6 avril 2000 |
À la Sortie de secours de Jean-François Lisée, Bernard Landry a préféré l'autoroute de la souveraineté. Le 25 mars, dans Le Soleil (p. A-18), Lucien Bouchard revenait à la charge. Son choix: une souveraineté-partenariat en vue de créer, à l'exemple de la Communauté européenne, un marché commun avec le Canada, ce que recherchait initialement le Parti québécois.
Cette position étonne. La Communauté européenne n'est pas le produit de deux États souverains. Par ailleurs, il existe en Amérique un ensemble supranational, l'ALÉNA, auquel s'associera le Québec devenu souverain. Alors, pourquoi revenir à un modèle conçu avant la création de l'ALÉNA et devenu depuis une route secondaire que la loi C-20 vient tout juste de transformer en cul-de-sac au bout duquel s'érige un mur bétonné. Et pourquoi s'obstiner à l'emprunter au moment où Gilles Gagné et Simon Langlois avancent que les porteurs de la souveraineté privilégient une ouverture au monde?
À quelques semaines du congrès du Parti québécois, voilà des propos qui alimenteront sûrement le débat. Un jour ou l'autre, tout mouvement à potentiel sécessionniste - c'est le cas du mouvement souverainiste québécois - doit choisir entre une sortie de secours qui débouche sur l'autonomie, une route secondaire genre souveraineté-partenariat ou une autoroute menant à la souveraineté. Aussi importe-t-il de bien saisir leurs différences, de cerner leurs assises et d'identifier les enjeux comme les incidences de chacune de ces voies.
1. Les différences
Si un mouvement nationaliste, comme celui du Québec,
ne remet pas en question l'intégrité territoriale
de l'État-souche, ici le Canada, on ne saurait parler,
selon Jean Yangoumalé, juriste spécialisé
en ce domaine, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
mais de protection des minorités. Dans un tel cas, il s'agit
d'une approche autonomiste qui s'inscrit dans un parcours de repli
en vue de promouvoir un héritage commun et de préserver
l'essentiel.
Accéder à la souveraineté, c'est différent. Cela implique d'être reconnu un État de droit membre des Nations unies. Un tel statut modifie le territoire de l'État-souche. Il ouvre par ailleurs la porte à des traités avec des États analogues, une association avec les membres d'un ensemble supranational tel l'ALÉNA et la conclusion d'ententes avec l'État-souche si ce dernier y voit un intérêt.
La souveraineté-partenariat est un entre-deux. Elle valorise l'égalité d'au moins deux peuples par définition mutuellement désireux de partager un certain nombre de choses en commun: la monnaie, les douanes, l'armée, etc. Aussi conviennent-ils de déléguer ces pans de souveraineté à un organisme politique qu'ils créent. Avec ce concept, on franchit donc un pas de plus vers la souveraineté mais, s'il n'y a pas modification du territoire de l'État-souche, on demeure dans la problématique de l'autonomie.
2. Les assises de ces voies au Québec
L'apparition de ces voies renvoie à l'une des trois
phases du développement de tout mouvement "nationalitaire".
C'est ce qui s'est produit au Québec. Après
l'échec des Patriotes, un nouveau mouvement "nationalitaire"
y est apparu avec la création du Canada de 1867. Sa première
phase fut marquée par l'élaboration de la culture
canadienne-française.
Par la suite, des militants et des intellectuels ont cherché à consolider cette culture. Ce fut le début de la deuxième phase. Elle s'activa, lors de la Deuxième Guerre mondiale, sous fond de crise générée par des changements économiques et politiques. Le Québec revendiqua alors plus d'autonomie, ce qui engendra la Révolution tranquille, période au cours de laquelle le territoire national fut délimité. Dans son sillage, il y eut la recherche d'un statut d'égalité avec l'idée de souveraineté-association.
Si la crise persiste, comme c'est le cas depuis 1982, s'amorce la troisième phase. En 1992, elle a été marquée par le rejet d'un statut particulier. Puis, au milieu des années 1990, par une définition politique et citoyenne de la nation québécoise. Ce changement est majeur. Son aboutissement peut être la création d'un nouvel État souverain. Mais pas toujours. Tout dépend de l'approche de l'État-souche et de la conviction des souverainistes.
3. Les attentes et les stratégies du Canada
Tous les États souverains tentent d'empêcher
la sécession d'une partie de leur population. Le Canada
ne fait pas exception. Pour y arriver, il a recours, comme hier
la Grande-Bretagne, à l'Indirect rule . Inventé
par les Britanniques pour gérer des populations conquises,
ce mode de gestion mise sur la loyauté d'intermédiaires
locaux à l'image des Jean Chrétien, Stéphane
Dion, Jean Charest, etc.
Ces derniers sont la clé pour maintenir ces populations dans un rapport de subordination. Aussi, dès qu'apparaît un mouvement sécessionniste, ces intermédiaires, qui veulent bien servir en retour de privilèges, déploient diverses mesures pour forcer les leaders sécessionnistes à opter pour l'autonomie ou préparer le terrain pour leurs successeurs.
L'une de ces mesures consiste à discréditer les chefs qui promeuvent la souveraineté. Une autre, à nier l'existence d'une nation politique. Une troisième, à promouvoir un nouveau projet national, ce que fait le gouvernement Chrétien en misant sur l'union sociale ou l'Alliance de la droite avec son impôt à 20%. Une quatrième, à bloquer tout contact sur la scène internationale, obligeant ainsi les pays sympathiques à la cause souverainiste à une retenue exemplaire.
4. La conjoncture internationale actuelle
Ce dernier point est très important. La question du
Québec - on l'oublie souvent - s'est toujours posée
en relation avec la conjoncture internationale. À chaque
occasion, la Grande-Bretagne puis le Canada ont tout fait pour
l'en extirper. Ce fut le cas en 1774 lorsque le mouvement sécessionniste
américain s'irradiait au Québec, en 1836-1837 alors
que des mouvements sécessionnistes s'exprimaient en Amérique,
en 1867 à la fin du traité de réciprocité
avec les États-Unis, lors des deux Premières Guerres
mondiales et dans les années 1960 avec la décolonisation.
Ils ont agi de la sorte parce qu'un projet de souveraineté a le monde comme horizon et s'active toujours en lien avec ce qui a cours sur la scène internationale. C'est le cas aujourd'hui avec les changements structuraux qu'engendre la mondialisation, notamment la globalisation de l'économie, un nouvel ordre militaro-politique et la création d'ensembles régionaux supranationaux. Dans ce cadre général, il y a une ouverture à la création de nouveaux pays. Certains sont déjà apparus. Et dans le monde occidental, le Québec est à l'avant-garde selon Viva Ona Bartkus, auteure de The Dynamic of Secession.
S'il l'est, c'est que la création d'ensembles supranationaux modifie le pouvoir économique, banalise le recours à la force et oblige les États fédérés à se rapprocher des citoyens et des citoyennes. Ce que fait le Canada. S'atténue alors l'autonomie des populations subordonnées au moment où s'accentuent les désavantages découlant de leur éloignement des centres de décision. Dans ce contexte, ces populations voient augmenter les coûts de leur appartenance à un État fédéré. Du coup, leur émancipation devient une nécessité.
5. Les incidences probables des trois voies
Les dirigeants canadiens sont au fait de cette situation comme
de l'ouverture actuelle à la reconnaissance de nouveaux
États souverains. Aussi ont-ils cherché à
enfermer les Québécois et les Québécoises
dans la problématique canadienne avec la loi C-20. Ils
espéraient ainsi les forcer à opter pour une démarche
qui pavera la voie aux intermédiaires locaux de demain,
statut auquel aspirent les chefs du PLQ et de l'ADQ.
La loi C-20 va plus loin. Elle dit qu'il n'y a pas d'ouverture au Canada pour un partage égal des pouvoirs de la souveraineté. Au pays de l'Indirect rule, seuls sont tolérés les loyaux serviteurs. Alors, vouloir convaincre les Québécois et les Québécoises à l'idée d'un tel partage avec la souveraineté-partenariat, c'est faire fi de leur conscience politique. Ils savent maintenant que cette porte est verrouillée. Et qu'il est inutile de chercher à négocier un arrangement sur le modèle de l'Europe.
Le temps est donc venu de créer le Québec et de nous faire reconnaître sur la scène internationale. Puis de nous associer à l'ALÉNA. Le tandem Chrétien-Dion, qui espérait rendre cette voie hors de portée, la légitime. Mieux, il favorisera son irradiation en proposant un Canada recentré autour d'une union sociale après avoir redéfini les assises économiques de ce pays, deux mesures qui attaquent de front ce qu'ont construit les Québécois et les Québécoises de toutes origines confondues.
6. L'adieu au Canada
Pour ces derniers, dont je suis, opter pour l'autonomie, c'est
admettre l'autorité canadienne en ces matières et
accepter de se définir en groupes ethniques divers. Par
ailleurs, choisir la souveraineté-partenariat, projet prôné
par Antoine-Aimé Dorion en 1864 et ranimé par René
Lévesque au début des années 1970, c'est
promouvoir un rêve que ne partagent pas les Canadiens. Avec
lui, nous nous frapperons sur une porte close derrière
laquelle se blottissent des gens qui veulent le transformer en
cauchemar.
Voilà pourquoi il faut créer le Québec indépendamment du Canada. C'est seulement ainsi que nous façonnerons le pays de nos convictions et que nous participerons au monde à notre façon. Ce faisant, nous mettrons un terme à un système politique du passé et nous entrerons dans l'histoire avec le monde pour horizon.
Il n'y a rien de mieux à faire. Avec la souveraineté, on s'engage dans une voie qui contient d'importants ingrédients mobilisateurs : la mise au point d'une constitution valorisant une culture publique commune, des réarrangements politiques, économiques, sociaux et culturels, une restructuration de l'économie qui relancera Montréal et tout le Québec, une présence originale sur la scène internationale, la création d'une armée à notre image, etc. Tous des domaines à préciser rapidement et que les leaders souverainistes gagneront à faire valoir.
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