31 août 2000 |
Demain ne sera pas un jour comme les autres pour l'océanographe Louis Legendre. Lorsqu'il fermera la porte de son bureau du Département de biologie en fin de journée, il mettra la clé sur 27 années de souvenirs où s'entremêlent joyeusement travail et plaisir. Officiellement, le plus célèbre océanographe québécois part à la retraite mais il quitte le coeur léger et le pas guilleret puisqu'il vient d'accepter la direction du nouveau Laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer (LOV), située sur la Côte d'Azur. "Je prends ma retraite le 1er septembre et j'entre en poste le 4 septembre. Je n'ai pas le choix si je veux toucher mon salaire!"
L'Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer compte présentement quatre grands laboratoires et un personnel de 120 scientifiques. En janvier prochain, deux de ces laboratoires seront fusionnés et Louis Legendre en prendra la direction. Il dirigera une équipe de 55 océanographes soit "plus qu'il y en a en fonction dans tout le Québec aujourd'hui", estime-t-il. Il veillera essentiellement à l'animation scientifique de son équipe tout en poursuivant ses propres travaux. "Faire de la recherche est trop amusant pour que je m'arrête", lance-t-il spontanément.
Louis Legendre ne s'aventure pas en mer inconnue à Villefranche. "J'ai toujours entretenu d'étroites relations avec les chercheurs de ce centre, dit-il. Deux d'entre eux ont fait leurs études avec moi au GIROQ (Groupe interuniversitaire de recherches océanographiques du Québec). Je suis venu y passer des années sabbatiques et je m'apprêtais à le refaire cette année. Cependant, les circonstances ont fait qu'on m'a proposé de prendre la direction du nouveau laboratoire."
Prendre le large
À 55 ans, le chercheur avait "le goût de
faire autre chose", dit-il pour expliquer son départ.
"La Côte d'Azur est un endroit plaisant, le climat
est agréable et la cuisine est excellente, signale le fin
gastronome. Je suis cependant conscient que jamais je ne trouverai
un endroit comme l'Université Laval où on nous laisse
la totale liberté de définir nos thématiques
de recherche. Je ne crois pas non plus que je pourrai obtenir
autant d'argent en subventions de recherche." Les recherches
du professeur Legendre portent sur l'influence des courants et
du mélange des masses d'eau sur la production de plancton
végétal et animal. Plus récemment, il s'est
intéressé au rôle de la production biologique
océanique dans l'absorption du carbone atmosphérique
responsable de l'effet de serre et du réchauffement climatique.
Le départ de Louis Legendre porte donc à trois
le nombre de chercheurs-étoiles qui ont quitté l'Université
depuis un an pour accepter la direction de centres de recherche
dans un autre pays. Avant lui, Claude Bouchard, de la Faculté
de médecine (Pennington Biomedical Research Center à
Baton Rouge) et Jean-René Roy, du Département de
physique (Observatoire astronomique international Gemini à
Hawaï), ont pris la gouverne de centres de recherche américains.
"Aux États-Unis, on considère normal que les
bons chercheurs changent d'université à tous les
quatre ou cinq ans mais ce n'est pas dans nos habitudes au Québec,
signale Louis Legendre. Présentement, c'est très
facile pour un bon chercheur québécois d'obtenir
un poste à l'étranger. Le problème est qu'il
n'y a pas de mouvement en sens inverse. Il y a de très
bons océanographes qui aimeraient travailler au Québec
mais il n'y a pas de postes."
Un seul nuage
Le seul nuage qui assombrit son départ vers la Côte
d'Azur est que le chercheur ignore s'il sera remplacé et
il s'inquiète de voir le nombre de chercheurs du GIROQ
diminuer avec les années. Il faut qu'un centre compte un
nombre minimum de chercheurs pour obtenir une reconnaissance et
un financement d'organismes subventionnaires comme le FCAR, signale-t-il.
Le départ de chercheurs établis entraîne une
réduction des fonds de recherche, une diminution du nombre
de professeurs pour encadrer les étudiants-chercheurs et
la précarisation des emplois du personnel de recherche.
"En bout de ligne, l'activité intellectuelle d'un
chercheur se traduit par des emplois", souligne-t-il. Au
cours des 27 dernières années, Louis Legendre estime
avoir obtenu "plusieurs millions de dollars en subventions
de recherche". Il a dirigé les travaux d'une trentaine
d'étudiants à la maîtrise et au doctorat et
ceux d'une quinzaine de postdoctorats. Sa liste de publications
compte près de 200 titres.
En 1997, Louis Legendre remportait le prix Marie-Victorin, la plus importante distinction remise à un scientifique par l'État québécois. Deux prix de l'ACFAS ornent également le manteau de sa cheminée. Ses recherches l'ont conduit du Saint-Laurent aux eaux polaires de l'Arctique canadien, de même que dans la mer du Groenland, la mer d'Okhotsk au Japon, les polynies arctiques du Northeast Water et du North Water, le golfe du Maine, l'Atlantique équatorial et les récifs coralliens de Polynésie. "Il a compris qu'il fallait aller à l'étranger et s'imposer pour pouvoir être reconnu ici", avait commenté Louis Fortier, actuel directeur du GIROQ, au moment où Louis Legendre recevait le Marie-Victorin. De toute évidence, les pérégrinations de l'océanographe au long cours lui auront aussi permis d'être apprécié à l'étranger.
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