25 mai 2000 |
Certains sont partis en vacances, en voyage d'affaires à l'étranger ou encore sont hospitalisés ou en poste dans des endroits reculés. D'autres sont immigrants et méfiants des inquisitions gouvernementales. Plusieurs sont de jeunes hommes systématiquement opposés à toute forme de collaboration avec les gouvernements. D'autres enfin vivent dans des réserves amérindiennes qui chérissent leur autonomie. Cette faune bigarrée a un dénominateur commun: elle rassemble la grande majorité des quelque 2,5 % de la population canadienne qui échappe aux recensements quinquennaux.
"Lors du dernier recensement, en 1996, le sous-dénombrement a été estimé à 3,18 % et le surdénombrement (les gens qui sont comptés plus d'une fois) a atteint 0,74 %, de sorte que le résultat net est une sous-évaluation de 2,45 % des personnes", a expliqué Christian Genest, du Département de mathématiques et de statistique, lors du Congrès mathématique de l'an 2 000, qui s'est déroulé du 5 au 7 mai sur le campus.
Effets sur les transferts
Ainsi, selon le dernier recensement du 14 mai 1996, la population
canadienne s'élevait à 28 846 761 personnes; les
enquêtes subséquentes menées par Statistique
Canada ont indiqué que l'opération de dénombrement
avait omis 723 486 personnes, à plus ou moins 29 674 personnes
près. Au Québec, 116 750 citoyens (erreur-type de14
963) manquaient à l'appel. La variation du taux de sous-dénombrement
net d'une région à l'autre est particulièrement
problématique lorsque les statistiques de population servent
au calcul des paiements de transfert et de péréquation
aux provinces, signale Christian Genest Chaque individu représente
environ 4 000 $ par an au chapitre de la péréquation.
La somme est plus difficile à établir au chapitre
des paiements de transfert, en raison des subtilités comptables
des ententes fédérales-provinciales.
Les sous-dénombrés ne sont pas répartis de façon uniforme entre les provinces. Selon les enquêtes, il y en aurait peu à l'Île-du-Prince-Édouard (0,9 %) mais beaucoup plus en Colombie britannique (3,8 %), en Ontario (2,8 %) et au Québec (1,6 %). Depuis 1991, ces taux servent à ajuster les effectifs de chaque province même si leur imprécision frôle parfois les 20 %. Cette modification s'est faite à la défaveur du Québec, qui a ainsi vu ses effectifs diminuer, le privant ainsi de sommes appréciables. Par exemple, une sous-estimation de 5 000 personnes représente une perte d'environ 20 millions de dollars par année en paiements de péréquation.
Le poids des absents
Il n'en fallait pas plus pour que l'Institut de la statistique
du Québec se demande si la méthode de répartition
des non-dénombrés utilisée par Statistique
Canada était vraiment la plus équitable qui soit.
C'est dans ce contexte que Christian Genest et son étudiante-chercheure
Isabelle Auger ont réalisé une vaste étude,
par simulation informatique, pour comparer, selon 256 scénarios
différents, bon nombre de solutions de rechange. Plusieurs
de ces solutions étaient inspirées par les travaux
antérieurs de leur collègue Louis-Paul Rivest. Selon
le choix de la méthode, l'estimation de la sous-estimation
nette de la population québécoise pourrait passer
de 116 750 à 119 000 ou plus - une conclusion qui plaît
dans les officines gouvernementales québécoises
- mais elle pourrait aussi être rectifiée à
la baisse de façon significative, perspective moins agréable
à l'oreille des politiciens québécois.
Certaines des nouvelles méthodes visant une plus juste répartition des Canadiens non recensés ont été proposées par des statisticiens de Statistique Canada. Jusqu'à maintenant cependant, l'organisme fédéral a opté pour le statu quo: les données brutes du recensement corrigées à l'aide des résultats d'enquête servent encore à établir le nombre de Canadiens dans chaque province. "Il s'agit là d'une décision sage, estime Christian Genest. En l'absence de méthodes fiables à coup sûr, Statistique Canada se doit de demeurer conservateur."
À la danoise
On pourrait s'offusquer que l'opération de recensement,
qui mobilise 4 000 employés de Statistique Canada pendant un an et qui
coûte 500 millions de dollars au trésor public, ne
donne pas un portrait plus fidèle de la population canadienne.
Mais, juge Christian Genest, considérant les contraintes
de la méthode employée, la grandeur du territoire
à couvrir et la période de temps pendant laquelle
l'opération doit être réalisée, il
est difficile de recenser toute la population. Des pays comme
le Danemark ont réglé le problème en rendant
la carte d'identité obligatoire pour chaque citoyen, signale-t-il.
Dans ce pays, le recensement est donc grandement simplifié
puisqu'il s'agit uniquement d'imprimer, à une date donnée,
la liste des détenteurs de cartes d'identité.
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