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30 mars 2000 ![]() |
Le rapport du Commissaire à l'environnement et au développement durable, déposé à la Chambre des communes au printemps 1998, soulignait que le Canada n'avait pas respecté ses objectifs du Sommet de Rio sur la biodiversité et qu'il n'avait pas réussi à expliquer à sa population ce qu'était la biodiversité. "Pas étonnant, avait répliqué un chercheur. Nous-mêmes, on ne sait pas vraiment ce que c'est!" Huit ans après l'adoption de la Convention sur la biodiversité, un groupe interuniversitaire de chercheurs présentait la semaine dernière, sur le campus, un colloque dont le thème, "La biodiversité: de la biologie à la culture", |
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Le thème retenu traduisait bien l'objectif poursuivi: examiner l'évolution de la Convention de Rio sous ses coutures biologiques et culturelles afin de mieux saisir les enjeux qui se cachent derrière la biodiversité. |
L'arche de Noé, une métaphore biblique pour un impératif du siècle qui commence: la conservation de la diversité génétique, l'utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques. |
Des lois à la mer
La Convention sur la diversité biologique a pour objectifs
"la conservation de la diversité biologique, l'utilisation
durable de ses éléments et le partage juste et équitable
des avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques". Premier accord mondial complet
à englober simultanément les ressources génétiques,
les espèces et les écosystèmes, le document
souligne que la conservation de la diversité biologique
est "une préoccupation commune à l'humanité"
et fait partie intégrante du processus de développement.
Paule Halley, professeure à la Faculté de droit, et l'étudiante-chercheure Marie-Ève Cournoyer ont profité du colloque pour présenter leurs observations sur l'impact de la Convention de Rio en matière de législation environnementale au Canada, en particulier sur les océans et les mers. Elles ont noté qu'avant 1992, le Canada utilisait surtout des techniques normatives classiques qui consistaient à protéger des espèces en intervenant sur le prélèvement direct ou en créant des zones de protection. Au moment de l'examen de conscience de Rio, le Canada a été forcé de dresser un bilan négatif de ses interventions: malgré les nombreuses lois fédérales sur la protection des mers et des océans, le pays ne parvenait pas à assurer le maintien des populations naturelles. Foi de morues!
Les raisons de cet état de fait sont nombreuses, signalent les deux chercheures: les zones de protection sont trop petites et créent des milieux artificiels qui ne tiennent pas compte des activités qui se déroulent dans les zones contiguës, l'approche par espèce est biaisée en faveur des espèces "charmantes" et ignore, par définition, les espèces non répertoriées, etc. Bref, résume Paule Halley, l'approche était trop fragmentée pour être efficace et il fallait renouveler l'orientation des outils normatifs.
Depuis quelques années, le Canada a adopté une approche écosystémique, jugée plus efficace pour la mise en oeuvre des principes directeurs énoncés dans la Convention sur la biodiversité. On fait des lois sur la protection des écosystèmes et non plus sur des espèces ou des parcs, signalent les deux chercheures. Ainsi, le Canada adoptait, en 1997, la Loi sur les océans, une loi cadre très souple et encore peu contraignante, et, en 1999, la Loi sur la protection de l'environnement.
Malgré cette volonté manifeste de mieux répondre aux objectifs de la Convention, l'incertitude demeure autour de cette nouvelle approche de gestion. En effet, les observateurs se demandent si les 23 ministères ou organismes fédéraux chargés de l'application des lois touchant les océans et les mers parviendront à éviter les ressacs administratifs qui risquent de faire échouer l'approche écosystémique.
Souveraineté pour une petite planète
Sur le plan politique, une des difficultés émergeant
de la Convention est l'apparent conflit entre le concept de patrimoine
commun de l'humanité et la souveraineté des États.
En effet, la Convention stipule d'une part que la diversité
biologique est une "préoccupation commune de l'humanité",
mais, d'autre part, que les États ont des droits souverains
sur leurs ressources biologiques. Ces deux concepts ne sont pas
incompatibles, croit François Blais, du Département
de science politique: "Ils sont philosophiquement complémentaires
et probablement mutuellement nécessaires à la justification
d'une conception générale de la justice distributive
entre les états et leurs citoyens."
Selon ce spécialiste de la philosophie politique, il faut respecter le principe de souveraineté des nations mais en le balisant par des principes de justice sociale. Dans certaines circonstances, la souveraineté des États doit s'incliner devant la souveraineté des individus et leur droit à être traité avec un certain respect et dans un esprit d'égalité. "S'il existait une ressource vitale pour la population humaine et qu'elle se retrouvait sur un seul territoire, il est évident que ce pays ne pourrait pas tirer une rente de situation totalement exagérée de ce privilège. Une telle rareté et exclusivité des ressources n'existe pas dans notre monde."
Les richesses biologiques sont très mal partagées entre nations, reconnaît-il, mais la richesse des nations dépend plus de facteurs institutionnels et culturels que de l'importance des ressources à sa disposition. "C'est ce qui explique du moins la fortune du Japon et la situation moins enviable de l'Argentine. Le droit de propriété, notamment dans le domaine des biotechnologies, devrait donc être considéré avec ce principe conséquentialiste d'une plus grande égalité."
La moulinette de la modernité
De son côté, Marie-Hélène Parizeau,
professeure à la Faculté de philosophie, a examiné
la Convention de Rio et le Protocole de Carthagène sur
la biosécurité (organismes modifiés génétiquement)
à la lumière de ses réflexions antérieures
sur les biotechnologies et également du travail de terrain
qu'elle effectue depuis maintenant deux ans au Liban. Et ce qu'elle
a vu là-bas l'a amenée à se demander comment
aborder ces questions dans un pays qui se relève d'une
guerre et dans les pays en voie de développement.
Les textes de la Convention et du Protocole sont rédigés dans une optique scientifique et technique de modernité qui s'inscrit en rupture avec toute autre forme de connaissances, juge-t-elle. Le savoir scientifique et technique est considéré comme la mesure exclusive du vrai, le fruit de la raison humaine, et il confine les autres formes de connaissances au rang des croyances. La modernité est en rapport avec le futur, elle introduit des ruptures avec la tradition, les sciences et les techniques étant présentées comme un progrès moral et social. L'évacuation de la culture se fait au profit de la marchandisation et de l'utilitarisme.
La Convention et le Protocole causent un problème de lecture pour tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette modernité, estime Marie-Hélène Parizeau. Ces accords sont d'inspiration occidentale tant par le discours que par les méthodes qu'ils préconisent. "La modernité occidentale traverse depuis plus de deux siècles, de façon plus ou moins profonde, toutes les cultures et civilisations humaines de la Terre. Cette diversité culturelle résiste et incorpore les technologies à ses référents culturels dans le champ des pratiques sociales de façon plus ou moins heureuse, disfonctionnelle ou menaçante pour chacun. Les OGM constituent un nouvel enjeu puissant de la domination technique de l'Un qui relance la course toujours en avant, dans cette temporalité du futur négatrice de la culture. L'épisode des OGM, c'est-à-dire la transformation technique du vivant et sa marchandisation, c'est la modernité se relançant en quête d'un fondement qui lui donnerait un sens", conclut-elle.
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