16 mars 2000 |
Les lecteurs du journal Au fil des événements qui se sont risqués à lire "La Réplique de l'orignal rationnel à un futur théologien ", dans la dernière parution du journal de la communauté universitaire (/Au.fil.des.evenements/2000/03.09/idees.html), ont dû penser qu'ils se trompaient de chronique sinon de journal, retrouvant un genre encore méconnu dans nos pages, soit le courrier du coeur. Que voulez-vous, à défaut de répondre aux arguments, on se contente parfois de se replier sur la personne qui s'exprime. Les signataires, qui s'identifient maintenant du Département d'éducation physique, semblent outrés que quelqu'un questionne le fondement de leurs positions et veuille apporter des éléments nouveaux. Solution d'autant plus facile lorsque l'antagoniste affiche un statut inférieur. La qualité du débat a baissé d'un cran, malheureusement, mais le texte qu'ils ont livré nous éclaire grandement sur leurs références de base et sur la rigueur de leur démarche.
Dans l'édition du 10 février, j'avais exprimé brièvement mes réserves et mes questions sur leur article précédemment publié dams l'édition du Fil du 20 janvier: "Les contradictions d'une école confessionnelle" (/Au.fil.des.evenements/2000/01.20/idees.html ). Mon texte, intitulé " La charge de l'orignal... rationnel "( /Au.fil.des.evenements/2000/02.10/courrier.html), développait quatre aspects qui me semblent assez problématiques dans leur approche: une notion restrictive de la rationalité, une centration abusive sur les conséquences pédagogiques, un jugement partial de l'influence sociale des religions, une méprise sur l'assise culturelle de la confessionnalité scolaire.
Les lecteurs peuvent juger de la valeur de mes allégations et de celles des signataires, et mon intention n'est pas de reprendre le détail de leur réplique, plus amusante que cinglante. Ma préoccupation première, loin de défendre la confessionnalité scolaire de façon absolue, est d'aider à bien situer le débat sur la question, de manière à tenir compte de tous les aspects sociaux en cause. Il s'agit d'une occasion privilégiée d'ajuster notre regard sur notre société, de redéfinir ensemble nos "valeurs communes", notre portrait de famille, notre vouloir-vivre collectif Une relecture historique, politique, organisationnelle, ouverte à tous les dynamismes identitaires discernables, ce que l'on peut appeler une analyse culturelle. C'est cette perspective que j'ai développée dans l'article "La révolution inachevée" paru dans Au fil des événements, le 18 novembre 1999 (/Au.fil.des.evenements/1999/11.18/idees.html ), qui a semblé être accueillie favorablement dans le milieu.
Si l'on écarte de leur " réplique" ce qui relève de la diatribe oiseuse, des conseils paternalistes et des références faciles, il ne reste pas grand chose sur le fond de la question que je soulevais. Le seul élément ad rem que je retrouve se résume à la question des autres déterminants dont j'aurais dû dire qu'ils n'étaient nullement " expliqués ", étant donné qu'il y en avait d'énumérés plus loin entre parenthèses, suivis d'un " etc. " qui laissait d'ailleurs plus d'ombre que de lumière. Mais mon questionnement portait d'abord sur la manière de parler de " découverte ", qui s'applique très bien à l'égard des choses matérielles comme une cellule ancêtre, mais beaucoup moins pour ce qui est des principes, des modèles explicatifs, des lois psychologiques et autres. Mais passons, par l'exemple tiré du journal, les signataires démontrent à tout le moins avoir saisi une partie du problème.
Comme on me conseillait de lire un article de Ramonet, en étudiant docile, j'ai pris la peine de le lire attentivement et je me suis aperçu que les signataires n'en avait probablement pas fait autant. La citation qu'ils en ont tiré à la défense de leur position prend alors un autre sens. Dans son introduction à la revue thématique, Ramonet signale effectivement que les quatre principaux conflits de 1999 " sont, pour une part au moins, des conflits de religion ", mais il s'agit de la toute première phrase de son texte sur la " géopolitique des religions ", dans lequel il montre justement la jonction des identités religieuses, ethniques, politiques et autres, sans aucunement laisser entendre que les religions sont des causes majeures de ces conflits. Il écrit même, un peu plus loin: " Les grandes religions constituent, avec leur expérience millénaire, de formidables architectures intellectuelles, capable de proposer, à chaque individu, toute une philosophie de la vie. Elles répondent aux aspirations spirituelles des êtres humains, à la nécessité de croire en des valeurs élevées, et à leurs angoisses fondamentales devant la peur, la souffrance et la mort. Elle disent le vrai, le beau, le juste, et fournissent ainsi, à chacun, une grille, une morale, pour interpréter le monde."
Les signataires peuvent rétorquer à pleins poumons que les religions sont peut-être bonnes pour certains, mais que nous devrions maintenant passer à quelque chose de plus sérieux, de plus solide, bref, à la connaissance au lieu de la croyance. Je me tairai, en attendant. Car s'ils poursuivent la lecture du texte qu'ils m'ont eux-mêmes suggéré, ils comprendront alors ou jamais une partie de mes critiques. En effet, leur auteur de confiance termine son article par une mise en garde contre la tendance à ne voir la vérité que dans la science, en opposition aux religions. Ramonet rappelle le danger de ne pas reconnaître la part de croyance véhiculée dans les représentations actuelles de la science. Citant Michel Foucault (qui est peut-être disqualifié comme pourfendeur de la vérité en sciences humaines !), il signale que le temps de la vérité religieuse, la Vérité-foudre, est maintenant suivi par celui de la Vérité-ciel " établie pour tous, toujours et partout " à la suite de Copernic, de Newton et d'Einstein. " Le second âge, celui de la vérité fondée sur la raison scientifique, commence pour ainsi dire au XVIIIe siècle mais possède également ses grands-prêtres " D'une manière pour ainsi dire providentielle, ce texte se montre vraiment très utile dans notre questionnement sur les concepts de connaissances et de croyances, n'est-ce pas ? La religion est certes un construit socioculturel, je l'admets autant que les signataires, mais en n'oubliant pas que les " sciences " le sont également.
Les lecteurs auront senti que l'attitude plutôt condescendante des signataires révélait un certain mépris de la personne. Auraient-ils répliqué de la même façon si la critique avait émané de quelqu'un qui n'était pas étudiant ? Certes pas. Savent-ils qu'une allusion aux problèmes de vision est une atteinte a l'intégrité physique ? Pourquoi se permettre dans un texte ce qui est inadmissible en classe ? Des gens de l'extérieur m'ont même conseillé de déposer une plainte auprès des instances appropriées. D'ailleurs, l'allusion au taux de pratique religieuse dans votre groupe d'étudiants est de nature à poser question non seulement au plan méthodologique, mais aussi au plan éthique.
Finalement, si les signataires souhaitent continuer le débat,
il conviendrait de fixer certaines modalités d'arbitrage
pour éviter de tourner en rond, à côté
des questions principales ! Qu'ils proposent une forme d'arbitrage
pour examiner les quatre écrits publiés (par exemple,
en référant aux auteurs mentionnés ou à
un comité de lecture d'une revue scientifique) ou une rencontre
avec un modérateur, ouverte au public s'ils le désirent.
Je suis intéressé et disponible dans ces conditions.
Pour leur retourner la politesse, est-ce que je devrais leur dire
que je peux aller les rencontrer avec leurs amis et collègues
pour leur expliquer ce qu'ils n'ont pas compris ! (Excusez le
ridicule, il ne tue pas).
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