3 février 2000 |
L'image santé des produits laitiers pourrait être définitivement réhabilitée dans l'opinion publique grâce à des molécules possédant d'étonnantes et vertueuses propriétés: les acides linoléiques conjugués (ALC). La liste des bienfaits attribuables à ces molécules produites par la vache et par les autres ruminants ne cesse de s'allonger; elles combattraient le cancer, l'artériosclérose, le diabète et même l'obésité, chose assez incongrue pour un acide gras! Certains chercheurs prétendent même que ces molécules annoncent la plus grande révolution en nutrition depuis la découverte des vitamines.
Mais, ces molécules miracles sont peu abondantes dans le lait naturel; elles représentent à peine 0,5 % des acides gras laitiers. Certains nutritionnistes estiment que pour profiter pleinement des bienfaits des ALC, il faudrait que la consommation quotidienne de produits laitiers augmente par un facteur trois. "Les gens ont des habitudes alimentaires qu'il est difficile de modifier", souligne Yvan Chouinard, professeur au Département des sciences animales. "Il semble plus simple d'augmenter la concentration des acides linoléiques conjugués dans les produits laitiers que de convaincre les gens de consommer davantage de lait."
Les producteurs intéressés
C'est d'ailleurs ce qu'est parvenu à faire le chercheur
en modifiant la composition de la nourriture des vaches. "Nous
avons ajouté de l'huile de tournesol, qui contient beaucoup
d'acides linoléiques, dans l'alimentation d'un troupeau
de vaches expérimentales, explique-t-il. Les bactéries
du rumen de la vache modifient légèrement la structure
de ces molécules pour les convertir en acides linoléiques
conjugués." Les vaches ainsi nourries produisent du
lait dont la concentration en ALC est cinq fois plus élevée
que la moyenne, rapporte le chercheur dans un article paru il
y a quelques mois dans le Journal of Nutrition. On comprend
facilement pourquoi les Producteurs de lait du Canada et Novalait
suivent de près les travaux menés par ce chercheur
et pourquoi ils y ont même investi quelques dizaines de
milliers de dollars jusqu'à présent.
Stimulé par ces résultats encourageants, Yvan Chouinard veut transporter les essais sur le plancher des vaches. Il vient de proposer à Novalait de s'associer à une expérience de transfert technologique qui mettrait à contribution une dizaine de producteurs de lait de la région de Drummondville. "Les producteurs laitiers ajouteraient des graines de soya entières (dont l'huile n'a pas été extraite) à l'alimentation de leur troupeau. Leur production laitière serait livrée à une petite laiterie de la région. Le lait serait mis en marché dans un emballage spécial et nous pourrions ainsi tester la réaction des consommateurs à ce lait santé. Je n'anticipe pas de problème d'image parce que, contrairement aux OGM, il n'y a pas de manipulations génétiques dans notre technique."
Par ailleurs, Yvan Chouinard et sa collègue Nathalie Bergeron, du Département des sciences des aliments et de nutrition, projettent de produire et de mettre à l'essai un beurre riche en ALC. "Le beurre va être intégré à l'alimentation d'un groupe de sujets humains et nous allons suivre l'évolution de leur profil lipidique pendant quelques semaines", résume-t-il.
D'une pierre, deux coups
Lors d'une expérience menée en vue de déterminer
les effets des acides linoléiques conjugués sur
la vache elle-même, Yvan Chouinard, Louise Corneau, A. Saebo
et D.E. Bauman (Cornell University) ont infusé des quantités
connues d'ALC dans l'estomac de vaches expérimentales.
En moins de cinq jours, le contenu en gras du lait produit par
ces vaches a connu une baisse variant de 25 % à 50 %, rapportent
les chercheurs dans le Journal of Dairy Science de décembre
1999.
Les acides linoléiques conjugués pourraient ainsi solutionner le problème créé par les surplus de gras laitiers. En effet, en raison de la chute spectaculaire de la consommation du beurre au pays, l'industrie laitière est aux prises avec des surplus de gras laitiers dont elle ne sait trop que faire. "À la ferme, les vaches donnent un lait qui contient environ 3,5 % de matières grasses. Les producteurs pourraient livrer un lait jusqu'à deux fois moins gras aux laiteries en donnant des suppléments d'ALC encapsulés aux vaches", estime Yvan Chouinard.
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