31 août 2000 |
Certains livres naissent d'une commande d'un éditeur, d'autres d'une rencontre fortuite. Pour Thomas De Koninck, qui vient de publier La nouvelle ignorance et le problème de la culture aux Presses universitaires de France, c'est d'une question ne cessant de lui trotter dans la tête qu'a jailli l'étincelle créatrice. Pourquoi les jeunes, en particulier au Québec, se suicident-ils autant? Cette interrogation, le professeur l'a soumise aux élèves qui fréquentent ses cours de philosophie à l'Université Laval. Mais elle a pris aussi une nouvelle orientation à la faveur d'une discussion avec une jeune étudiante noire, rencontrée lors d'une conférence à Atlanta.
Nous avons parlé ensemble alors que les événements de Littleton venaient d'arriver, explique le philosophe. Des événements qui ne l'avaient pas surprise tant les jeunes autour d'elle baignent dans un climat de violence quotidienne, sans oublier la violence médiatique." En réfléchissant à cette pluie de feu qui jaillit régulièrement des engins de mort manipulés par les écoliers américains, Thomas De Koninck en est venu à oser une hypothèse presque mathématique. La violence dans la société croît lorsque la culture diminue.
Un immense vide culturel
L'ouvrage de Thomas De Koninck, qui évoque aussi bien
les camps de concentration d'Auschwitz que les goulags communistes
ou l'inefficacité de la Déclaration universelle
des droits de l'Homme, s'attache à démontrer que
la soif de destruction naît souvent de l'ignorance de l'humain.
L'auteur porte ainsi un jugement sévère sur une
époque où l'accroissement phénoménal
des connaissances techniques et scientifiques s'accompagne parallèlement
d'un immense vide culturel. Autrement dit, même si les humains
n'ont jamais disposé d'une technologie aussi avancée,
la vie n'a aucun sens et la communication avec les autres devient
de plus en plus difficile.
«Je reconnais que certains outils comme Internet ont une très grande utilité, précise le professeur, grand utilisateur du courrier électronique. Mais je condamne la vision magique que certains peuvent avoir de la technologie. Je ne pense pas que cette dernière va régler les difficultés de communication avec les humains. Internet ne résout pas tout. » Sans tomber dans une admiration béate pour la vie d'antan, Thomas De Koninck remarque dans son ouvrage que les nouvelles technologies s'accompagnent souvent d'une apathie, d'une passivité des consommateurs face aux événements de leur époque. Pour lui, rien ne peut remplacer le dialogue intérieur permis, par exemple, par la lecture individuelle.
Réductionnisme: danger!
À entendre le professeur de philosophie, la fréquentation
des arts dès le plus jeune âge favorise l'apprentissage
et permet de se développer plus harmonieusement. En misant
sur la culture, une société reviendrait donc à
l'essentiel des valeurs humaines. D'autant plus, Thomas De Koninck
le souligne, que notre époque se caractérise par
un attrait constant vers l'abstraction. Les chercheurs, par exemple,
s'intéressent à des spécialités toujours
davantage morcelées et il devient de plus en plus difficile
d'appréhender une discipline globalement. «Je pense
que le réductionnisme présente un certain danger,
précise le philosophe. Les neurobiologistes, par exemple
peuvent avoir tendance à réduire l'être humain
uniquement à un système nerveux.»
Nullement pessimiste ou déprimé par le comportement de ses contemporains, Thomas De Koninck espère que la philosophie pourra aider les hommes à réfléchir aux grandes questions de l'existence. Pour lui, il est surtout fondamental que nous prenions conscience de tout ce que nous ne savons pas, que nous ne soyions pas aveuglés par les mirages de la technologie. À ses yeux, la violence constitue la manifestation plus importante de cette ignorance de l'être humain.
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