9 mars 2000 |
On nous avait prévenus que les gros canons de la Faculté
de théologie monteraient aux barricades pour défendre
l'école confessionnelle dont nous avons fait ressortir
les contradictions dans notre mémoire remis à la
Commission de l'Éducation sur la place de la religion à
l'école. Les gros canons n'ont pas encore tonné
mais la brigade légère est passée à
l'attaque. Roger Girard, étudiant à la Faculté
de théologie et de sciences religieuses, a pris l'initiative
de critiquer notre mémoire sur l'école confessionnelle
(le Fil, 10 février 2000). Nous le félicitons
de son courage puisqu'on risque toujours de se faire égratigner
dans une escarmouche idéologique qui se déroule
sur la place publique. Nous espérons seulement que notre
critique ne lui enlèvera pas le goût de récidiver
puisque nous considérons cet exercice comme indispensable
au développement de l'esprit critique.
Nous savons qu'il est à la mode, surtout dans les sciences
humaines, de remettre en question la rationalité et la
science. C'est sur ce terrain que vous débutez votre critique.
Vous nous faites dire que cette rationalité que nous considérons
comme le déterminant essentiel et universel de notre humanité
"semble signifier que l'intelligence réflexive
et critique trône en maître dans l'univers psychique,
sans liaison avec les autres composantes habituellement reconnues
telles l'imagination, la mémoire, etc." Après
nous avoir fait dire ce que nous n'avons jamais dit, vous nous
accusez ensuite d'une perception trop restreinte de la rationalité
et une représentation naïve de la science à
partir de vos propres déductions. Nous ne savons pas si
c'est la façon qu'on vous enseigne à réfléchir
en théologie, mais dans notre milieu, cela est simplement
considéré comme un manque d'intégrité
intellectuelle.
Vous nous reprochez, comme si cela était un crime de lèse-majesté,
d'avoir utilisé le concept " découvrir "
plutôt que " construire " en parlant de la science
et de la sagesse humaine qui découvrirent progressivement
les déterminants de notre nature. Nous avons alors eu droit
à notre petite leçon d'épistémologie.
Pourtant dans Au fil des événements où
votre critique a paru, on annonce la découverte
et non la construction de la mère de toutes les
plantes vertes par trois chercheurs de Laval, sans que personne
ne s'en scandalise.
En parlant d'épistémologie, nous avons remarqué
que vous utilisez les termes de connaissances religieuses
et de croyances religieuses sans faire de distinction,
laissant par là sous-entendre que les concepts de connaissance
et de croyance sont en quelque sorte synonymes. Pourtant,
si les croyances étaient des connaissances, on n'aurait
nullement besoin de la foi pour les faire accepter comme des vérités.
Si vous connaissiez la distinction entre ces deux importants concepts,
on pourrait encore une fois vous accuser de manquer non seulement
de rigueur mais également d'intégrité intellectuelle.
Nous préférons penser que vous êtes un débutant
qui n'a pas encore maîtrisé les concepts fondamentaux
de son futur champ de pratique professionnelle.
Ce n'est pas parce qu'une affirmation est reconnue depuis des
siècles qu'elle est nécessairement vraie. Continuer
à affirmer que " l'homme est un animal raisonnable
" après les horreurs du XXe siècle est un abus
de langage. L'être humain est uniquement capable
de rationalité. Sa rationalité lui est donnée
qu'en potentialité. Rien ne l'oblige à la développer
ou de l'utiliser raisonnablement. C'est là la tâche
principale de l'éducation qui s'en acquitte malheureusement
très mal.
Quand vous nous reprochez de ne pas avoir nommé d'autres
déterminants de la nature humaine qui découlent
de la rationalité, nous avons le goût de vous demander
soit d'apprendre à lire un texte, soit de vous acheter
une paire de lunettes puisque dans le texte c'est bien écrit
" conscience de soi, liberté, moralité,
responsabilité, etc. " comme étant des
déterminants découlant de la rationalité.
En nous faisant dire " que l'enseignement religieux ne
fait que véhiculer des connaissances dogmatiques ",
vous retombez encore une fois dans votre défaut mignon
qui consiste à nous décrier pour quelque chose qu'on
n'a jamais dit. Pourtant, on parle bien d'une école qui
" enseigne la conception de l'existence de la vie et de
la personne d'une confession particulière avec ses dogmes
et ses rites qui demeure un construit socioculturel parmi plusieurs,
figé, de par sa nature même, dans le temps ".
Nous nous sommes demandé, à un certain moment, si
vous aviez bien lu notre mémoire. De plus, si vous aviez
remarqué l'usage que nous avons fait du terme " construit
socioculturel ", cela vous aurait évité l'inutile
leçon d'épistémologie.
Vous doutez, Monsieur Girard, des effets négatifs que peut
avoir l'endoctrinement des enfants à une vision surnaturelle
et mythologique de la nature humaine alors qu'ils n'ont pas encore
développé leur pensée réflexive et
critique. Pourtant, les religions ont compris depuis longtemps
qu'il fallait endoctriner en bas âge les enfants si l'on
espérait en faire des croyants. Nous le répétons,
il est moralement et intellectuellement malhonnête de passer
par la grande sensibilité des enfants pour les endoctriner
dans une représentation d'un monde surnaturel dont l'existence
n'a jamais été prouvée et dont ils
resteront prisonniers même après avoir cessé
de pratiquer. Enseigner des connaissances sur les religions à
un enfant n'est probablement pas néfaste mais enseigner
la pensée magico-religieuse peut le devenir.
Toute notre vie, nous avons rencontré des gens déchirés
entre les supposées exigences d'une vision surnaturelle
de l'existence et celles de la vraie vie. Un ami nous faisait
part dernièrement d'une tante qui paniquait à l'approche
de la mort parce qu'elle était convaincue qu'elle irait
brûler au purgatoire pendant un certain temps. L'un d'entre-nous
a dans sa famille un parent qui s'est fait avoir sa vie durant
par une secte religieuse farfelue qui a su exploiter sa grande
crédulité apprise sur les bancs de l'école
confessionnelle. L'un d'entre-nous collabore à un cours
universitaire sur le " Développement multidimensionnel
de la personne " offert à de futurs professionnels
en intervention éducative. C'est alarmant de se rendre
compte jusqu'à quel point ces jeunes adultes, qui éduqueront
demain nos enfants et nos petits-enfants, sont totalement dépourvus
d'une conception la moindrement scientifique et cohérente
de leur propre nature et de son développement. Ils sont
les premiers à s'étonner que l'école québécoise
ne leur ait pas enseigné les fondements de leur propre
humanisation que nous considérons comme le premier droit
de tout être humain après le droit à la vie
et à la liberté. Ils se rendent compte que l'endoctrinement
religieux reçu au cours de toutes ces années est
presque totalement dépourvu de valeur d'usage pour l'importante
profession qu'ils seront appelés à pratiquer un
jour. Sur cent treize étudiants et étudiantes, une
seule était pratiquante.
Pour faire ressortir davantage les effets négatifs d'un
enseignement religieux, nous citerons une étude du chanoine
Jacques Grand'Maison et son équipe qui ont étudié
le profil socio-religieux de différents groupes d'âge.
Ils ont publié leurs résultats sur les jeunes dans
" Le drame spirituel des adolescents " . Jacques Grand'Maison
nous dit en parlant d'eux " on se rend compte dans le fait
que plusieurs ne croient pas plus à la politique qu'à
la religion, à la société qu'à l'église
" . On s'étonne lorsque ces mêmes adolescents
nous disent combien il est " difficile de croire aux autres
et à travers ceux-ci, au monde, à la société,
à l'amour, à la justice, à l'avenir "
. Nous avançons que ce drame des adolescents n'est pas
spirituel mais conceptuel.
Ce n'est pas par hasard que ce supposé drame spirituel
des adolescents se déclenche aux alentours de 12-14 ans,
au moment même où la pensée formelle commence,
selon Piaget, à s'exercer concrètement. Cette pensée
réflexive et critique, qui sous-tend notre humanité,
permet aux adolescents de déceler les nombreuses contradictions
et incohérences des adultes signifiants qui les encadrent
à la maison, à l'église et à l'école.
De plus en plus rationnels et pragmatiques, les adolescents se
rendent compte que la plupart des " vérités
absolues " qu'on leur a enseignées dans les cours
de religion, ne sont que mythes, croyances et traditions sans
véritable fondement rationnel ou scientifique.
Au moment même où les adolescents sont à la
recherche de leur identité personnelle au milieu de transformations
physiques, psychologiques et sexuelles qui les bouleversent, voilà
que le monde conceptuel qui devait donner sens et direction à
leur vie, se fissure et s'effondre. Les adolescents se rendent
compte que les cadres de référence, les ancrages,
les repères qu'on leur a enseignés touchant la conception
de l'existence et de la vie humaine sont en grande partie sans
fondement et sans valeur d'usage dans un monde où l'on
privilégie la rationalité, la compétence
et le succès. Ils prennent conscience de l'incohérence,
de la duplicité et du manque d'intégrité
intellectuelle et morale, de ceux-là mêmes qui devaient
les aider à se doter de repères et d'ancrages solides
pouvant les guider dans la vie. Ce drame chez les adolescents
ne nous surprend nullement puisqu'ils sont le produit d'une école
confessionnelle qui entretient systématiquement le mensonge,
l'hypocrisie, la contradiction et l'incohérence.
"Il est injuste et immoral que deux religions monopolisent par chantage politique une école supposément publique pour recruter et endoctriner des fidèles aux frais de tous les contribuables Québécois, même si elles ne réussissent pas à atteindre leur but."
Afin de ne pas abuser du lecteur, nous allons couper court
avec deux derniers points. On n'a jamais dit que les religions
étaient l'unique cause des guerres. Nous avons bien spécifié
qu'elle était " une des causes majeures des conflits
entre les humains ". Vous devez absolument vous débarrasser
de cette manie de faire dire aux gens ce qu'ils n'ont pas dit,
dans le but d'avoir des raisons de discréditer leur position.
Cela devient irritant à la longue. Même si vous essayer
d'en diminuer l'importance, c'est un fait historique indéniable
que les religions ont été et continuent d'être
l'un des plus puissants facteurs de divisions et de conflits entre
les individus et les collectivités. Prenez la peine de
lire l'article de Jacques T. Dumais (Le Soleil, 9 janvier
2000) " Quand les religions c'est la guerre ". Lisez
également dans " L'offensive des religions "
(Le monde diplomatique, novembre-décembre,
1999), l'article de Ignacio Ramonet qui écrit que "
Les quatre principaux conflits qui ont endeuillé la planète
en 1999, sont, pour une part au moins, des conflits de religions
". Quand on est obligé de déformer l'histoire
pour défendre sa position, c'est qu'elle est indéfendable,
monsieur Girard.
Ce qui nous peine le plus, c'est que vous n'avez nullement critiqué,
à une exception près, le cur de notre propos, c'est-à-dire
les contradictions de l'école confessionnelle. Il n'y a
pas de meilleur indicateur de la faiblesse idéologique
d'un adversaire. Mais ne vous en faites pas, même le réputé
Louis O'Neil s'est attaqué au messager plutôt qu'au
message suite à l'une de nos publications dans Le Devoir
(18 janvier 2000). Vous avez su éviter ce piège
facile et c'est tout à votre honneur puisqu'un tel comportement
est habituellement utilisé par ceux qui veulent détourner
l'attention de la vacuité de leur discours.
Ce qui nous réjouit cependant, c'est que la contradiction
que vous avez critiquée nous permet de démolir la
maîtresse raison que l'Assemblée des évêques
évoque constamment quand elle n'a plus d'arguments pour
justifier l'école confessionnelle : c'est la volonté
des parents. Nous allons vous servir la même logique
que nous avons servi à l'archevêque de Québec,
Mgr Couture, lorsqu'il a affirmé, dans une entrevue parue
dans Le Soleil, le 2 décembre 1999 " que
les évêques agissent en démocrates. Ils respectent
le désir des parents ". Quel faux-fuyant. En droit
et en morale, ce n'est pas le nombre qui détermine le bien-fondé
d'une action. Si c'était le cas, les évêques
n'auraient pas à utiliser la honteuse clause nonobstant
pour contourner la Charte des droits et libertés de la
personne pour maintenir leur monopole injuste et immoral sur l'école
québécoise. De plus, vous savez très bien
qu'un milliard de personnes qui proclament une fausseté
ne la transforment pas automatiquement en vérité.
L'affaire Galilée est un exemple frappant. Si le raisonnement
de Mgr Couture était valable, cela voudrait dire que si
les parents catholiques, peu importe leur nombre, votaient demain
en faveur d'une école raciste, comme ce fut le cas dans
le sud des États-Unis, les évêques pourraient
cautionner un tel vote en se disant toujours démocrates.
C'est probablement le discours que les pasteurs blancs ont tenu
pour justifier l'école raciste.
En affirmant que " les choix religieux doivent être
considérés comme personnels et respectés
comme tels ", vous avez sabordé votre propre position.
C'est ce que le Mouvement laïque clame depuis des années.
La religion est une affaire personnelle, privée. Aucune
religion ne peut monopoliser le projet éducatif d'une école
publique sans violer la conscience de tous les autres croyants
ou incroyants inscrits à cette école. Les laïcs
ne luttent pas contre les religions mais pour une
école neutre qui respecte tous les citoyens d'un Québec
pluraliste et démocrate. S'il y a des parents qui veulent
que leurs enfants soient initiés à une religion
quelconque, c'est leur droit. S'il y a un clergé qui désire
initier ces enfants-là à leur religion avec l'accord
des parents, c'est également leur droit. Il est cependant
injuste et immoral que deux religions monopolisent par chantage
politique une école supposément publique pour recruter
et endoctriner des fidèles aux frais de tous les contribuables
Québécois même si elles ne réussissent
pas à atteindre leur but. Tant que cette injustice durera,
le Québec ne sera jamais un état démocratique
respectueux de tous ses citoyens.
Deux solutions seulement s'offrent au Gouvernement. Toutes les
religions, et nous disons bien toutes, profitent des mêmes
avantages que reçoivent actuellement les religions catholiques
et protestantes ou aucune n'en reçoit. Toute autre solution
sera nécessairement injuste et immorale.
Nous savons que les croyants ont souvent tendance à manquer
d'objectivité et d'utiliser des moyens pas toujours catholiques
pour justifier leurs croyances. C'est un peu normal puisque ces
croyances sont généralement fondées sur la
foi et l'émotion et non sur les faits et la raison. Nous
pouvons supposer que la médiocrité de votre critique
est due davantage à la formation reçue qu'à
un manque d'intelligence ou de bonne volonté de votre part.
Mais ne lâchez surtout pas. Nous espérons seulement
que le présent texte ne laissera pas votre intelligence
sur son appétit comme ce fut le cas de notre mémoire.
Est-ce que nous pouvons vous suggérer quelques lectures
qui pourraient vous aider à aiguiser votre pensée
critique. Il y a un livre que nous utilisons avec nos étudiants
intitulé La formation de la pensée critique
de Jacques Boisvert. Jacques Grand'Maison a également
écrit dernièrement un excellent bouquin Quand
le jugement fout le camp. Pour ce qui est de la religion,
si vous n'avez pas encore lu L'art d'être heureux du
Dalaï-Lama et de Howard Cutler, nous vous le suggérons
fortement. Vous verrez comment on peut atteindre un très
haut niveau de spiritualité sans religion. S'il vous reste
du temps attaquez-vous à L'histoire générale
de Dieu de Gérald Messadié. Une telle lecture
permet d'avoir une meilleure perspective de ce construit socioculturel
qu'on appelle Dieu. Vous auriez également avantage à
lire Les mensonges de l'école catholique de Daniel
Baril, président du Mouvement Laïque Québécois,
vous verriez l'ampleur du drame de l'école confessionnelle.
Si vous avez le goût de continuer ce débat idéologique,
il nous fera plaisir de vous rencontrer seul ou avec d'autres
étudiants de la Faculté de théologie et de
sciences religieuses, où vous voudrez et quand vous voudrez.
Au plaisir de croiser à nouveau les idées avec vous,
Monsieur Girard.
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