25 mai 2000 |
IMAGES NOIRES D'UN FILM EXTRAORDINAIRE
J'ai vu, l'autre jour, dans le cadre de Vues d'Afrique, un
film extraordinaire : Passage du milieu. Un film sur les
esclaves noirs transportés comme du bétail sur les
bateaux négriers. Des images qui auraient été
intolérables si elles nous avaient été montrées
dans leur violence réaliste, mais sur lesquelles on réfléchit,
parce que le réalisateur, antillais Deslaurier, a eu l'intelligence
de les transformer. Nous les voyons s'étirer au ralenti,
ou se démultiplier en saccade par le collage des photogrammes,
ou encore devenir floues sous l'effet du gros plan extrême.
Des images-symboles qui nous font signe comme les mots d'une phrase.
Des images tantôt rivées à la réalité
horrible des cales à esclaves par l'emploi constant du
bruitage réaliste (craquements du navire, coups sur les
corps, sifflement des fouets, cliquetis des chaînes, cris,
plaintes, râlements des agonisants), tantôt qui transpirent
au-delà d'elles-mêmes par le commentaire off,
grave, méditatif, jamais accusateur, tantôt accédant
au recueillement par la musique qui relaie la voix.
Images, bruits, voix off, musique s'entrecroisent et concourent à faire de Passage du milieu un chant d'une gravité et d'une prégnance exceptionnelles, le chant des esclaves noirs, qui nous poursuit et nous taraude longtemps, sans cesse, qui fait surgir en nous un questionnement douloureux.
Comment se fait-il que l'on ait oublié, que l'on oublie toujours, le plus grand génocide de toute l'histoire humaine (250 millions de Noirs arrachés à leurs pays d'Afrique; 25 millions d'entre eux réduits en esclavage dans les Amériques; 225 millions, par conséquent, qui sont morts noyés, par suite de mauvais traitement, de scorbut ou autres maladies)? Comment se peut-il que l'on n'ait pas marqué la conscience des Blancs d'images indélébiles sur un génocide qui a déstructuré l'Afrique jusqu'à aujourd'hui et, peut-être, pour toujours?
Comment expliquer, en comparaison, que les Juifs qui ont eu 40 fois moins de morts ne cessent de rappeler l'holocauste, sans interruption, depuis un demi-siècle, par tous les moyens, dans les livres, les musées, au théâtre et au cinéma (les films sur la Shoah sont tellement nombreux qu'ils sont devenus un genre en lui-même, comme les films de guerre ou les films de science-fiction).
C'est que, au contraire des Noirs, les Juifs ont le pouvoir de culpabiliser les consciences. Et ils ne s'en privent pas. Dès qu'ils sentent la moindre remontée de l'antisémitisme, ils nous projettent un film sur les camps de la mort. Ils ont beau jeu, ils dominent les studios d'Hollywood depuis les années vingt. Dès qu'un chef d'État est en tournée en Israël, ils lui font visiter le musée de l'holocauste de Jérusalem, dans un premier temps, puis, dans un second temps, ils le transportent en hélicoptère sur les bords du lac de Tibériade où le pauvre homme, les yeux encore humides des horreurs qu'il vient de voir et la gorge nouée par l'émotion, jette à la caméra des phrases comme celle-ci : " ils ont toutes les raisons du monde de vouloir le garder (le lac) ".
D'une part, les images du génocide juif qui se sont répandues dans le monde, à flot ininterrompu, depuis l'après-guerre, qui disent haut et fort le lancinant " jamais plus " des Juifs ", qui ne cessent de hanter la conscience internationale, qui contribuent à renforcer et à agrandir l'État d'israël, dans l'impunité des Nations Unies.
D'autre part, une absence d'images pour le plus grand génocide de tous les temps; ce qui veut dire que l'horreur de l'esclavage des Noirs ne s'est pas inscrite dans la conscience des Blancs. Et quel est le résultat de ce trou de mémoire? Les millions d'images noires, ponctuelles, au jour le jour, qui défilent sur nos téléviseurs depuis 20 ans : les files de réfugiés en haillons sur les routes, les enfants squelettiques, les mères aux seins vides de lait, les bras et les jambes coupées à la machette, les charniers à ciel ouvert, les crânes qui s'amoncellent dans des hangars, ces images-là ne nous dérangent pas pour la peine; pire, elles sont stériles et encombrantes pour nos méninges de Blancs. Pourquoi cela? Parce qu'elles n'ont pas de cause qui pourrait leur donner du sens, parce que les images d'origine, les images matrices, celles du passé esclavagiste, lesquelles pourraient nous responsabiliser et nous mettre dans le coup, n'existent pas. Stériles et encombrantes ces images? Il faut dire plus : elles réveillent, entérinent et renforcent en nous notre racisme latent. À force de se faire voir en direct dans nos salons et nos salles à manger, entre nos gorgées de vin et nos bouchées de homard, distillant toujours, dans leur réalisme à courte vue, la même impuissance, la même misère, la même famine, la même sécheresse, la même agonie, la même mort, à la longue, prend forme dans nos caboches de Blancs l'idée que les Noirs sont des êtres inférieurs.
Si nous étions acculés au choix suivant : devenir Noir ou homosexuel, la plupart d'entre nous opteraient pour l'homosexualité. Même en sachant qu'ils risqueraient gros, dans leur désespérance, d'attenter à leur vie.
L'HOMME AFRICAIN N'EST PAS UN GUERRIER PERMANENT
La guerre d'invasion imposée aux Congolais par l'Ouganda,
le Rwanda, le Burundi, et leurs alliés américains,
britanniques, israéliens, etc. , semble se retourner contre
les mercenaires des multinationales minières. Hier, les
médias occidentaux encourageaient le nationalisme ethnique
"Armée majoritairement tutsi" , aujourd'hui ces
mêmes médias ne disent plus rien sur l'évolution
de la situation conflictuelle dans la région des Grands
lacs africains, comme si la paix était revenue. Selon AfroAmerica
Network, trois événements sont à la une
ces deux dernières semaines. Le premier concerne "le
crocodile patriote" qui a fait chavirer un bateau burundais
qui transportait troupes et munitions vers la zone occupée
de Fizi-Itombwe au Sud-Kivu. "L'oiseau patriote" fait
l'objet du second événement. Cet oiseau est à
l'origine de l'écrasement d'un Antonov-8 qui transportait
des officiers militaires de l'Armée patriotique rwandaise
(APR) aux cérémonies d'investiture du général
Kagame à la présidence de son pays. Le dernier événement
fait état des conflits d'une part entre Kigali et Kampala,
et d'autre part, entre les Tutsis venus de l'Ouganda contre ceux
du Rwanda et de la diaspora. Ces conflits risquent de mettre fin
au projet "Pipelines de Salomon" qui consiste à
drainer l'eau du fleuve Congo pour l'offrir gratuitement aux Israéliens
sans l'accord et l'avis de la population congolaise (PANA,
27 janvier 2000); et au projet américain du démantèlement
de la RDC (Cahier des Grands-Lacs, numéro 20 du
23 mars 2000) .
Le Burundi, n'ayant pas signé les Accords de Lusaka, a voulu renforcer ses positions sur le territoire congolais. Ainsi, un bateau plein d'armes et des munitions, à bord duquel voyageaient 200 soldats burundais, a coulé dans le lac Tanganika, entre Kabimba et Wimbi, en territoire occupé de Fizi-Itombwe. Selon la dépêche du jeudi 27 avril 2000, il n'y a eu aucun survivant. L'accident est survenu le 13 avril au moment où la nouvelle de "l'oiseau patriote" était à la une. Cette même source dit que l'accident a été causé par un gros crocodile qui s'est introduit dans le moteur créant ainsi un déséquilibre qui a fait chavirer le bateau. Si les Rwandais ont reconnu que leur avion avait été abattu par un oiseau congolais, les Burundais ont d'abord voulu faire taire l'événement. Ensuite, ils ont vite cherché à mettre le naufrage sur le dos des Forces d'autodéfense Mayi-Mayi, tout en étant favorables à la thèse du " crocodile patriote". Les Mayi-Mayi ne se sont pas encore prononcés sur cet incident.
Le 19 avril 2000, un avion transportant des officiers rwandais s'écrase, tuant, selon le bilan officiel, un major, 17 capitaines, 20 lieutenants, des soldats de rang et les membres de l'équipage, tous des Russes, pour un total de 57 personnes. Les proches de ces victimes estiment que ce nombre dépasse 100. À ce chiffre il faut ajouter que plus de 50 soldats qui ont été envoyés pour récupérer les corps. Ceux-ci malheureusement sont tombés dans une embuscade tendue par la résistance populaire. Très peu d'entre eux en sont sortis vivants.
Quant à la cause de cet écrasement, deux versions sont évoquées. La première est celle d'un "oiseau patriote" qui s'est réfugié dans le moteur de l'avion causant ainsi l'écrasement. La seconde vient des déclarations des Mayi-Mayi, la force de résistance populaire. Ceux-ci affirment avoir abattu aussi deux avions de combat, un au-dessus du parc national de Kahuzi Biega au Sud-Kivu, et l'autre au-dessus du lac Tanganika. La version de "l'oiseau patriote" est toujours maintenue par les autorités rwandaises.
En août 1999, des combats ont opposé les armées rwandaise et ougandaise à Kisangani, troisième ville de la RDC située dans une région diamantifère. Plus de 300 personnes y ont perdu la vie. Les chefs d'état-major des deux armées s'étaient mis d'accord pour démilitariser la ville, la partager en zones de contrôle, réduire leurs effectifs et créer une force mixte de maintien de l'ordre. Le vendredi 5 mai 2000, ces deux armées se sont de nouveau engagées dans des conflits armés à l'aéroport de Kisangani. Après un cesser le feu, on constate que l'Ouganda déploie ses troupes sur ses frontières avec le Rwanda, notamment à Mirama, à Gafunzo et à Ntungamo. Du côté rwandais, le gouvernement a renforcé ses troupes dans la région d'Umutara (Xinhua, 8 mai 2000) et à Nyabushongezi. Les alliés d'hier sont devenus des ennemis à cause de la richesse de la RDC qu'ils pillent. Qui d'entre eux a fait une bonne conquête ?
À Kigali, le pouvoir crée d'autres conflits. Le régime de Kagame se méfie plus du revanchisme et de la frustration sociale des Tutsis que de l'activisme des Hutus, réduits à l'impuissance. Ainsi, pour se protéger, le régime de Kagame, composé majoritairement des Rwandais venus de l'Ouganda, a opté pour la stratégie d'exclure les Hutus, les Tutsis du Rwanda et les Tutsis de la diaspora de l'arène politique du pays. On peut citer par exemple Pierre-Célestin Rwigema, un Hutu membre du gouvernement de 1999, Joseph Sebarenzi Kabuye, un Tutsi, président du Parlement et réfugié au Danemark, la mort du conseiller de l'ex-président du Rwanda, Pasteur Bizimungu; Bizimungu lui-même fut forcé de démissionner, etc. Après l'élimination politique des Hutus, l'exclusion des Tutsis n'appartenant pas au cercle des fidèles de Paul Kagame marque l'isolement progressif du petit groupe qui monopolise le pouvoir. Ces fidèles sont tous originaires d'Ouganda (Jean-Philippe, R. , Libération du lundi 24 avril 2000) . Oubliés, les rescapés du génocide sont maintenant comptés au rang des opposants par le noyau dur du Front patriotique rwandais (FPR) , qui leur reproche autant d'avoir accepté de vivre sous l'ancien régime hutu que de nourrir des intentions revanchardes à l'égard de ces mêmes Hutus. Dans ces conflits on note aussi la volonté des Tutsis rwandais et Hutus de restaurer la monarchie comme une solution pour la réconciliation nationale. Le monarque Kigeri V étant en exile, le régime de Kagame s'oppose farouchement à cette initiative. Les contributions tant matérielles qu'humaines que les non Rwandais d'origine ougandaise ont donné au FPR s'avèrent inutiles. Ils ont financé leur propre exclusion du pouvoir.
La nature finit toujours par retrouver son équilibre. Après 22 ans d'occupation du Sud du Liban par l'armée israélienne, des perspectives d'un retrait militaire israélien sont en discussion. Quel gâchis si l'on pense aux dépenses et pertes engagées pour un projet qui, en fin de compte, s'avère inutile (AFP, Le monde en bref du mardi 4 avril 2000) ? L'occupation de l'Est de la RDC tend aussi à s'orienter dans le même sens. Les mercenaires des multinationales minières et de la coalition anglo-saxonne risquent de se retrouver dans une position désagréable dans peu de temps. Pour éviter cette situation, ils voudraient l'intervention de l'ONU le plus vite possible. Dans l'entre temps, Museveni et Kagame viennent de se mettre d'accord sur le dos des Congolais pour que la ville de Kisangani soit gérée par un administrateur de la MONUC. Va-t-on vers la mise sous tutelle de la RDC par l'ONU comme au Kosovo ? Les ancêtres des Congolais ne toléreront pas cela. "Si vous ne pouvez pas gagner une bataille, évitez-la ." De ce constat, depuis que tout au Congo fait la résistance, le pire est à craindre du côté des agresseurs. "Un bûché qui brûle ardemment s'éteint aussi rapidement". La nature de l'homme africain n'est pas de persister dans un état de guerre permanent.
ARISTOTE ET LA RÉVÉLATION
Nous estimons que le débat sur les contradictions de
l'école confessionnelle a assez duré compte tenu
que les trois personnes qui ont réagi à notre texte
n'ont pas vraiment pris la peine de réfuter nos arguments.
Ils ont préféré nous amener sur le terrain
de la religion où la foi et les croyances remplacent les
arguments. Le dernier texte du professeur Lux en est un bon exemple.
En disant qu'Auguste Comte "créa néanmoins
sa propre religion", le professeur Lux oublie cependant de
mentionner que cette religion était toute terrestre, naturelle,
sans relation aucune avec un Dieu quelconque. Il l'appelait en
fait la religion de l'humanité. Un tel oubli d'un professeur
de sociologie nous laisse songeur.
Le professeur Lux avance également que "le raisonnement
rigoureusement déductif d'Aristote l'amène à
démontrer l'existence d'un Dieu ". Il oublie encore
une fois que tous les arguments d'Aristote et même ceux
de saint Thomas d'Aquin démontrant l'existence de Dieu
ont été systématiquement démolis par
les philosophes modernes. En d'autres mots, personne n'a réussi
à ce jour à démontrer l'existence de Dieu
par la raison. Je doute qu'un professeur émérite
en sociologie ignore un tel fait.
Le professeur Lux n'affirme-t-il pas lui-même que le raisonnement
d'Aristote l'a "conduit aux portes de la Révélation,
qu'il ne peut certes franchir avec sa seule raison"? Et nous
voilà ramenés à nouveau à la foi,
aux croyances et aux expériences subjectives sur lesquelles
certains individus construisent leurs vérités absolues
qui demeurent habituellement imperméables aux arguments
raisonnables.
Dans son effort pour nous démontrer que Dieu existe, le
professeur Lux utilise un passage de G. Messadié dans son
Histoire générale de Dieu (1997) qui dit
"qu'il n'y a pas de contradiction entre le besoin de Dieu
et la logique". Messadié, comme nous d'ailleurs, ne
voit pas de contradiction entre le besoin de Dieu et la logique
mais il en voit sûrement une entre l'existence de Dieu et
la logique. Le besoin de Dieu ne prouve d'aucune façon
l'existence de Dieu. Nous comprenons mal que cette distinction
majeure ait échappé au professeur Lux.
Nous n'irons pas jusqu'à dire, comme l'historien Fustel
de Coulanges, qu'"une croyance est l'oeuvre de notre esprit
[] Elle est humaine et nous la croyons Dieu". Nous disons
seulement que la science et la réflexion n'ont pas été
capables de démonter l'existence de Dieu pas plus que les
philosophes et les théologiens. Est-ce qu'on ne pourrait
pas avoir l'humilité de dire simplement qu'on ne sait pas.
Est-ce si difficile ?
En terminant, nous aimerions souligner que même si le Parti
Québécois a pris peureusement le virage de la déconfessionnalisation
que nous préconisons, il refuse toujours de se tenir debout
devant le lobby de l'Assemblée des évêques.
Ce manque de courage politique, critiqué dans les grands
quotidiens, continue de cautionner une école qui divise
les Québécois, nourrit l'exclusion et coûte
des millions en rapports et en commissions. Comment peut-on penser
que l'on peut véritablement éduquer dans une école
injuste et immorale, remplie de contradictions et d'incohérences
? Si l'on veut vraiment améliorer l'école québécoise,
c'est à cette tâche-là qu'il faut s'attaquer
en premier lieu.
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