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6 avril 2000 ![]() |
Au XIXe siècle, la faune entomologique urbaine de Québec était largement dominée par des espèces introduites qui avaient accompagné les premiers Européens venus s'établir au pays. En fait, 79 % des spécimens d'insectes découverts lors de récentes fouilles archéologiques de l'Îlot Hunt, dans le Vieux-Port de Québec, n'étaient pas indigènes d'Amérique du Nord, révèle une étude archéoentomologique menée par Allison Bain, du Département d'histoire.
Pour les besoins de son doctorat, l'étudiante-chercheure s'est jointe à l'équipe de Réginald Auger et de Marcel Moussette afin d'effectuer l'inventaire entomologique de l'Îlot Hunt pour la période allant de 1850 à 1900. Elle a ainsi inventorié 6 755 spécimens d'insectes, en tout ou en pièces détachées, ce qui constitue la plus importante collection jamais répertoriée dans un site archéologique d'Amérique du Nord. Cette collection pourrait devenir un outil de référence important pour les autres études archéoentomologiques nord-américaines, souligne au passage l'étudiante-chercheure.
Plusieurs des espèces découvertes par l'étudiante comptent parmi les insectes nuisibles qui s'attaquent aux réserves de nourriture ou aux autres biens retrouvés dans les habitations à cette époque. Une autre étude du même type qu'Allison Bain avait menée sur un site de Boston datant du XVIIe siècle avait permis de découvrir 2 000 spécimens, dont de nombreuses espèces nuisibles introduites d'Europe.
Petites vies
L'archéoentomologie est une technique qui permet de
répondre à des questions concernant l'histoire naturelle
ou humaine de certaines époques. Encore peu utilisée
dans les fouilles archéologiques en Amérique du
Nord, cette science repose sur l'identification des parties dures
d'insectes qui ont résisté au passage des ans. Ces
restes d'insectes se retrouvent parfois en abondance dans des
environnements quelque peu spéciaux. Ainsi, à l'îlot
Hunt, les fouilles ont surtout porté sur deux fosses d'aisance
dans lesquelles les habitants jetaient également leurs
déchets domestiques. "L'archéoentomologie peut
fournir des renseignements chronologiques précieux, impossibles
à obtenir d'autres sources, sur l'histoire des espèces
introduites en Amérique du Nord. Ces données peuvent
également servir à élaborer des modèles
plus précis concernant l'adaptation et la dispersion des
insectes dans de nouveaux environnements", souligne Allison
Bain.
L'archéoentomologie permet aussi d'apporter un éclairage particulier sur des questions qui opposent les historiens. Ainsi, les études sur la deuxième moitié du XIXe siècle fournissent des informations contradictoires sur les conditions d'hygiène dans les villes d'Amérique du Nord. "C'est une période de grands changements pendant laquelle les villes se dotent de réseaux d'aqueduc et d'égout, de système d'élimination des ordures et de bureaux de santé", signale Allison Bain. Pourtant, dans les faits, les sources écrites de l'époque, à Québec notamment, indiquent que les milieux urbains étaient encore insalubres et malsains. Les documents officiels de la ville de Québec font état de nombreuses plaintes concernant la persistance des fosses d'aisance et le manque d'hygiène dans la ville, en particulier dans le secteur de l'Îlot Hunt.
La chercheure a découvert que les effectifs des insectes nuisibles à l'Îlot Hunt étaient bien en deçà de ce que l'on pourrait considérer comme une infestation à cette époque. Elle n'a pas été en mesure de chiffrer le taux de parasitisme (poux, puces, vers intestinaux) des occupants du site mais des peignes, des brosses et des bouteilles vides de parfum retrouvées lors des fouilles révèlent que les occupants avaient une certaine préoccupation pour l'hygiène du corps. Ces observations, combinées aux autres indiquant l'abandon progressif des fosses d'aisance et le branchement aux réseaux d'aqueduc et d'égout entre 1850 et 1900, infirment l'hypothèse de Québec, ville malpropre, dans le secteur de l'Îlot Hunt à tout le moins.
Allison Bain note que parallèlement aux progrès observés en hygiène et en santé publique, certains remèdes de grand-mère subsistaient. À preuve, dans les couches correspondant aux années 1860, 1870, 1875 et de 1880 à 1990, la chercheure a découvert des restes de mouche d'Espagne ainsi que des bouteilles de verre. Ceci laisse supposer que les occupants de l'Îlot avaient encore recours à ce coléoptère qui, une fois séché et broyé, était utilisé pour traiter le syndrome prémenstruel, les coupures, les maux de gorge et la tuberculose. Certains auraient même utilisé cette petite bête pour ses vertus aphrodisiaques!
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