16 mars 2000 |
Certains spécialistes et futurologues imaginaient l'an 2000 sans frontières, un monde uniforme d'un continent à l'autre, grâce à l'augmentation constante des échanges aux quatre coins de la planète et à l'accélération des déplacements entre les différents pays.
Pourtant, paradoxalement, les régions n'ont jamais eu autant la cote depuis que la mondialisation frappe à nos portes. Des länders allemands négocient ainsi directement avec l'Union européenne, sans passer par leur gouvernement central, tandis que des échanges économiques se nouent directement entre partenaires de villes d'Amérique du Nord et d'Europe. Grâce à une subvention de près de 400 000 $ qui lui sera versée sur trois ans par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Centre de recherche en aménagement et en développement (CRAD) de l'Université Laval tentera comprendre dans quelle mesure la région de Québec peut devenir un creuset de cohésion sociale, alors que la mondialisation devient une réalité incontournable. |
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Faire parler les chiffres
Depuis une quinzaine d'années, les chercheurs du CRAD
accumulent des tonnes de données sur la région de
Québec en matière d'éducation, de logement,
de déplacements, d'emploi. Des chiffres et des cartes qui
vont désormais s'avérer extrêmement utiles
pour mesurer le type d'évolution vécu par les habitants
d'une région qui s'étend de Portneuf à Charlevoix,
et de l'Islet à Lotbinière, et regroupe environ
un million de citoyens.
Le discours convenu veut que les disparités sociales augmentent dans la région, mais est-ce vraiment une réalité? Il faut donc comparer les statistiques entre des groupes comme les hommes et les femmes, les jeunes et les plus âgés, pour en avoir une idée plus précise. Les chercheurs avancent également une hypothèse voulant que les banlieues et les milieux ruraux de la région s'enrichissent, alors que les quartiers urbains centraux s'appauvrissent, hypothèse qu'on pourra maintenant étayer dans le cadre du projet "La région, creuset de cohésion sociale". Durant le projet, ils aborderont aussi la façon dont les localités d'une même région sont liées entre elles, puisque les ouvriers d'une usine peuvent très bien travailler dans une municipalité, tout en dépensant tous leurs revenus dans une autre ville plus ou moins éloignée.
L'équipe de recherche va par ailleurs examiner l'impact du rôle croissant joué par l'économie mondiale sur l'emploi local. Ils vont, par exemple, s'intéresser aux conséquences des récentes restrictions budgétaires gouvernementales, commandées par un mouvement financier planétaire, sur la Rive Nord, très influencée par les activités du secteur public. "L'hypothèse, c'est que la mondialisation force la restructuration économique, et la fermeture de plusieurs secteurs, précise Paul Villeneuve, coordonnateur du projet de recherche. Nous voulons examiner les effets que cela entraîne sur les changements sociaux. "
L'impact des échanges mondiaux à petite échelle
À l'aide d'indicateurs précis, certains chercheurs
de l'équipe tenteront ainsi de cerner quels types d'emploi
augmentent à Sainte-Marie-de-Beauce, lesquels diminuent,
et le rôle que la mondialisation joue dans cette évolution
des secteurs économiques. Les profils variés des
chercheurs qui participent au projet (des géographes, une
sociologue, une architecte, un spécialiste des transports,
un économiste urbain) leur permettent par ailleurs d'aborder
d'une façon globale les changements dans la région.
Ils s'intéresseront, par exemple, aux conséquences
des efforts de rationalisation entrepris par le Mouvement Desjardins,
pour améliorer sa rentabilité àla suite des
avertissements de l'agence de cotation Moody's de New-York. Certaines
activités risquent en effet de quitter le siège
social de Lévis pour Montréal.
Si ces aspects de la mondialisation n'ont rien de très réjouissant pour les résidants d'une région comme celle de Québec, le rapprochement permis par l'implantation des nouvelles technologies de l'information peut par contre s'avérer positif. Le projet de recherche s'intéresse donc à ces nouveaux outils, en tentant de les mettre à la disposition des organismes associatifs et des groupes sociaux qui semblent avoir pris du retard par rapport aux milieux économiques bien mieux équipés.
"Avec la collaboration du Conseil régional de concertation et de développement de Québec (CRCDQ), nous voulons bâtir un site Web qui offrirait aux groupes de la région des outils de développement social, explique Paul Villeneuve. Ces groupes pourraient y trouver, par exemple, des cartes commentées, des analyses effectuées à partir des bases de données du CRAD." Le projet va même un peu plus loin puisqu'on envisage également de mettre en ligne des petits modèles de simulation. Ainsi, une municipalité ou une association de gens d'affaires pourrait évaluer l'impact local de l'arrivée d'une usine dans leur cour, et examiner si l'investissement en vaut, ou non, la chandelle.
Un tel site Web devrait donc contribuer à améliorer un peu plus la mise en réseau des acteurs sociaux, qui vont pouvoir bénéficier des avantages de la mondialisation. Il peut également améliorer la visibilité des recherches du CRAD, au Québec ou ailleurs dans le monde, et ainsi accentuer encore le lien des chercheurs avec le milieu. Deux chercheurs de l'Université de Bordeaux, et de nombreux étudiants, vont d'ailleurs participer au projet. Les résultats de recherche seront débattus dans le cadre d'une rencontre qui se déroulera à l'automne 2001, lors des entretiens Champlain-Montaigne, un rendez-vous annuel entre des participants de Québec et de la cité bordelaise. Le monde des régions est donc déjà une réalité.
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