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14 septembre 2000 ![]() |
Un homme averti en vaut deux, dit-on. Pourtant, même si Tigran Galstian avait été bien prévenu de la situation difficile de la recherche dans les pays de l'ex-URSS, ce qu'il a vu là-bas l'a estomaqué. "Certains laboratoires sont totalement déserts. Il ne reste plus que l'équipement, des rangées et des rangées de lasers inutilisés. On se croirait dans un film de science-fiction où des armes mortelles font disparaître tous les êtres humains sans détruire les objets."
Le chercheur du Département de physique et son collègue René Roy, directeur du programme de génie physique, rentrent tout juste d'un séjour d'un mois en Russie et en Arménie. Leur mission, endossée par la vice-rectrice à la recherche, Louise Filion, soutenue par Daniel Guay, du Bureau international et financée par une subvention du gouvernement du Québec, les a conduits dans une dizaine d'universités, de centres et d'instituts de recherche. Ils en sont revenus secoués mais pas bredouilles, puisqu'ils ont en poche cinq protocoles d'entente qui augurent de jours meilleurs pour les scientifiques de là-bas.
Le passé revient
Ce voyage constituait un retour aux sources pour le professeur
Galstian. Arménien d'origine, il a étudié,
entre 1984 et 1990, à l'Institut de génie physique
de Moscou où il a obtenu une maîtrise et un doctorat.
"J'ai vécu la perestroïka de l'intérieur,
dit-il. Quand j'ai quitté l'Arménie en 1992, l'URSS
était démantelée et les universités
avaient commencé à subir les contrecoups des coupures
dans le financement. Mais aujourd'hui, la situation est encore
bien pire. Des chercheurs de calibre international se retrouvent
dans des conditions lamentables où ils ne peuvent plus
faire de recherche, faute de moyens."
Ses anciens collègues lui ont fait part de l'état
de sous-financement de la recherche dans leur pays et de l'exode
des cerveaux vers les pays occidentaux, notamment les États-Unis.
"Seuls les derniers Mohicans sont restés, dit Tigran
Galstian. Je connais les meilleurs spécialistes et les
meilleurs centres de recherche en Russie et en Arménie,
et je suis convaincu qu'il existe là des technologies,
conçues à l'époque de la guerre froide, qui
dorment. Toute cette puissance potentielle risque maintenant de
demeurer inutilisée."
Tigran Galstian a imaginé un plan pour que l'expertise
soviétique n'aille pas se perdre dans les brumes de la
glasnost. "Nous disposons d'expertise et d'équipement
top niveau au Centre d'optique, photonique et laser. De leur côté,
les soviétiques ont des connaissances uniques mais ils
n'ont plus de moyens. J'ai pensé qu'un programme d'échange
de professeurs et d'étudiants-chercheurs pourrait profiter
à tout le monde. On pourrait inviter ces gens pour des
stages de courte durée, travailler ensemble, partager leur
expertise et leur permettre de survivre comme scientifiques."
Arrêter le massacre
Tigran Galstian avoue que cette initiative est motivée,
en partie, par solidarité envers son pays d'origine et
envers ses anciens professeurs russes. "Mais je suis certain
que ce programme sera bénéfique pour les deux parties,
ajoute-t-il aussitôt. Le marché de l'emploi est tellement
bon ici que les étudiants-chercheurs sont difficiles à
recruter et que plusieurs de ceux qui commencent des études
supérieures quittent avant d'avoir terminer. Les entreprises
leur offrent des salaires incroyables qui dépassent le
mien. Quatre de mes six derniers étudiants-chercheurs sont
partis avant d'avoir obtenu leur diplôme. Il faut arrêter
ce massacre sinon il y a danger pour notre secteur de recherche.
On a besoin de gens qui vont continuer ce que nous faisons - produire
des connaissances -, sinon on va mourir. Les scientifiques de
l'ex-Union soviétique ne vont pas stopper ces départs
mais ils peuvent nous aider à faire progresser les connaissances."
Tigran Galstian a en poche cinq protocoles d'entente remplis de
bonnes intentions, mais il en connaît parfaitement la valeur.
S'il ne réussit pas à trouver, auprès des
organismes canadiens et québécois, le financement
nécessaire pour amener les premiers ex-soviétiques
à Québec, toutes ses démarches n'auront servi
qu'à nourrir de faux espoirs chez des scientifiques sacrifiés
sur l'autel de la perestroïka, qui peuvent à peine
s'offrir le luxe de rêver.
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