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23 mars 2000 ![]() |
Une fois arrivés sur le marché du travail, les nouveaux diplômés universitaires risquent de souffrir d'une forme de désenchantement qui peut conduire à quelque chose s'apparentant étrangement à du décrochage postscolaire. Selon un chercheur du Département des relations industrielles, Thierry Wils, cette démobilisation proviendrait de l'incapacité des employeurs de responsabiliser les jeunes diplômés, d'utiliser au mieux leurs compétences et de les informer.
Dans un récent numéro de la revue Relations industrielles, le professeur Wils et ses collègues Gilles Guérin et Jules Carrière passent en revue les principales manifestations du phénomène de démobilisation chez les diplômés universitaires récemment embauchés. Après une lune de miel pendant laquelle les jeunes professionnels font le maximum d'efforts pour s'intégrer, la vie organisationnelle devient souvent moins attrayante qu'ils se l'étaient imaginé. "L'emploi se révèle routinier, voire ennuyeux, les carences du supérieur deviennent plus visibles. De nombreuses connaissances et habiletés, développées à l'Université, ne sont pas utilisées, la progression de carrière semble bloquée et les contraintes de la vie organisationnelle se font lourdes. Le diplômé nouvellement embauché perd son enthousiasme, se décourage, se sent sous-utilisé, abandonné."
Les répercussions de ce choc conduisent souvent au départ de l'entreprise. "Les organisations nord-américaines perdraient 50 % de leurs recrues universitaires dans les cinq années suivant leur embauche", signalent les trois chercheurs. Pire, les autres, pour des raisons personnelles ou financières, ou tout simplement par inertie, "restent mais partent de l'intérieur", caricaturent les chercheurs. Ils deviennent des démissionnaires, des présents-absents, découragés, désillusionnés, indifférents, frustrés, cyniques et délinquants.
À partir d'une enquête menée auprès de 441 jeunes diplômés occupant un emploi depuis au moins six mois, les chercheurs ont conclu que l'hypothèse généralement acceptée pour expliquer cette démobilisation, celle des attentes insatisfaites, collait imparfaitement à la réalité. L'hypothèse prédit que le choc de démobilisation sera d'autant plus fort que l'écart entre les attentes des universitaires et la qualité de l'expérience de travail est grand. Or, les données montrent que l'effet des attentes initiales sur la démobilisation est très réduit. "Ce modèle apparaît bien insatisfaisant, écrivent les chercheurs. Il masque une réalité importante, à savoir que ce n'est pas l'insatisfaction des attentes initiales qui démobilise le diplômé mais le manque d'opportunités offertes par l'organisation."
Le problème est particulièrement grave pendant les premiers mois de travail parce qu'il empêche le diplômé de comprendre son environnement, de se tester et de se bâtir une "perspective". Si le diplômé n'a pas cette possibilité, il se sent perdu, abandonné et se démobilise. "C'est le cas s'il fait un travail sans responsabilités, s'il n'utilise pas ses compétences, s'il est mal informé, s'il n'a pas la possibilité de se développer et s'il est traité sans considération. Ces expériences négatives lui donnent le sentiment qu'on ne lui fait pas confiance, qu'il est injustement traité et qu'il n'a pas d'avenir dans l'organisation."
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