24 août 2000 |
Le palmarès des plus grands télescopes terrestres, publié dans l'édition du mois d'août du magazine américain Sky & Telescopes, contient une surprise de taille. L'observatoire qui occupera bientôt le 13 e rang au monde utilise une technologie mise au point par l'équipe d'Ermanno Borra, du Département de physique. En effet, son miroir primaire est un miroir liquide, une filière que ce chercheur peaufine depuis près de 20 ans.
Nommé Large Zenith Telescope (LZT), cet instrument est présentement en construction au sommet d'une montagne de 400 mètres surplombant la vallée du fleuve Fraser, près de Maple Ridge en Colombie britannique. Il est le fruit du travail conjoint d'équipes de l'Université Laval, de l'University of British Columbia et de l'Institut d'astrophysique de Paris. Son miroir primaire fait 6 mètres de diamètre, soit 1 mètre de plus que celui du télescope Hale du Mont Palomar (14 e rang mondial). La première lumière du LZT est prévue en novembre 2000 et les observations scientifiques devraient commencer en mars 2001. Les coûts de développement et de construction de ce télescope ont été financés en grande partie par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada qui a accordé une subvention de 526 000 $ au projet .
Plus gros, plus loin
En astronomie, la dimension du miroir primaire définit
la force d'un télescope, comme la cylindrée d'un
moteur traduit la puissance d'une automobile. Plus le miroir d'un
télescope est grand, plus il parvient à récolter
les rayons lumineux provenant d'objets célestes très
distants qui recèlent les plus précieux secrets
sur l'origine et l'évolution de l'Univers. Même si
la lumière voyage à 300 000 kilomètres à
la seconde, les dimensions de l'Univers sont telles qu'il faut
parfois des millions d'années avant que la lumière
émise par une étoile lointaine n'atteigne la Terre.
Plus une étoile est éloignée, plus la lumière
qui se rend jusqu'à nous a été émise
il y a longtemps dans le passé.
Afin de voir plus loin dans l'espace et dans le temps, les astronomes ont besoin de télescopes toujours plus puissants. Depuis l'inauguration du télescope du Mont Palomar, en1948, la technologie des miroirs de verre montre des signes d'essoufflement. À partir d'une certaine dimension, le poids du miroir déforme la structure qui le supporte, faussant ainsi la précision optique de l'instrument. Les astronomes explorent donc de nouvelles avenues comme les télescopes à miroirs multiples. Le Very Large Telescope, le plus grand télescope terrestre, dont l'inauguration est prévue pour 2001, en est le meilleur exemple avec ses quatre miroirs de 8,2 m; utilisés en conjonction, ils offrent une ouverture fonctionnelle équivalant à un miroir de 16,4 m. De leur côté, les télescopes Keck (2 e rang mondial), dont les deux miroirs font 9,82 m chacun, sont constitués de 36 facettes hexagonales.
Vision liquide
Ermanno Borra, lui, croit dans la filière "miroirs
liquides". Plus légers, ils ne présentent pas
les problèmes de distorsion rencontrés avec les
miroirs de verre et surtout, ils coûtent jusqu'à
cent fois moins cher que leurs cousins. "Théoriquement,
on pourrait en construire qui font 20 ou 30 mètres de diamètre,
et peut-être même des beaucoup plus grands",
avance-t-il. Pour fabriquer un miroir liquide, le chercheur place
un liquide réfléchissant, le mercure par exemple,
dans une cuvette à laquelle un moteur imprime un mouvement
circulaire constant. Le liquide s'élève et s'étale
en une mince pellicule parfaitement lisse qui épouse la
forme d'une parabole et qui peut ainsi faire office de miroir
de télescope . "Pour obtenir des images de qualité
optique, explique le chercheur, il faut que les imperfections
à la surface du liquide soient inférieures au millième
de l'épaisseur d'un cheveu. C'est presque un miracle qu'on
y parvienne."
Le plus grand télescope liquide construit jusqu'à présent fait 3,7 m de diamètre mais Ermanno Borra n'entrevoit pas de problèmes majeurs à faire le saut vers un miroir de 6 m. La principale limitation du LZT demeure son manque de mobilité. Comme les autres miroirs liquides, on ne peut le pointer ailleurs qu'au zénith, sinon le liquide s'échapperait de la coupole. "Un miroir liquide voit le ciel comme une personne couchée sur le dos qui regarde droit au-dessus d'elle sans pouvoir tourner la tête ni bouger les yeux, explique le chercheur. Au-dessus du miroir, défile à la vitesse de la rotation terrestre, une étroite bande de ciel, à peine large comme deux fois le diamètre de la pleine Lune. Un astre donné met environ une minute à traverser son champ de vision."
L'avenir des télescopes à miroir liquide pourrait
bien dépendre de tests qui sont réalisés
présentement dans les laboratoires de la Faculté
des sciences et de génie. L'équipe d'Ermanno Borra,
en collaboration avec les professeures Anna Ritcey et Hélène
Yockell du
Département de chimie, explore la possibilité de
construire des miroirs inclinables en déposant un mince
film d'argent sur un liquide visqueux. Un étudiant-chercheur
du groupe, Étienne Artigau, est ainsi parvenu à
donner une inclinaison de 20 degrés à un miroir
liquide tout en conservant ses propriétés optiques.
Entre temps, comme les chercheurs entendent utiliser le LZT pour étudier la cosmologie et l'évolution des galaxies, le torticolis de leur instrument ne les embête pas outre mesure. "Il y a peu d'objets célestes qui ne sont pas représentés dans la bande de ciel que voit le miroir, souligne Ermanno Borra. De plus, l'Univers est si vaste et si peu connu que, peu importe où le regard se pose, il y a toujours de nouvelles choses à découvrir."
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