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6 avril 2000 ![]() |
Le cauchemar de tout Témoin de Jéhovah est de voir apparaître, dans l'entrebâillement de la porte à laquelle il vient frapper par un beau samedi matin tranquille, le visage radieux de Cyrille Barrette qui l'invite à entrer. Mauvais quart d'heure droit devant. Le professeur du Département de biologie, spécialiste de l'évolution et du comportement animal, est habitué d'en découdre avec les créationnistes de tout crin. Au cours des dernières années, on l'a vu, sur de nombreuses tribunes publiques, se frotter aux vedettes de ces mouvements. En 1996, son débat avec Claude Vorilhon, mieux connu sous le nom de Raël, guide des guides du mouvement raëlien, avait fait salle comble au Théâtre de la Cité universitaire. Certains médias montréalais avaient alors vertement reproché au professeur universitaire d'offrir à Raël une occasion d'exposer sa théorie sur l'origine extra-terrestre de l'espèce humaine. Ces critiques ne l'ont pas empêché de remonter dans l'arène l'année dernière pour affronter Lawrence Tisdall, fondateur de l'Association de science créationniste du Québec. Autre succès de foule sans haut-le-coeur médiatique cette fois.
Dans son livre, qui sera lancé dans les prochains jours, Le miroir du monde, Évolution par sélection naturelle et mystère de la nature humaine (Éditions MultiMondes), Cyrille Barrette remercie presque les nombreux Témoins de Jéhovah qui sont venus frapper à sa porte, de même que les créationnistes avec qui il a eu de stimulantes discussions au cours des dernières années. "Le fait de répondre à leurs arguments, tous fallacieux mais souvent habiles et convaincants au premier degré, m'a permis de clarifier et de consolider mes convictions et m'a convaincu de la nécessité d'écrire ce livre."
Expliquer la nature...
La publication d'un livre en langue française, qui
explique en termes simples les théories de l'évolution
et de la sélection naturelle, n'est pas un luxe. Cent quarante-et-un
ans après que Darwin ait formulé sa théorie
sur l'origine des espèces au moyen de la sélection
naturelle, la pensée darwinienne est régulièrement
ignorée ou déformée dans les films sur la
nature, dans les magazines de vulgarisation scientifique ainsi
que dans les émissions scientifiques de télé
ou de radio. Lorsque des reportages portant sur "À
quoi ressemblera l'être humain de l'avenir?" conduisent
à des images montrant des personnes affublées d'énormes
têtes servant à accommoder un cerveau de plus en
plus volumineux, que des comportements animaux sont expliqués
en termes du "bien de l'espèce", ou qu'on nous
explique que certaines structures anatomiques sont apparues chez
un animal pour répondre à des besoins précis,
on ne peut que conclure que le message darwinien passe mal.
"Les scientifiques sont en partie responsables de cette situation parce qu'ils n'ont pas toujours pris le temps de bien expliquer la pensée de Darwin, reconnaît Cyrille Barrette. On pense que ce sont des choses que tout le monde connaît mais ce n'est pas le cas." Par ailleurs, si le message passe mal, poursuit-il, c'est aussi parce que tout le monde n'est pas disposé à l'entendre. Ce n'est pas facile pour le citoyen ordinaire de se faire dire que l'évolution est un fait dont il est le résultat, que l'humain est un accident de l'évolution, que nous sommes une espèce parmi les autres, que nous ne sommes pas spéciaux et que nos caractéristiques physiques et nos comportements ressemblent énormément à ceux des autres primates. "Les théories sont comme les livres, résume-t-il. Les ouvrages les plus populaires, du type "Comment devenir heureux et riche en sept étapes", sont ceux qui nous racontent ce qu'on veut entendre. Les livres qui, comme le mien, cherchent à dire la vérité risquent d'être moins populaires. C'est la même chose pour la théorie de l'évolution."
...pour comprendre l'humain
D'autres théories, comme celle de la création
de l'Univers par une force surnaturelle, font la part plus belle
au genre humain. Mais, insiste Cyrille Barrette, il ne faut pas
opposer foi et science. "Par définition, un scientifique
est quelqu'un qui tente de comprendre la nature sans faire appel
à une force surnaturelle, qui alimente sa réflexion
par des faits, qui fait confiance à sa raison, qui fait
montre d'esprit critique et qui cherche constamment de meilleures
explications pour comprendre ce qu'il observe. Il est prêt
à rejeter n'importe quelle théorie, conscient qu'elles
sont toutes provisoires, contrairement aux dogmes qui sont éternels.
À l'opposé, un créationniste est quelqu'un
qui fait une lecture littérale de la Bible et qui fait
appel à un créateur surnaturel pour expliquer la
nature, la vie et l'Homme. Mais la foi et la science ne peuvent
ni s'aider, ni se nuire, ni discuter car elles appartiennent à
deux domaines totalement différents."
Si la première partie de l'ouvrage de Cyrille Barrette aborde surtout les questions reliées au monde animal, les derniers chapitres font une large place à l'humain et aux questions métaphysiques qui le hantent quant à sa place dans l'Univers, à son esprit et au sens de la vie. Au point où on pourrait penser qu'il s'agit en fait de deux ouvrages "collés artificiellement", reconnaît l'auteur. "Le propos de mon ouvrage concerne essentiellement la nature humaine, insiste-t-il. Mon objectif n'était pas faire un livre sur l'évolution mais bien un livre qui expose la pensée darwinienne et qui l'amène sur le terrain de l'humain. Depuis plus de quarante ans, je suis habité, préoccupé, souvent fasciné, parfois tourmenté par tout ce qui concerne la nature humaine et la condition humaine. J'ai toujours pensé que pour comprendre l'humain, il fallait d'abord comprendre sa nature biologique. Depuis plus de dix ans, je me dis que je devrais un jour écrire un livre là-dessus. J'ai fini par me décider, ne serait-ce que pour m'assurer que je ne dirais plus, j'aurais dû."
Cette fascination pour l'humain étonne chez un spécialiste du comportement animal, conditionnés que nous sommes aux Jane Goodall et Dian Fossey de ce monde, plus à l'aise en compagnie de leurs simiesques amis que de leurs frères humains. "Il n'y a rien de plus passionnant que l'être humain, confesse Cyrille Barrette. C'est tout simplement l'espèce la plus intéressante qui soit. J'ai d'ailleurs écrit mon livre en pensant aux hommes et aux femmes de bonne volonté qui se demandent qui ils sont et d'où ils viennent. Jes les imagine à la recherche de vérités, plutôt que de mirages, sur la nature humaine, et, peut-être même, sur le sens de la vie."
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