27 avril 2000 |
Malgré la connotation péjorative qu'on leur accole au Québec, les chicots - des arbres mourants ou morts mais toujours sur pied - constituent un élément essentiel de l'habitat de plusieurs espèces fauniques forestières, notamment le Grand Pic. Malheureusement, malgré toute leur bonne volonté, les gestionnaires des ressources forestières ne considèrent pas forcément les habitats fauniques à la même échelle qu'un Grand Pic et pareille différence peut porter préjudice à cette espèce ainsi qu'aux autres animaux forestiers dont on tente de gérer l'habitat, avancent trois chercheurs de l'Université dans un récent numéro du Journal canadien de zoologie "Gérer l'habitat hétérogène du Grand Pic en ne considérant qu'une seule échelle choisie arbitrairement par un gestionnaire peut s'avérer inapproprié, surtout si on omet d'inclure des éléments importants pour cette espèce, notamment la présence de chicots de fort diamètre, signale l'un des auteurs de l'étude, André Desrochers. |
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Photo Dan Sudia |
Autrefois, on coupait systématiquement les chicots parce qu'ils représentaient un danger pour les travailleurs forestiers. On les avait même surnommés "les faiseurs de veuves". Aujourd'hui, avec toute la machinerie forestière, ce sont les chicots qui sont en danger."
Quelle échelle faut-il adopter pour englober tous les besoins d'une espèce exigeante comme le Grand Pic? Pour répondre à cette question, il faut d'abord bien connaître les besoins de l'espèce. C'est ce qu'ont fait l'étudiant-chercheur Carl Savignac et les professeurs André Desrochers, du Centre de recherche en biologie forestière et Jean Huot, du Centre d'études nordiques, en étudiant les facteurs qui conditionnent la sélection de l'habitat chez le Grand Pic.
Macrohabitat et microhabitat
L'étude, qui couvrait un territoire de 1 400 km carrés
dans la Réserve faunique de la Mastigouche et dans le Parc
national de La Mauricie, considérait l'habitat du Pic à
deux échelles. La première, celle du macrohabitat,
correspond à la dimension du territoire défendu
par chaque pic et couvre environ 154 hectares, soit l'équivalent
de 256 terrains de football. Les chercheurs détectaient
la présence des pics en diffusant, à partir de 75
stations d'appel, des enregistrements de cris
et de tambourinages
de Grand Pic. Ils effectuaient ensuite la caractérisation
de l'habitat (type de végétation, âge des
arbres, couvert, ensoleillement, présence de chicots, etc.)
à chacun des sites fréquentés ou non par
les pics. La seconde échelle, celle du microhabitat, couvre
0,04 hectare, l'équivalent de dix tables de ping-pong,
et se veut un reflet de l'échelle à laquelle le
pic exerce ses activités d'alimentation. Les chercheurs
déterminaient qu'un pic utilisait le site lorsqu'ils détectaient
la présence de trous d'alimentation récemment visités
sur un arbre (grande cavité rectangulaire de 10 cm par
30 cm dans le tronc avec copeaux non oxydés au pied de
l'arbre). Ils effectuaient ensuite la caractérisation des
habitats fréquentés ou ignorés par les pics.
Leurs analyses ont révélé qu'il existait des dénominateurs communs aux deux échelles considérées, notamment un attrait pour les forêts matures âgées de 51 à 90 ans. Cependant, à l'échelle du macrohabitat, la présence des pics était surtout conditionnée par les variations du couvert forestier, leur préférence allant vers les peuplements matures de forêt mixte. À l'échelle du microhabitat, l'abondance des chicots de fort diamètre constituait le facteur prédominant. "Le Grand Pic a besoin de gros chicots et ça ne se mesure pas à l'échelle du peuplement", résume André Desrochers.
Les chicots abritent souvent des colonies de fourmis charpentières dont se régalent les Grands Pics. Ces oiseaux y creusent aussi des trous pour y loger leur nid. "D'autres oiseaux comme certaines espèces de hibou, le Canard Branchu ou le Grand Bec-scie, incapables de creuser le bois, viendront ensuite nicher dans les cavités creusées par le Grand Pic, signale le chercheur. Les écureuils volants, les pékans et les chauve-souris utilisent également les chicots. En fait, environ la moitié des animaux forestiers ont besoin des chicots pour se loger ou se nourrir."
Les gestionnaires forestiers désireux d'exploiter une forêt mature sans condamner les Grands Pics et leurs compères à fuir vers d'autres cieux devraient donc préconiser des coupes sélectives qui épargnent les chicots de fort diamètre. "Il y a dix ans, des recommandations de ce genre n'auraient pas été prises au sérieux, estime André Desrochers. Aujourd'hui, elles sont fréquemment intégrées dans les prescriptions de coupe", se réjouit-il.
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