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27 avril 2000 ![]() |
L'un pointe d'un doigt accusateur les dirigeants de ce monde, qui ne visent que leur profit et se moquent des solidarités humaines. L'autre accuse la progression démographique galopante d'épuiser cette ressource pas si renouvelable. Mais au delà de leurs divergences, Ricardo Petrella, le chantre de l'anti-mondialisation, et Jean-Baptiste Sérodes, professeur au Département de génie civil de l'Université Laval, sont tombés d'accord sur un constat, lors d'un débat qui avait lieu récemment dans le cadre de la Chaire publique de l'AELIÉS: l'eau est en danger sur la planète bleue, et il faut réfléchir à des moyens pour l'utiliser sans mettre la Terre à sec.
Les économistes, qui rêvent de transformer le Québec en Émirats arabes unis de l'or bleu et de convertir les grands pétroliers en navires exportant l'eau dans leurs soutes, devraient prêter une oreille attentive au discours de Ricardo Petrella. Le président de l'Université européenne de l'environnement n'a pas de mots assez durs pour dénoncer la privatisation progressive de l'eau, "ce bien commun patrimonial de l'humanité", qui appartient autant aux hommes, qu'aux plantes ou aux animaux.
À l'entendre, les 140 ministres réunis à La Haye en mars dernier, lors d'une conférence internationale sur l'eau, ont commis un crime en considérant l'accès à l'eau comme un besoin, et non comme un droit. Du même coup, ils proclamaient en effet ne pas avoir d'obligations envers les quelque 1,6 milliard de personnes qui n'ont pas accès à cette source de vie. "Quelle supercherie économique, politique et scientifique!", s'exclame Ricardo Petrella, qui est aussi le président-fondateur du Groupe de Lisbonne. Quelle ironie, à ses yeux, qu'une telle position soit défendue par des pays qui se disent défenseurs des droits humains comme le Canada
L'eau tue, aussi
La bataille pour la privatisation de l'eau n'a donc rien d'un
débat éthéré et théorique,
comme l'a précisé Jean-Baptiste Sérodes,
en rappelant les différents traités internationaux
signés, depuis 1945, pour la gestion de l'eau. Chiffres
à l'appui, il souligne l'enjeu que représente l'accès
à une ressource qui tue 10 000 personnes par jour, faute
de traitements sanitaires adéquats. "Dans 20 ans,
si on est huit milliards sur la Terre, on va utiliser toutes les
ressources d'eau potable disponibles, indique le chercheur. La
bataille pour l'accès à l'eau est perdue d'avance
si la population n'est pas stabilisée."
Conscients de l'immense valeur que recèle cette ressource, de nombreux pays décident, comme l'Angleterre ou le Chili, de privatiser l'accès au robinet. Jean-Baptiste Sérodes précise d'ailleurs que la Conférence de Dublin a entr'ouvert une porte, dès 1992, en définissant l'eau comme un bien économique. Au Québec, l'enjeu porte essentiellement sur l'exportation d'un bien qui abonde dans les très nombreux lacs et rivières souterraines dispersés sur le territoire. Le Parlement québécois s'apprête ainsi à voter une loi qui autorise le captage et la vente d'eau, jusqu'à concurrence de 7 millions de mètres cubes par an. Actuellement, l'industrie en exporte seulement 0,25 million de mètres cubes, essentiellement vers les États-Unis.
Attention!, prévient Ricardo Petrella. Car les pays qui considèrent l'eau comme un bien économique risquent bientôt de voir cette ressource assujettie aux lois du commerce mondial. Les investisseurs privés, dont la gestion échappe aux conseils municipaux, aux gouvernements, aux Nations Unies, pourraient donc facilement s'approprier l'or bleu. "L'eau révèle une décadence fantastique du fonctionnement de la démocratie", martèle le président de l'Université européenne de l'environnement.
Une ressource à gérer localement
Ricardo Petrella plaide donc en faveur de la négociation
de contrats de solidarité, qui prennent en compte la gestion
durable de l'eau, afin que les habitants décident ensemble
localement de la meilleure façon de gérer cette
ressource. Une ressource à ne pas gaspiller en remplissant
d'eau fraîche les 560 000 piscines californiennes, ou en
dépensant des milliers de litres d'eau pour fabriquer une
automobile.
De son côté, Jean-Baptiste Sérodes approuve
le principe des discussions locales autour de la gestion de l'eau.
Il souligne, d'ailleurs, que de nombreux pays actuellement asséchés,
comme l'Éthiopie, pourraient avoir accès à
l'eau s'ils consentaient les investissement nécessaires
dans ce secteur plutôt que de se consacrer à la guerre.
Mais encore faudrait-il, répète-t-il, se préoccuper
également du grave problème de l'accroissement de
la population.
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