16 mars 2000 |
LE DEVENIR DU CENTRE MUSÉOGRAPHIQUE
Monsieur le Recteur,
Il y a bientôt un an, on annonçait la fermeture du Centre muséographique, voulant ainsi restreindre les dépenses courantes de l'Université Laval. Par un souci d'économie (plus ou moins 70 000 $), on a mis fin aux activités de cette entité muséale qui agissait comme un phare dans la grande région de Québec au chapitre de la muséologie scientifique.
Évidemment que le Centre muséographique n'a pas su réellement s'ancrer sur le campus et devenir un acteur de formation universitaire comme il aurait dû. Mais il reste qu'il s'agit là d'un équipement muséal de grande qualité qui, pour l'instant, est mis au rancart des limbes de l'inactivité totale. C'est cette situation que nous déplorons aujourd'hui devant vous et, du coup, nous faisons appel à votre bon jugement pour définir à brève échéance l'utilisation que l'Université fera de cette composante culturelle et scientifique mise en place à coup de millions de dollars et abandonnée au moment même de sa complétion finale.
Nous vous demandons d'examiner avec soin la possibilité d'en faire un musée-école c'est-à-dire un centre de formation muséologique où professeur(e)s et étudiant(e)s assureraient le bon fonctionnement du Centre muséographique, un peu à la manière de la Clinique dentaire sur le campus qui offre aux apprentis-dentistes un lieu d'exercice professionnel accompagné par leurs professeurs et cliniciens.
Depuis 1991 que le programme de deuxième cycle muséologie demande à être intégré au fonctionnement du Centre muséographique et, à chaque fois, on lui a refusé son intégration. Aujourd'hui, mis au mur d'une impasse évidente, nous vous demandons de donner la chance aux étudiants et étudiantes de 2e cycle en muséologie de prendre une part active de leur formation en s'impliquant dans un musée-école pour en assurer le fonctionnement au quotidien.
Il s'agit pour nous d'une opportunité extraordinaire que nous ne voudrions pas rater (un des rares programmes de muséologie à disposer d'un musée sur le campus, cinq dans le monde et le seul au Canada) et, dans la foulée du dernier Sommet de la jeunesse, nous croyons aussi fermement à la responsabilisation de cette dernière par la prise en charge d'aspects spécifiques de sa formation, surtout quand il s'agit de pratique professionnelle.
Par la présente nous voudrions donc vous informer de notre intérêt pour discuter avec les autorités compétentes à participer au redéploiement du Centre muséographique dans une perspective de musée-école. Nous sommes conscients des enjeux économiques que cette avenue comporte, mais nous sommes tout aussi avertis de la pertinence d'intégrer davantage les étudiants à la vie universitaire comme un enjeu réel de formation supérieure.
On n'a qu'à penser aux démarches que l'Université de Sherbrooke mène actuellement dans le domaine de l'enseignement coopératif pour savoir qu'il est impérieux que les universités plus traditionnelles explorent à leur tour des avenues nouvelles de formation. Il nous semble que le devenir du Centre Muséographique est maintenant lié à la place qu'il fera aux étudiant(e)s dans son prochain développement. Il nous apparaît important d'amener le comité responsable à réfléchir sérieusement à notre proposition de devenir des acteurs de notre formation enfin intégrés au fonctionnement du Centre Muséographique.
Soyez assuré que nous nous ferons un devoir de relever honorablement ce défi si on en vient finalement à nous faire confiance en nous offrant l'occasion d'exercer le métier pour lequel nous investissons à l'Université Laval (et pas ailleurs) pour cette formation supérieure.
Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
JEAN-MARIE DELAGE, MÉDECIN ET HUMANISTE
Éloge funèbre présenté au Conseil universitaire de l'Université Laval le mardi 4 mars
Jean-Marie Delage, professeur émérite de la Faculté de médecine, est décédé le 14 février 2000 à l'âge de 78 ans. Avec son départ nous perdons un médecin exceptionnel, un pionnier de la recherche, un bâtisseur et un grand esprit. Né à Saint-Basile-de-Portneuf, fils et petit-fils de médecin de campagne, il fit ses études classiques au Petit Séminaire de Québec et obtint son diplôme de médecine à l'Université Laval en 1946. Après son internat et trois années de résidence en médecine interne à l'Hôpital du St-Sacrement, il poursuit sa formation en hématologie à Paris, Philadelphie, Boston et Toronto. Il obtient son titre de Fellow du Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada et s'installe à l'Hôpital du Saint-Sacrement en 1952. Il crée le premier laboratoire moderne d'hématologie au Québec.
À une époque où la recherche à la Faculté de médecine est embryonnaire, Jean-Marie Delage amorce ses travaux de recherche, recrute des collaborateurs et crée une véritable école d'hématologie. En 1967, par exemple, il obtient une subvention fabuleuse de 6 700 $ du ministère de la Santé du Québec pour étudier les moyens de défense du sérum dans les infections néonatales. Il publie le résultat de ses travaux dans les revues scientifiques les plus prestigieuses de langue anglaise et de langue française . Citons par exemple des articles parus dans le New England Journal of Medicine en 1967, The Lancet en 1970 ou la revue Nature en 1971. Publier dans ces revues constitue encore aujourd'hui un haut fait pour un médecin. Sa carrière à l'Hôpital du Saint-Sacrement s'étend sur plus de 40 ans. Il crée et dirige le service d'hématologie jusqu'en 1973. En 1974, ce service devient le centre suprarégional d'hématologie et d'immunologie pour l'Est du Québec.
Enseignant hospitalier dès son retour en 1952, le Dr Delage est nommé professeur agrégé de la Faculté de médecine en 1960, professeur titulaire en 1969 et professeur émérite en 1991. Il a enseigné l'hématologie à la Faculté et à l'Hôpital pendant plus de 30 ans. Il a contribué à la formation d'une quarantaine d'hématologues qui, de façon unanime, lui vouent un respect et une admiration qui confinent à la vénération. Consultant recherché auprès de nombreux organismes scientifiques, cofondateur du Club de recherches cliniques du Québec et de la Société canadienne de recherches cliniques, membre correspondant étranger de la Société médicale des hôpitaux de Paris, le Dr Delage a représenté dignement l'Université Laval à l'étranger. Plusieurs prix et distinctions lui ont été décernés. J'en citerai quelques-uns : prix Michel Sarrazin du Club de recherches cliniques du Québec; prix de l'Association des médecins de langue française; prix de l'uvre scientifique de l'Association des médecins de langue française; médaille de membre émérite de l'Association médicale du Québec; écusson du Collège Royal en reconnaissance de ses qualités remarquables d'éducateur et de ses services exceptionnels à la communauté; doctorat honoris causa de l'Université Pierre et Marie Curie à la Sorbone parrainé par le doyen Jacques Debray;
Cette brève relation des accomplissements de Jean-Marie Delage et de sa carrière universitaire ne nous fait pas apprécier à sa juste mesure la vivacité de son esprit, la richesse incomparable de sa personnalité et l'humanisme profond qui imprégnait son approche de la médecine. Pour illustrer mon propos, je vous citerai quelques passages d'une conférence qu'il présentait en 1993 et dans laquelle il commentait sur le sens de la médecine :
" Osons poser la question : que serons-nous dans quelques années Aurais-je l'audace de vous donner des règles de vie et de faire de la futurologie, que non, que non! Permettez-moi seulement de faire quelques réflexions et regarder pendant quelques minutes ce que deviendra peut-être la pratique de la médecine. Ou, pour poser la question différemment, si la médecine doit demeurer la magnifique profession qu'elle est actuellement, au service du malade, que doit-elle faire? C'est le temps de rappeler ce qui figure en exergue à toute l'oeuvre de François Rabelais : " Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ". Et rappelons tout de suite que l'inverse, la conscience sans la science, c'est encore pire, c'est un drame Mais, permettez-moi de vous dire qu'une telle entreprise ne laisse pas de place à une médecine larmoyante et consensuelle. Une médecine où on se laisse enfermer dans le faux dilemme entre la médecine douce et la médecine traditionnelle, dilemme qu'il faut refuser. Le médecin qui diminue la dose de la chimiothérapie de son patient, parce que les réactions secondaires immédiates vont être pénibles à ce patient, diminue en même temps de 25 à 100% les chances de guérison de son patient. La pitié c'est capital et le malade, bien sûr, souhaite qu'on lui montre de la sympathie, mais ce qui est essentiel, ce qu'il demande avant tout, c'est qu'on lui trouve le bon traitement et qu'on l'applique correctement. "
Dans les derniers congrès des Facultés de médecine du Canada et des États-Unis, le thème de l'enseignement de l'humanisme en médecine est devenu un sujet d'une grande actualité. Avec le départ de Jean-Marie Delage nous voyons disparaître un être exceptionnel, un médecin modèle chez qui la probité, l'intelligence et les plus hautes valeurs morales étaient mises au service de sa profession. L'humanisme en médecine existait. Je mesure l'ampleur de notre perte. Au prix de quels efforts saurons un jour former à nouveau de tels médecins.
À LA MÉMOIRE DE JEAN-MARIE DELAGE
Le samedi 19 février dernier, en l'église Saint-Laurent
de l' Ile d'Orléans, eurent lieu les funérailles
du Dr Jean-Marie Delâge, hématologue: c'était
un grand homme. Je me souviens très bien de ma première
rencontre avec lui. J'étais jeune étudiant en médecine,
en 1983. Nous l'attendions, une douzaine d'étudiants en
stage de clinique à l'Hôpital Saint-Sacrement, pour
un cours sur les lymphômes, ces tumeurs cancéreuses
des ganglions lymphatiques. Après s'être fait attendre
quelques minutes, il était entré seul dans la pièce.
Sans une note, sans un livre, sans même quelque artifice
audiovisuel. Seul devant le tableau noir, il avait écrit
quelques mots à la craie. Mais surtout, surtout, parlé
une heure durant laquelle le temps s'était arrêté.
Et cette heure de durer l'espace de quelques instants, pendant
lesquels nous étions restés immobiles, suspendus
à ses lèvres: le Dr Delâge ne parlait pas
seulement des lymphômes, il nous racontait une histoire
avec passion et enthousiasme. Ses connaissances étaient
vastes, sa culture immense; il maniait la langue française
comme un grand violoniste joue de son instrument. Je fus immédiatement
séduit. Je sus dès cet instant qu'il s'agissait
d'un être exceptionnel, comme on en rencontre hélas
que quelques-uns durant toute une vie.
Bien sûr laisse-t-il derrière lui une oeuvre importante. Après son cours de médecine à l'Université Laval, le Dr Delâge était parti à l'étranger, en France et aux États-Unis, pour se spécialiser en hématologie, cette discipline de la médecine alors balbutiante qui s'intéresse aux maladies du sang. Il fut le premier hématologue à Québec, et l'un des premiers au Québec. Il a fondé le Centre d'hématologie de l'Hôpital Saint-Sacrement. Il a consacré une partie de sa vie à la recherche, publiant à plusieurs reprises dans des revues savantes les résultats de ses travaux, entre autres sur le système du complément, cet ensemble de protéines jouant un rôle crucial dans l'inflammation. Par son enseignement, il a contribué à former des générations entières de spécialistes en hématologie maintenant dispersés à travers tout le Québec. Il fut professeur émérite à la Faculté de médecine de l'Université Laval.
J'ai eu l'immense privilège de le côtoyer ces dernières années. Ses yeux bleus laissaient toujours transparaître une vive intelligence. Les cheveux blancs et les rides de son visage n'avaient en rien altéré son amour de l'hématologie. Quel homme singulier ! Toujours souriant, jovial, à l'humour raffiné. Malgré une retraite officielle et soixante dix années bien sonnées, il continuait à venir à la bibliothèque de l'hôpital pour prendre connaissance des dernières découvertes dans des revues scientifiques de haut calibre que bien des jeunes médecins n'ouvrent par ailleurs jamais.
Vous nous quittez trop tôt, Dr Delâge... Nous aurions aimé profiter davantage de votre expérience. Nous aurions voulu vous écouter donner vos cours encore et encore, avec ces mots dont vous étiez un virtuose. J'espère seulement que ce peuple à la mémoire si courte saura perpétuer concrètement votre mémoire. Adieu, grand amoureux de l'hématologie et de la langue française. Adieu, grand homme.
|