22 juin 2000 |
"Depuis Aristophane, depuis la commedia dell'arte,
en passant par Molière, Jules Romain et bien d'autres,
les doctes personnes ont souvent encouru les sarcasmes des auteurs
et fourni aux interprètes l'occasion de faire valoir leurs
talents pour la comédie.
Aujourd'hui, me voilà pris au piège, moi comédien, vous me faites docteur. Le premier moment d'étonnement passé, eh bien, vous m'en voyez grandement ravi. Diderot n'a-t-il pas écrit Paradoxe sur le comédien ?... cela dit en aparté pour un sourire. Je suis profondément touché de l'honneur qui m'est fait, touché et ému d'avoir le privilège de recevoir cet honneur en compagnie de Marc-André Hamelin, cet artiste aux dons exceptionnels pour qui j'ai la plus grande admiration. Bravo, Monsieur Hamelin !
Aujourd'hui, je ressens une grande joie et une grande fierté, sans prétention toutefois, car dans mon métier, on ne mérite rien seul. Mon seul mérite aura peut-être été de ne pas oublier cette évidence. Aussi, je pense en ce moment à tous ces artisans du spectacle, aux auteurs, aux comédiens, metteurs en scène, scénographes, techniciens, administrateurs qui, par leur appui, m'ont permis de prendre certains risques, d'obtenir certains résultats. Je pense à ces artistes qui, par leurs efforts souvent mal perçus... et mal reconnus, par leur travail mal rémunéré, par les défis qu'ils s'imposent sans raisons apparentes, contribuent à nous rappeler que nous sommes faits de l'étoffe même de nos rêves (comme le dit Shakespeare) et que le monde n'est qu'une vaste scène que nous traversons comme des acteurs.
Aujourd'hui, ces artistes, je les remercie en vous remerciant. Je pense aussi au public, notre maître exigeant et compréhensif, qui sait si bien stimuler notre vanité en contrôlant nos prétentions. Nous savons bien que les meilleures prestations ne demeurent qu'un pâle reflet de la vie: le spectateur a déjà connu l'amour, la haine, la joie, la colère, la tendresse, la solitude à un degré beaucoup plus intense dans sa vie de chaque jour. Mais la magie du théâtre fait que ce même spectateur devient complice de nos faiblesses en acceptant l'imperfection de notre jeu au nom de la vie. L'illusion devient réalité. Ce spectateur, je le remercie en vous remerciant.
Cette reconnaissance qui m'est accordée aujourd'hui confirme, au-delà des mérites d'un individu, la valeur du théâtre dans nos vies. Dans notre civilisation de l'image, où le contenant empiète chaque jour davantage sur le contenu, où le temps de la pensée et le temps de la parole sont fragmentés selon les besoins de la communication "clip", le théâtre, art vivant, le théâtre de présence réelle, loin d'être une forme d'expression archaïque et désuète, demeure un moyen privilégié de communication. Il apporte au public, dans le respect du temps de la réflexion, la possibilité d'exercer son droit d'accepter ou de refuser ce que l'auteur et l'acteur lui proposent, et cela en le manifestant spontanément. On ne peut jamais gagner la pièce avant de l'avoir jouée.
Le théâtre vivant demeure un bel enjeu des deux côtés de la rampe. Chaque soir différent, marqué du sceau de l'éphémère, et pourtant enraciné dans l'histoire et le temps comme l'immortel souvenir des antiques célébrations. Le théâtre EST une valeur culturelle. Le théâtre, pour moi, a toujours été d'abord un geste social, le reflet de la conscience collective et, selon l'expression consacrée, le miroir de la société.
Shakespeare incarne le tempérament anglais, Molière,
l'esprit français, Tchekhov, l'âme russe, Miller,
le caractère nord-américain. Regardons évoluer
notre théâtre. Il contient l'imaginaire qui nous
habite. Il exprime les aspirations qui nous guident au carrefour
de perceptions et d'idées nouvelles où nous parvenons.
Il nous accompagne sur l'échiquier multiethnique et multiculturel
où se jouera désormais notre avenir."
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