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30 mars 2000 ![]() |
Le réchauffement climatique pourrait avoir un fort impact sur les conditions lumineuses qui prévalent dans les eaux des régions nordiques du monde et, conséquemment, sur la chaîne alimentaire des écosystèmes aquatiques. C'est ce que soutiennent deux chercheurs du Centre d'études nordiques de l'Université Laval dans un article scientifique qui paraît aujourd'hui (30 mars) dans les pages de la revue britannique Nature. Reinhard Pienitz du Département de géographie et Warwick Vincent du Département de biologie arrivent à cette conclusion après avoir reconstitué les conditions lumineuses qui ont prévalu au cours des 6000 dernières années dans le lac Queen's, situé dans les Territoires du Nord-Ouest. |
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Ils ont ainsi déterminé que, pendant cette période, les phases de réchauffement climatique ont eu un impact 100 fois plus grand sur les conditions lumineuses du lac, surtout les ultraviolets, qu'une réduction de 30% de la couche d'ozone.
En effet, expliquent les chercheurs, le réchauffement climatique favoriserait l'augmentation des matières organiques colorées dissoutes dans l'eau. Ces matières, qui proviennent de la végétation terrestre, agiraient comme écran solaire en captant la lumière visible et les rayons ultraviolets du soleil. Au cours des 6000 dernières années, la végétation terrestre entourant le lac Queen's a connu des hausses et des baisses de productivité en fonction de la température. Pendant les périodes plus chaudes, la hausse de la production végétale et la décomposition des feuilles ou des autres parties de plantes ont provoqué un accroissement de la quantité de matières organiques délavées vers le lac, altérant du coup la clarté de ses eaux et la pénétration de la lumière.
La reconstitution des conditions lumineuses qui ont prévalu dans le passé a été baptisée la paléo-optique par les deux chercheurs. Cette science repose sur l'analyse de restes d'algues microscopiques, les diatomées, qui s'accumulent au fond du lac. Les diatomées sont des organismes unicellulaires entourés d'une coque de silice finement ornementée, caractéristique de chaque espèce. Certains groupes de diatomées, dits périphytes, vivent en eaux peu profondes, accrochés aux roches ou au fond du lac, alors que d'autres espèces, dites planctoniques, vivent en suspension dans la colonne d'eau. En analysant l'abondance relative des deux types de diatomées à différentes profondeurs dans les sédiments, correspondant à autant d'époques, les chercheurs ont découvert que plus la concentration de matières organiques colorées était élevée, plus la proportion de diatomées périphytes conservées dans les sédiments augmentait et plus celle des diatomées planctoniques diminuait. "Les diatomées périphytes sont moins affectées par l'abondance de matières organiques colorées parce qu'elles vivent en eaux moins profondes, dans la zone littorale du lac", expliquent les deux chercheurs.
Les travaux antérieurs de Reinhard Pienitz et Warwick Vincent ont permis d'élaborer un modèle servant à prédire la profondeur de pénétration des rayons UV dans les lacs. Ces recherches étaient motivées par les inquiétudes soulevées par l'amincissement de la couche d'ozone au-dessus des pôles et par ses impacts éventuels sur les organismes vivants. Les rayons UV interfèrent avec la photosynthèse et la division cellulaire, réduisant la multiplication des algues sur lesquelles repose la chaîne alimentaire en milieu aquatique. En combinant ce modèle avec leurs résultats sur l'évolution de la matière organique colorée, les chercheurs sont arrivés à des conclusions étonnantes. "La matière organique colorée agit comme écran solaire contre les ultraviolets et son influence est jusqu'à 100 fois plus grande qu'une réduction de 30% de la couche d'ozone sur la pénétration des UV dans l'environnement aquatique."
Selon les chercheurs, l'impact des changements climatiques passés sur les communautés de diatomées donne la mesure de l'ampleur des variations auxquelles il faut s'attendre si le réchauffement climatique anticipé se concrétise. Les scénarios actuels prévoient des hausses allant de 1 à 4 degrés Celsius dans les régions nordiques du Canada pendant le prochain siècle. "Le réchauffement climatique va repousser la limite des arbres vers le nord, ce qui modifiera les conditions physiques (la lumière entre autres) et chimiques dans les lacs. Des impacts significatifs au plan biologique pourraient survenir dans les 100 à 150 ans qui suivront."
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