. D'abord, la langue est monosexuée, on s'adresse bien sûr à un sexe précis : l'homme. Le genre féminin est dissous, annihilé dans "l'universalité" du "nouvel étudiant" et des "diplômés", tandis que le "ils" renvoie directement au "neutre" masculin. Par ailleurs, le support visuel de cet énoncé - on dit qu'une image vaut mille mots - ne projette rien de moins que la façade de l'Assemblée Nationale exhibant les mâles qui de toute époque ont "marqué" notre histoire. Les D'Iberville, De La Vérendrye, Marquette et Joliette y posent fièrement, rappelant sans équivoque le pouvoir patriarcal d'hier... et celui d'aujourd'hui. Or, comment une femme, une fille - imaginons ici l'étudiante potentielle, l'idéaliste qui ambitionne de "changer le monde" - peut-elle se sentir appelée dans une institution où l'unique sujet proposé est masculin, le genre féminin y étant doublement occulté? Tout se passe comme si "femme" et "sujet" ne pouvaient constituer une entité. Comme si l'un des sexes détenait une valeur symbolique, et apparemment réelle!, plus grande que l'autre. Difficile en tout cas de faire valoir ici l'argument de "l'universel" tant de fois décrété par une simple majuscule: l'Homme, écrit-on, tout en pensant "homme". Mais on va plus loin encore. Ce message dit clairement aux femmes, qui ne figurent ni dans l'espace linguistique ni dans l'espace visuel de cette publicité, leur non-participation à l'histoire de notre civilisation passée, présente et à venir. L'être-femme, manifestement, ne se trouve nulle part.
Dans la Politique en matière de publicité, de commandites et de salons de l'Université Laval (mars 1993), il est écrit noir sur blanc que: "La publicité constitue un des moyens de communication entre l'Université Laval et la société québécoise en plus d'être un mode majeur de promotion de l'image de l'établissement". L'image promue ici, et qui sérieusement nous questionne, est celle de la femme invisible et muette. Consultons à nouveau notre Politique. Au point D de l'article 2.2 on peut lire: "La publicité de promotion, en faisant connaître les missions de l'établissement, doit notamment contribuer au recrutement des diverses clientèles et au rayonnement de l'Université et de ses composantes". De toute évidence, le genre féminin ne fait pas partie des "diverses clientèles". Reste l'autre genre, celui-là qui domine avec toutes " ses composantes" (? ?), assurant ainsi un véritable "rayonnement" pour l'Université. Voilà une explication possible à la sur-visibilité d'un modèle unique: l'homme. Mais une question demeure: parmi les missions que se donne l'Université Laval, s'en trouve -t-il une qui consisterait à duper le sexe féminin ? Les filles d'aujourd'hui ne sont-elles que des gars en devenir ? "Demain le monde " - prophétie publicitaire ! - qu'un monde d'hommes? Encore?
De par ma pratique je connais, du moins un peu , les exigences d'une écriture non sexiste. Tant de détours, d'inventions, de ruses, de transgressions, quoi ! pour arriver à moi/nous. D'autres femmes le savent, c'est une démarche où il nous faut littéralement déconstruire la langue. Et encore! cela ne suffit pas. Le chemin est long, le parcours difficile. Heureusement, des études portant sur le non-sexisme dans le langage sont menées depuis nombre d'années par nos chercheurs et chercheuses du Québec et ailleurs dans la Francophonie. Est-ce utopique de chercher un lieu où le masculin ne l'emporte pas sur le féminin, un espace qui rend visible et/ou voyante la femme? Est-ce utopique encore de vouloir communiquer un message écrit en s'adressant à deux genres plutôt qu'à un seul? L'effort est-il si grand qu'il ne puisse être tenté ? En ce qui concerne le médium visuel, la tâche s'avère beaucoup moins complexe. Contrairement à la langue, il ne faut qu'un instant et la volonté d'une seule personne pour proposer et diffuser de nouvelles images. Pourquoi se complaire dans une représentation désuète et sexiste du monde ? Le Parlement, vous en conviendrez, ne reflète en rien une culture du matrimoine. Comme assemblée humaine, et malgré la présence de plus en plus de femmes, il rappelle plutôt un certain Banquet...
Une réclame de cette nature porte à réfléchir. Qu'on la juge inoffensive - certain-e-s n'y manqueront pas et invoqueront les autres représentations (non sexistes) de cette série publicitaire pour défendre leur point de vue - révèle bien le fondement trompeur et insidieux de certaines pratiques publicitaires. Universel, neutre, dites-vous? Rien n'est jamais neutre. Et surtout pas un sujet humain. Le genre - plus précisément le sexe - représente une dimension subjective et objective importante et nous devrions, maintenant plus que jamais, considérer cette question. Tous et toutes, nous devrions savoir que la souveraineté inconditionnelle de l'andros, sauvegardée et cautionnée par les institutions et largement diffusée à travers les médias, a pour effet de pervertir le rôle créateur féminin. Qu'elle tient en exil des grands-mères, des mères, des filles de tout âge et de toute race. En tant que femmes, nous n'avons pas à subir et encore moins à imiter un modèle soi-disant universel et de plus, étranger à nous-mêmes. D'ailleurs, et aussi fabuleux soit-il, notre modèle se trompe s'il pense arriver à l'universel par le particulier. Il lui faut comprendre que sans le savoir et l'oeuvre de la particulière - après tout, les femmes constituent la moitié de la société humaine ! - il ne va nulle part. Qu'il n'est qu'un personnage pareil à tous les autres personnages, un émule platonicien qui tôt ou tard cherchera à se dégager d'une fiction culturelle franchement dépassée. Oui, je dis "Mention de déshonneur " à toute personne qui occulte la présence, les idées et l'action réelles autant que symboliques des femmes dans l'histoire de notre civilisation. Mention de déshonneur enfin à quiconque refuse la culture du féminin prônant ipso facto l'exclusion d'un groupe humain. Universelle, l'Université ? Parlons-en.
Ont commenté judicieusement et encouragé la publication de ce texte mes camarades universitaires. Il s'agit de: Johanne Beaumont, Marie Lyne Bouchard, Ana Élisa Castro Sanchez, Milton Hendriks, Pauline Jean, Jean-Bosco Ntagungira, Christine Pumbu et Bernadette Syverin.
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