22 juin 2000 |
Le Conseil d'administration des télescopes Gemini a présenté à Jean-René Roy une offre qu'il ne pouvait refuser. Et il ne l'a pas refusée. À compter du 1er octobre, l'astrophysicien du Département de physique accrochera ses patins de professeur pour devenir directeur scientifique du télescope Gemini à Hawaii. À 56 ans, il quitte non seulement l'Université, où il travaille depuis 23 ans, mais également le Canada. "Ce ne sera sans doute pas comptabilisé dans les cas d'exode de cerveaux parce qu'officiellement, je pars à la retraite. Mais, dans les faits, c'est en un." |
La candidature de Jean-René Roy a été retenue au terme d'un concours ouvert à travers le monde. Le poste était convoité par plusieurs, compte tenu du fait que Gemini constitue présentement l'un des projets majeurs en astrophysique sur la planète. Ce projet prévoit la mise en opération prochaine de deux télescopes dotés de miroir de huit mètres, appelés à ouvrir une nouvelle fenêtre sur l'espace. "Ce sont les meilleurs télescopes au monde", affirme le chercheur, à moitié par conviction scientifique et à moitié en raison du chauvinisme qu'imposent ses nouvelles fonctions. "Ils permettront les observations dans le domaine de la lumière visible mais ils seront particulièrement bien adaptés pour capter et traiter la lumière infrarouge. Ceci favorisera les recherches sur les galaxies lointaines, sur les régions de formation d'étoiles de même que la recherche de planètes semblables à la Terre. La qualité des observations de Gemini dans l'infrarouge dépassera celle du télescope spatial Hubble."
Le Canada compte au nombre des sept pays, avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, le Chili, l'Argentine et le Brésil, qui collaborent au projet Gemini et qui en partagent la facture globale de 240 M$. Le télescope dont Jean-René Roy aura la responsabilité est situé au sommet du Mauna Kea à Hawaii (4 253 mètres d'altitude); l'autre est construit sur le Cerro Pachón (2 737 mètres) au Chili. L'ensemble permet l'observation de l'ensemble de la voûte céleste. "Pour des raisons politiques (les États-Unis règlent 50% de la facture totale du projet), je croyais que le poste allait être offert à un astrophysicien américain, spécialisé dans l'infrarouge", avoue Jean-René Roy.
Le directeur scientifique assumera la supervision d'une équipe composée de 17 chercheurs et techniciens. Il veillera non seulement au bon déroulement des activités des chercheurs qui obtiendront du temps d'observation à l'observatoire mais il assumera également le leadership scientifique de son équipe. "Il est clair que je vais continuer à faire de la recherche avec l'équipe que je dirigerai là-bas."
Réactions mitigées
Le recteur François Tavenas s'est dit fier de voir
un professeur de l'Université accéder à un
poste scientifique aussi prestigieux. Du même souffle, il
a déploré le départ d'un chercheur de réputation
internationale. L'annonce du départ de Jean-René
Roy survient un an après que le spécialiste de l'obésité,
Claude Bouchard, ait lui aussi accepté la direction scientifique
d'un grand centre de recherche américain.
Le départ de Jean-René Roy portera un autre coup aux effectifs déjà fragiles du Groupe de recherche en astrophysique de l'Université. "D'abord, nous sommes très heureux pour Jean-René, insiste le responsable du Groupe, Gilles Joncas. Le poste qui lui est offert est génial et c'est une reconnaissance de ses qualités de scientifique et de gestionnaire. Mais, après Eduardo Hardy qui nous a quittés en décembre 1997 pour accepter un poste au Chili, nous allons perdre un autre joueur d'impact quand Jean-René va partir cet automne. Nous ne serons plus que trois chercheurs. Il y a autant de travail et moins de bras pour le faire. Nos activités sont menacées."
Le départ de Jean-René Roy crée un trou noir dans l'équipe d'astrophysiciens. "C'était le sage parmi nous, celui qu'on allait consulter pour des questions scientifiques, politiques ou de financement de la recherche", souligne Gilles Joncas. Mince consolation, la situation est similaire chez les astrophysiciens de l'Université de Montréal, le partenaire de Laval dans l'Observatoire du Mont Mégantic. "Nous venons de recevoir 4,7 M$ de la Fondation canadienne pour l'innovation pour rénover l'Observatoire, signale Gilles Joncas. Jean-René était responsable de l'instrumentation. Il faudrait engager quelqu'un pour le remplacer mais pour le moment, en raison du contexte budgétaire de l'Université, il n'y a pas d'ouverture de poste en vue. Notre seul espoir repose sur les Chaires du XXIe siècle du gouvernement fédéral. Nous travaillons pour que ça débloque."
Réinvestir et vite!
"Le fait que je parte pour diriger un projet international
n'est pas dramatique en soi, insiste Jean-René Roy. Ça
se fait couramment dans les grandes universités ailleurs
dans le monde. C'est le signe qu'une institution a atteint un
certaine maturité sur le plan de la recherche. Ce qui est
inquiétant est que je ne serai pas remplacé. Pendant
mes quinze premières années à Laval, j'ai
senti que nous traversions une période de croissance extraordinaire
en recherche. En astrophysique et dans d'autres domaines, nous
avons constitué des équipes qui se sont imposées
parmi les meilleures dans le monde. Mais, depuis huit ans, les
coupures gouvernementales menacent de détruire tout ce
que nous avons construit. J'ai un peu l'impression de quitter
le navire au moment où il s'engage dans des eaux encore
plus houleuses."
Les gouvernements ont recommencé à investir dans la recherche, note-t-il, mais pas dans l'embauche de nouveaux professeurs. "On se retrouve dans une situation aberrante où il est plus facile d'obtenir des subventions de recherche que de les dépenser parce qu'il n'y a pas de relève chez les professeurs. La grande question est combien d'argent l'État veut-il investir dans l'éducation supérieure? Parce qu'on ne pourra pas continuer comme ça très longtemps sans affecter la qualité de la formation universitaire et la qualité de la recherche."
|