13 avril 2000 |
Deux professeurs de l'Université Laval, l'historien et sociologue Denys Delâge et le vice-doyen de la Faculté de droit, Ghislain Otis, ainsi qu'un négociateur innu du Conseil tribal de Mamuitum, Denis Gill, ont débattu récemment de l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones, dans le cadre du colloque Nord-Laval, organisé par le Groupe d'études inuit et circumpolaires (GÉTIC).
Le débat ne pouvait tomber davantage à point. En effet, le gouvernement du Québec annonçait quelques jours plus tard la signature d'une entente historique avec une partie de la communauté innue-montagnaise. Cet accord permettrait aux autochtones d'obtenir la propriété exclusive de terres, et l'abolition des réserves. Il prévoit aussi le versement de ressources financières importantes pour asseoir l'autonomie gouvernementale, et pour compenser la confiscation d'une partie du territoire par les Blancs. Des points qui ont justement été abondamment évoqués lors de la discussion entre les invités à la tribune et le public.
Même si l'opinion exprimée par les trois participants au débat différait parfois sur la forme exacte que devrait prendre un futur gouvernement autochtone, tous se sont entendus sur la nécessité d'un changement radical du statut actuel de ces citoyens, trop assujettis à l'État. Un assujettissement qui remonte à plusieurs siècles comme l'a rappelé l'historien et sociologue Denys Delâge en évoquant la situation qui prévalait en Nouvelle-France. "En 1660, au moment de la défaite des Hurons devant les Iroquois, et de l'apparition de nombreuses épidémies, le gouverneur devient le père, à la fois défenseur et pourvoyeur, précise-t-il. Les autochtones sont donc placés sous sa subordination. "
Un paternalisme asservissant
Les rapports entre Amérindiens et colons, jusqu'alors
teintés d'égalitarisme, se transforment donc peu
à peu pour aboutir à un rapport de force nettement
défavorable aux autochtones lors de la Conquête.
Les nouveaux maîtres britanniques leur font valoir en effet
qu'ils ne peuvent réclamer de frais de location pour les
terres désormais occupées par les Blancs, puisque
le territoire appartient au Roi. Les autorités expliquent
également aux Amérindiens, de moins en moins nombreux,
qu'ils doivent faire de la place aux colons européens,
dont le nombre ne cesse d'augmenter.
Privés de leurs droits sur leur territoire, les autochtones ont donc tendance à se diviser, selon l'analyse de Denys Delâge, et à traquer parmi eux les "faux" Indiens, comme les Métis. "La logique qui a placé les Amérindiens dans un statut d'enfants les exclut de l'accès à la citoyenneté, remarque le sociologue. Bien sûr, les traités leur permettent de défendre leurs droits, mais je crois qu'ils devraient y renoncer pour accéder à une autonomie politique sans des liens de sang, ou la référence à tel ou tel mariage d'ancêtres." Un peu plus tard dans la discussion, le professeur revient d'ailleurs sur l'absolue nécessité pour les autochtones de sortir de la tutelle fédérale, et d'acquérir une notion d'appartenance fondée sur un contrat social et non le droit du sang.
Abolir les réserves?
"Prenez les Hurons, par exemple, indique Denys Delâge.
Ils vont obtenir davantage d'autonomie grâce à leurs
traités, mais ils risquent de disparaître d'ici cinquante
ans puisqu'ils se marient surtout en dehors de leur communauté."
Le juriste Ghislain Otis abonde un peu dans le même sens
lorsqu'il plaide pour l'abolition "du modèle colonial
des réserves." Selon lui, il devient urgent pour les
autochtones de réfléchir à leur définition
de la citoyenneté. "Quel est le groupe de référence
qui peut hériter d'un titre? Faut-il se baser sur le groupe
multifamilial, la nation, le clan familial? Quels droits doit-on
consentir aux autochtones qui vivent en milieu urbain?" se
demande-t-il.
À en croire ce professeur de droit, il faut donc inventer un fédéralisme qui permette aux autochtones d'exercer leurs droits politiques à part entière, sans pour autant les couper du reste de la société. Il cite ainsi l'exemple, selon lui peu réussi, de l'accord entre la nation Nisga'a et la Colombie-Britannique qui transforme en citoyens de seconde zone les personnes non-autochtones qui résident sur le territoire de cette nation amérindienne.
De son côté , Denis Gill, un des négociateurs du Conseil tribal Mamuitun qui a signé l'entente récente avec le gouvernement du Québec, a insisté sur la nécessité pour les autochtones de développer des services gouvernementaux particuliers qui leur permettent de demeurer distincts. Reconnaissant à l'instar des autres participants au débat que la loi actuelle sur les Indiens renforce leur dépendance par rapport à l'État et qu'elle est périmée, il a soulevé les difficultés rencontrées pour la modifier. En effet, les autochtones ne parlent pas tous de la même voix, et les avis divergent sur la définition d'un gouvernement autonome. Faut-il partir du Conseil de bande, de la communauté, de la nation? Comment par ailleurs développer une véritable autonomie sans s'appuyer sur une véritable indépendance économique?
Autant de questions encore en suspens, et qui demeurent vraiment d'actualité. En effet, alors même que le Conseil tribal de Mamuitum, qui regroupe environ les deux-tiers des Innus - Montagnais s'entendait avec les autorités québécoises sur le principe d'une entente, d'autres représentants de cette nation marquaient leur désaccord. Denis Gill ne savait pas si bien dire lorsqu'il évoquait le "manque d'unité " des nations autochtones.
|