22 juin 2000 |
"Je remercie l'Université Laval pour le doctorat honorifique en sciences sociales qu'elle vient de me décerner.L'événement d'aujourd'hui me fait revivre mes premiers contacts avec la Faculté des sciences sociales il y a un demi-siècle. Engagé à l'époque dans les mouvements d'action catholique, j'avais été invité à prendre charge d'un projet de recherche en éducation populaire parrainé par la Faculté. Pendant plus de deux ans, ce travail m'amena chaque semaine dans les anciens locaux de la Faculté, rue de l'Université, où l'on me fit vite sentir que j'étais chez moi. J'eus ainsi le privilège de côtoyer non seulement le père Georges-Henri Lévesque, mais aussi Jean-Charles Falardeau, Eugène Bussière, Napoléon Leblanc, Albert Faucher, Doris Lussier, Gilles Bélanger, Gonzalve Poulin, Maurice Lamontagne et d'autres membres de la première génération de professeurs. À ma grande surprise, le père Lévesque, qui péchait parfois par excès de générosité, me fit un jour l'honneur de m'inviter à me joindre à son équipe, en prenant soin d'ajouter que, s'il manquait quelque chose à ma formation, il veillerait à ce que cette carence soit comblée avant que je commence à enseigner! Je fus tout réjoui de cette invitation. Je dus toutefois la décliner, me sentant appelé à un autre type d'engagement. Mais j'ai toujours conservé la nostalgie de ce milieu universitaire qui est par excellence, comme l'a magnifiquement écrit John Henry Newman, le haut lieu de la vie de l'esprit dans une société. Après avoir été éloigné de l'université par des engagements qui n'avaient pas toujours la cote d'amour parmi ses professeurs et ses étudiants, j'accueille avec joie et gratitude l'occasion que vous me fournissez, monsieur le recteur, de venir me retremper dans ce milieu de Laval où j'ai conservé de précieuses amitiés et dont l'apport au développement du Québec contemporain a été remarquable.
La plupart d'entre vous, chers diplômés, suivrez le même cheminement que celui qui vous parle. Tandis que quelques-uns auront le privilège de rester à l'université ou d'y revenir afin d'y enseigner et d'y poursuivre des recherches, vous emprunterez en plus grand nombre la voie des carrières dites pratiques. Si tel est le choix qui s'offre à vous, assumez-le en plénitude et sans complexe d'infériorité, sans regarder à côté ni en arrière. Tout en conservant de bons souvenirs de votre séjour à l'université et surtout une reconnaissance durable et agissante envers ceux et celles qui vous ont transmis leur savoir, n'ayez pas la nostalgie de ce milieu que vous allez bientôt quitter. Regardez surtout en avant. Car si la vie nous réserve à tous des moments d'épreuve, elle procure aussi aux personnes engagées dans l'action des défis très stimulants et de grandes satisfactions.
À titre de diplômés universitaires, on voudra trouver chez vous les qualités de rigueur, de discipline, de service et d'intégrité que l'on est en droit d'attendre de professionnels compétents. N'hésitez jamais à faire le mille additionnel auquel vous devrez consentir pour accéder aux plus hauts niveaux d'excellence dans votre travail professionnel. Si vous voulez être à la hauteur de la formation que vous avez reçue, efforcez-vous cependant de conserver par-dessus tout un esprit ouvert et en éveil en toute chose. Il n'y a rien de plus désolant qu'une cervelle bien remplie où l'esprit semble s'être éteint dans la routine et le conformisme. Rester ouvert intellectuellement, cela veut sans doute dire s'intéresser à tout ce qui peut rendre le travail quotidien plus riche par le contenu et la forme, plus créateur et plus orienté vers des horizons qui débordent les seules préoccupations de gain immédiat. Mais cela veut aussi dire s'intéresser à l'activité humaine sous toutes ses formes et particulièrement aux manifestations de la vie de l'esprit dans les livres, les arts, les sciences, la religion. Cela veut enfin dire s'intéresser à la vie de la société en général, y compris à la politique dont on dit de nous jours beaucoup de mal mais dont le pape actuel n'a pas craint de réaffirmer après Pie XI qu'étant le champ de la plus vaste charité, elle doit pouvoir dompter sur l'attention vigilante de tous les citoyens et sur l'implication active à itre de militants, de candidats ou d'élus, de tous ceux et celles qui en sont capables.
Parmi les sujets qui devront retenir votre attention, je voudrais souligner, en cette occasion particulièrement indiquée, l'appui que la société doit donner à l'université. Cet appui est nécessaire parce que l'université forme les scientifiques, les techniciens et les professionnels instruits dont la société aura de plus en plus besoin. Mais il est également nécessaire en raison du besoin que la société humaine aura toujours, pour mieux se connaître, se comprendre et se diriger, de lieux où sera cultivée comme un bien précieux et inviolable la liberté de l'intelligence et où celle-ci pourra s'adonner avec autant de zèle à l'approfondissement des questions à la fois les plus élevées et les plus apparemment dénuées d'importance qui se posent à l'esprit humain. L'utilitarisme à courte vue, basé sur la stricte analyse en termes de coûts-bénéfices, que véhicule le néo-libéralisme contemporain, s'insinue aujourd'hui partout. Il rôde même avec plus d'audace que jamais à la porte des universités et parfois même à l'intérieur de ses murs. Celles-ci devront pouvoir compter sur leurs professeurs, leurs diplômés et leurs étudiants, ainsi que sur une opinion éclairée, non seulement pour obtenir le soutien matériel auquel elles ont droit mais aussi et surtout pour éviter que, sous prétexte de leur venir en aide, on ne veuille les asservir aux volontés changeantes des gouvernements, aux impératifs des idéologies à la mode ou aux intérêts des corporatismes de toute sorte. Sans préjudice de l'apport concret qu'on doit en attendre pour l'étude de problèmes directement reliés à la marche de la société, le premier service de l'université envers la société est et doit demeurer l'exploration et la diffusion du savoir à l'abri de tout assujettissement à des intérêts extérieurs et à des critères de performance étroitement utilitaires.
Chers diplômées et diplômés de l'an
2000, je vous félicite chaleureusement de votre réussite.
Puisse le succès qui couronne aujourd'hui vos études
être le prélude de réalisations encotre plus
grandes dans l'avenir prometteur que vous permet d'entrevoir la
formation reçue dans ce lieu par excellence de la vie
de l'esprit qu'est l'Université Laval. Envers celle-ci,
sachez toujours conserver une pensée de gratitude et un
profond attachement!"
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