3 février 2000 |
Afin de clore dignement les activités entourant son 50e anniversaire, la troupe de théâtre Les Treize présente, les 4, 5 et 6 février, au Théâtre de la Cité universitaire, à 20 h, La visite de la vieille dame, une oeuvre satirique qui cache, derrière la façade d'un drame alliant le pathétique, le grotesque, l'absurde et l'outrance aux pointes les plus recherchées, des problèmes moraux bien actuels. Cette tragicomédie en trois actes, écrite en 1956 par l'auteur dramatique et romancier suisse Friedrich Dürrenmatt, est mise en scène par Jean-François Lessard dans une traduction de Jean-Pierre Porret. Sur scène, 21 comédiens et cinq musiciens offriront une prestation mémorable dans les décors minimalistes, mais très évocateurs, du scénographe professionnel Vano Hottom.
L'action se déroule à Güllen, un petit village allemand en ruines, dont les habitants fondent leur espoir en des jours meilleurs sur la visite prochaine de Claire Zahanassian, une sexagénaire milliardaire, originaire de l'endroit, à qui ils comptent bien soutirer de l'argent. Mais la vieille dame arrive plus tôt que prévu, déstabilisant les Güllenois qui avaient préparé une mise en scène bien orchestrée. Elle prend les devants et offre cent milliards aux villageois si l'injustice qu'elle a subie jadis à Güllen est réparée. À ses yeux, justice sera faite par l'assassinat de l'épicier Alfred Ill, l'amour de sa jeunesse qui, après l'avoir engrossée, avait juré, au tribunal de Güllen, ne pas être le père de l'enfant et obtenu gain de cause en poussant deux garçons au parjure. Méprisée des habitants de Güllen, Claire Zahanassian dut s'exiler et vendre son corps pour assurer sa subsistance, jusqu'à ce qu'elle rencontre son premier mari, un milliardaire qui devait lui léguer sa fortune à sa mort. Un seul désir la hante depuis cette tragique affaire de jeunesse: la mort de l'ingrat pour réparer l'offense passée. La tête d'Alfred Ill est donc mise à prix par la vieille dame. Ce dernier, voyant les habitants de Güllen acquérir soudainement, à crédit, des biens luxueux, sent sa mort prochaine. "La prospérité me menace ", dit-il. Les Güllenois semblent aux aguets, l'arme prête. Tueront-ils Alfred Ill pour de l'argent ?
Un miroir de la société
En montant La visite de la vieille dame, Jean-François
Lessard a cherché à mettre en relief les rapports
entre les individus, en privilégiant une approche sociologique,
plutôt que psychologique, politique ou mythologique. Il
désire amener le spectateur à se questionner sur
les valeurs et certains comportements sociaux qui prévalent,
non pas seulement dans l'oeuvre et au temps de Dürrenmatt,
mais aussi à notre époque, notamment le mensonge,
le souci des apparences, la culpabilisation et, surtout, le pouvoir
de l'argent.
"Tout le drame de cette pièce découle d'un mensonge: les faux témoignages qui ont poussé Claire à se prostituer et à revenir plus tard pour se venger. Le mensonge ne constitue pas seulement le catalyseur de l'histoire, il y est bien installé", fait valoir Jean-François Lessard.. "Au deuxième acte, on voit clairement que les gens de Güllen se mentent à eux-mêmes constamment. Ils rationalisent continuellement pour éviter de regarder la réalité en face et pour justifier leurs déviances. Dans le troisième acte, on sent la préoccupation des habitants face à l'image qu'ils projettent. Ils essaient toujours de sauver la face. L'arrivée des journalistes amplifie ce comportement. Si bien qu'à un moment, on a l'impression d'assister à la parade d'un village héroïque, peuplé d'hommes et de femmes modèles. L'odieux, dans cette histoire, c'est que personne, même les journalistes, ne cherche à lever le voile sur cette affaire de don de cent milliards."
Jean-François Lessard insiste pour dire que cette pièce ne réprésente nullement un combat dichotomique entre le bien et le mal. Personne à Güllen n'est blanc comme neige. Les véritables coupables de cette tragédie seraient les armes qu'utilise Claire Zahanassian pour arriver à ses fins: la culpabilisation et l'argent. "Il y a quelque chose en moi qui veut dénoncer la manipulation par la culpabilisation, comme celle qu'emploie Claire, soutient le metteur en scène. Quand elle dit aux gens de Güllen: ¨ Vous avez fait de moi une putain ¨, elle tente d'implanter chez eux un sentiment de culpabilité pour qu'ils se sentent obligés et justifiés de tuer Alfred Ill. "
Mis à part le fait que cette oeuvre interroge le comportement humain, à l'instar des autres pièces de théâtre, Jean-François Lessard a monté La visite de la vieille dame parce qu'elle pose une question fondamentale: qu'est-ce qu'on est prêt à faire pour de l'argent ? "Au quotidien, on renie nos valeurs pour de l'argent, sans en être toujours conscient. Alors sachant son énorme pouvoir sur notre conduite, ne serait-il pas le temps de le remettre à sa place, qu'il redevienne un moyen, plutôt qu'une finalité?", interroge-t-il .
On peut se procurer les billets en prévente au coût de 10 $, au Service des activités socioculturelles, au local 2344 du pavillon Alphonse-Desjardins, ou les soirs mêmes du spectacle, au coût de 12 $. Pour informations: 656-2765.
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