 |
21 septembre 2000  |
Viagra: droit au coeur
Une proportion importante des décès qui surviennent chez les hommes qui prennent du Viagra serait causée par une perturbation des mécanismes électrophysiologiques normaux du coeur. C'est ce que soutiennent les chercheurs Peter Geelen, Benoît Drolet, Jimmy Rail, Jocelyn Bérubé, Pascal Daleau, Gilles O'Hara et Jacques Turgeon, des facultés de Médecine et de Pharmacie, et leurs collègues montréalais Guy Rousseau et René Cardinal. Les chercheurs publient leur inquiétante conclusion dans une édition récente de Circulation, la revue scientifique de l'American Heart Association.
La molécule active du Viagra, le sildenafil, interférerait avec les mécanismes électriques du coeur de la même façon que certains médicaments prescrits contre l'arythmie cardiaque (contraction désordonnée du coeur). "Les expériences que nous avons menées en laboratoire montrent que le Viagra bloque les canaux potassiques du coeur, ce qui prolonge de 15 % la période de repolarisation, explique Pascal Daleau. Ce délai peut occasionner des arythmies et la mort subite s'il y a d'autres facteurs déclencheurs en présence." Les canaux potassiques comptent au nombre des quelque 15 canaux ioniques qui interviennent dans le cycle normal des battements cardiaques.
Depuis quelques mois, les scientifiques connaissent bien l'un des facteurs déclencheurs qui peuvent provoquer la mort chez les consommateurs de Viagra: l'existence préalable de maladies cardiovasculaires. Mais la découverte des chercheurs de Laval met sur la sellette une liste de facteurs déclencheurs tout aussi dangereux en raison de leurs effets sur les canaux potassiques du coeur. Outre les médicaments classiques contre l'arythmie, cette liste comprend certains antihistaminiques contre les allergies, des antipsychotiques, des antidépresseurs, certains antibiotiques, des médicaments contre la constipation et même certaines maladies congénitales.
"Comme la majorité des hommes qui souffrent de problèmes érectiles sont dans la cinquantaine ou la soixantaine, il y a des risques assez élevés qu'ils soient déjà sous médication pour un autre problème de santé, souligne Pascal Daleau. Les médecins doivent être aux aguets et vérifier si les médicaments que prennent déjà leurs patients ne risquent pas d'interférer avec le Viagra avant d'émettre une prescription. Pour les patients qui présentent des risques, je crois qu'il serait préférable de ne pas prendre de Viagra avant d'avoir obtenu l'avis éclairé d'un cardiologue."
Dans les six premiers mois de la mise en marché du Viagra, entre avril et novembre 1998, 130 consommateurs de Viagra sont morts aux États-Unis; 62 % d'entre eux sont décédés des suites d'un problème cardiaque et 37 % sont morts de cause inconnue.
JEAN HAMANN
 |