13 avril 2000 |
Cette année encore, le Service des activités
socioculturelles, le journal Au fil des événements
et le Cercle d'écriture de l'Université Laval (CEULa)
ont tenu le concours "L'image des mots" qui vise à
reconnaître et à diffuser le talent étudiant.
Ce concours s'adresse aux étudiants et aux étudiantes
de l'Université Laval et a pour objectif de sélectionner
des dessins pour illustrer les textes gagnants du concours littéraire
du CEULa, publiés dans la 22e édition de L'Écrit
primal, parue cette semaine, Nous vous présentons,
en ces pages, les textes gagnants dans les catégories "nouvelle"
et "poésie", ainsi que les illustrations gagnantes
du concours "L'image des mots".
En cet après-midi pluvieux d'octobre, l'ambiance était plutôt tranquille au Château Frontenac. Il était environ deux heures et Luc, le réceptionniste, lisait distraitement le journal lorsqu'il fut interrompu par l'arrivée d'une femme. Il posa alors son journal et afficha son sourire du dimanche tout en observant la nouvelle venue. Détrempée jusqu'à l'os, elle ne portait qu'un sac de voyage pour tout bagage. De belle apparence; plutôt petite, les cheveux bruns roux mi-longs, de beaux yeux noisette, le teint rosé, elle semblait avoir tout au plus 28 ans. Elle s'approcha du comptoir et se présenta dans un français correct quoique teinté d'un fort accent américain.
- Salut, je suis Élisabeth Tucker. J'ai réservé
la chambre 308 - NO! Non ce n'est pas correct. J'ai demandé la chambre 308 pour le 28 octobre and I want this room, understand ? - Je comprends très bien, Madame, que vous avez une préférence pour cette chambre, mais nous sommes dans l'impossibilité de vous l'offrir. Toutefois, nous sommes disposés à vous offrir une chambre d'une qualité supérieure pour le même prix, une suite si vous le désirez. - Non, non et non. J'ai réservé ma chambre depuis près d'un an et j'ai demandé expressément la chambre 308. Je veux celle-là et aucune autre. |
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Illustration Mélanie Denis |
- Eh bien, Madame, ce ne sera pas si simple que cela attendez, je vais aller voir ce que je peux faire avec mon patron.
La jeune femme resta plantée devant le comptoir jusqu'au retour du réceptionniste. Elle ne posa même pas son sac sur le sol. Elle avait le rouge aux joues et semblait prête à exploser d'un instant à l'autre.
- Madame, c'est qu'il y a eu de la peinture dernièrement dans la chambre et
- No problems !
- Oui, mais vous risquez d'être indisposée par l'odeur.
- No problems !
- Bon eh bien, si c'est ce que vous désirez, voici la clef, mais je vous aurai prévenue. Si jamais vous changez d'idée au cours de la journée, n'hésitez pas à venir me voir et on va vous trouver une chambre.
Liz n'écouta même pas la dernière recommandation et se dirigea vers l'escalier pour monter à sa chambre. Le même escalier qu'elle avait pris cinq ans plus tôt avec son mari afin d'y passer leur nuit de noces. Elle se souvenait du chemin comme si elle l'empruntait à tous les jours. Lorsqu'elle arriva devant la porte de la chambre, elle eut un pincement au coeur : cela lui faisait drôle d'être là sans son homme, sans Mike. Elle s'attendait presque à le voir sur le lit, mais c'était impossible, il ne devait pas être là avant six heures, elle avait donc le temps de se préparer avant son arrivée.
Elle s'installa sur le lit pour reprendre son souffle. Un regard circulaire lui apprit que la chambre n'avait pas changé, sinon par la couleur un peu plus foncée de la peinture. Bien sûr l'odeur n'était pas agréable, mais elle se devait de l'attendre, c'est ici qu'il viendrait. Elle se secoua un peu pour sortir de sa torpeur et décida d'enlever son linge mouillé et de prendre une bonne douche. Après avoir complété sa toilette, elle mit les sous-vêtements frivoles qui lui plaisaient tant. Elle pensa ensuite à mettre une robe par-dessus les jarretelles noires, la petite culotte de dentelle rouge et le soutien-gorge assorti, mais à quoi bon s'encombrer de vêtements supplémentaires. Elle s'installa donc dans le lit en regardant distraitement la télévision. À mesure que le temps passait, son excitation grandissait, elle avait les jambes molles en attendant. Alors que le moment approchait, elle se regarda dans le miroir afin de vérifier si tout était parfait. Une fois cette précaution prise, elle sortit quelques condoms de sa sacoche ainsi que cinq billets de 100 $. Ensuite, elle se recoucha sur le lit en attendant que s'écoulent les secondes.
Finalement, le grand moment arriva. Elle somnolait un peu sur le lit lorsqu'il entra dans la pièce. À vrai dire, elle ne l'entendit pas avant qu'il ait atteint le pied du lit. Elle le regarda longuement : il portait l'habit qu'elle lui avait offert pour leur voyage de noces tel qu'elle le lui avait demandé, mais elle fut davantage ravie de voir à quel point il se ressemblait, comme si rien n'avait changé depuis le temps, comme s'il n'était pas mort. Elle chassa cette idée de sa tête, elle n'avait pas à y penser, le cancer était une chose du passé. Là, ils étaient dans leur antre, le lieu où ils pouvaient laisser libre cours à leur amour. Ici, la mort ne pouvait pas les empêcher de s'aimer. Cette chambre, le dernier lieu où ils avaient connu le bonheur avant l'annonce du cancer, serait leur secret à tout jamais.
Ils s'observèrent en silence pendant un bon moment, perdus dans leurs pensées. C'est lui qui rompit le sortilège en s'approchant d'elle. Il s'assit d'abord à côté d'elle et s'approcha doucement afin que sa bouche puisse toucher à l'oreille de sa compagne.
- I love you, forever
Il ne devait pas parler. La jeune femme ne peut s'empêcher de pleurer si seulement c'était possible. Avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoique ce soit d'autre, elle se jeta à son cou et l'embrassa passionnément. Il répondit à son baiser avec la même fougue que lors de leur première rencontre. Une intensité qu'elle n'avait pas connue lors des quatre derniers rendez-vous dans la chambre 308, un peu comme si cette fois-ci c'était vraiment lui. Elle savait pourtant que ce n'était pas possible ! Après ce fougueux baiser, elle le déshabilla précipitamment, découvrant des mains en même temps que des yeux ce corps magnifique. Elle avait envie de se blottir contre ce torse puissant, afin de ressentir cette sécurité qui l'avait quittée en même temps que le cancer emportait son mari.
De son côté, il semblait un peu timide, maladroit, comme s'il n'avait jamais connu une femme auparavant. Mais à mesure que le temps passait, il prenait de plus en plus d'assurance. Il répondait aux caresses de la belle de manière toujours plus audacieuse, jusqu'à explorer sa caverne humide avec un doigt d'abord, puis deux et enfin avec la langue. Il goûtait son jus intime tout en accélérant le rythme.
Elizabeth, folle de plaisir, poussait régulièrement de petits gémissements, jusqu'à exploser dans un orgasme torrentiel. Elle prit les cheveux de l'homme et releva sa tête de son entrecuisse. Elle plongea alors son regard dans celui de son amant et resta un moment muette en constatant la ressemblance avec son mari.
- I want to make love now !
Elle lui donna un condom qu'il enfila en silence. Il s'installa sur elle et la pénétra doucement alors qu'elle lui griffait le dos et lui caressait les fesses. Après quelques instants de ce petit manège, il accéléra le rythme, le plaisir montait de plus en plus vite chez la jeune femme. Elle referma ses jambes autour du bassin de son amant et commença à frotter ses seins contre son torse. Après son premier orgasme, elle le renversa afin de se retrouver sur le dessus et le chevaucha à un rythme dément. Il tentait de la ralentir, mais elle trouvait toujours le moyen d'aller plus vite, plus profond. Finalement, ils s'écroulèrent dans un ultime orgasme.
Liz remit un peu d'ordre dans sa chevelure et se dirigea vers son sac de voyage duquel elle sortit une bouteille de champagne : un Pierre Moncuit acheté pour l'occasion, la même marque que celui qu'ils avaient bu cinq ans plus tôt. Ils savourèrent silencieusement le pétillant breuvage, tentant parfois une fantaisie en versant le précieux liquide sur le corps de l'autre avant d'aspirer goulûment le liquide ainsi répandu. Bientôt ivres, ils firent livrer un souper à leur chambre afin de ne pas avoir à interrompre la danse langoureuse de leurs hanches.
Dès qu'ils eurent fini de manger, ils recommencèrent à consumer leur passion, pour ne s'arrêter qu'aux petites heures du matin, morts de fatigue. Ils dormirent en cuillère, collés l'un contre l'autre comme ils n'avaient pu le faire depuis des années.
À son réveil, Élizabeth ne fut pas surprise de constater qu'elle reposait seule dans la chambre, les choses devaient se passer ainsi. L'homme avait disparu, aucune trace, pas un mot, pour seul souvenir l'habit soigneusement plié sur une chaise. Le comédien avait vraiment bien joué sont rôle. Depuis quatre ans qu'elle faisait affaire avec cette agence, c'était la première fois qu'un homme réussissait à se glisser suffisamment dans la peau de son défunt mari pour la troubler. Elle ramassait ses affaires et était prête à partir lorsqu'elle remarqua que l'homme avait oublié de prendre les cinq cent dollars. Elle prit donc le numéro de l'entremetteur, dans sa sacoche. Après tout l'inconnu avait bien mérité sa paye.
- Oui allo !
- Excusez-moi de vous déranger, je suis Élizabeth Tucker, vous vous souvenez de moi ?
- Oui bien sûr ! Je me doutais bien que vous alliez appeler, j'étais d'ailleurs pour le faire moi-même. Je m'excuse, mon homme n'a pas pu se présenter hier, une vilaine grippe l'a gardé au lit. De plus, on s'est fait voler le costume que vous nous avez envoyé. Mais ne vous en faites pas, Madame, je vais tout rembourser.
-
- M'dame ? Vous êtes là ?
- Oui Oui, je suis là. J'étais seulement perdue dans mes pensées, mais ça va mieux. Vous n'avez pas à me payer pour l'habit, je n'en ai pas besoin. Grâce à cette maladie de votre employé, j'ai pu voir l'homme de ma vie
- Content que vous ayez pu avoir du bon temps dans notre belle ville, j'espère que vous allez revenir bientôt.
- Bien sûr dans un an !
quand une saison s'endort les arbres écrivent un poème tout retrouve ses origines l'absence dévoile son corps quelque chose |
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Illustration Roxana Zegan |
cette manie que nous avions
de renommer les couleurs
selon leurs visages leurs secrets
nous voulions être cette promesse
bleue comme un prénom de femme
tricotant le ciel et son réconfort
en chacune de nos paroles
mais les gestes mentaient
comme un carré de sable
sans légende
le temps restait inépuisable
et pourtant nos ombres
pêle-mêle
construisaient un château
chacun trouve son chemin
dans le désordre des mots
l'éternité au coin de l'oeil
tremblante comme des lèvres
avant le premier baiser
nous revenons du silence
des paysages et des mots
enroulés à nos corps
faire d'un simple soupir
un berceau pour la terre
après tant de traversées
de corps à corps
aux quatre coins de l'absence
là où paraît-il
nous revenons pas
l'immobilité nous guide encore
jusqu'à la transparence de la beauté
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