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3 février 2000 ![]() |
Pour enseigner, il faut connaître sa matière, tout le monde en convient. Mais encore faut-il savoir comment transmettre cette matière. Enseigner peut-il s'apprendre? A-t-on besoin d'une formation formelle à l'université pour le faire? Professeur à la Faculté des sciences de l'éducation, Clermont Gauthier estime que le savoir pédagogique ne descend pas du ciel, et c'est le point de vue qu'il a défendu lors d'une table ronde organisée par la Société philosophique de Québec, le 26 janvier, au Café des arts, rue Saint-Jean, sur le thème "L'enseignant: savant ou pédagogue?" Participait aussi à cette discussion - qui a attiré une foule record - Gilles Gagné, professeur au Département de sociologie, qui veut replacer la responsabilité et la passion au coeur même de l'acte d'enseigner.
Au cours des siècles, la façon d'enseigner a énormément évolué, a d'abord expliqué Clermont Gauthier. Par exemple, avant le XVIIe siècle, en Europe, la connaissance de la matière faisait foi de tout et quiconque savait lire pouvait enseigner la lecture. Au fil des ans, il y a eu prise de conscience qu'au-delà de la connaissance disciplinaire existaient d'autres types de savoir qu'il importait de connaître pour bien enseigner. Consignés dans des traités de pédagogie, ces "trucs et recettes" s'apprennaient par compagnonnage auprès d'un maître aguerri. De cette formalisation de la manière d'enseigner est née la pédagogie traditionnelle. Au début du XXe siècle, l'idéal projeté consistait à faire du pédagogue un scientifique, et de la pédagogie une science appliquée. Au Québec, dans les années soixante, cette "idéologie scientiste" se concrétisera par la volonté d'offrir une formation plus scientifique aux futurs maîtres. L'embauche par les facultés de sciences de l'éducation de professeurs provenant de toutes les disciplines - professeurs qui n'avaient aucune préoccupation relative à l'enseignement - aurait contribué à l'échec de cette utopie scientiste, selon Clermont Gauthier.
Une dépense inutile
"Chez les enseignants des écoles, cet échec
a concouru à accentuer l'idée selon laquelle enseigner
s'apprenait sur le tas, par essais et par erreurs, a souligné
Clermont Gauthier. Les disciplinaires des universités,
eux, en ont conclu qu'enseigner était d'abord et avant
tout une affaire de connaissance de la discipline et que le reste,
la pédagogie, somme toute quantité négligeable,
dépense inutile, part maudite, est ou bien une affaire
de don, de passion, de culture, d'expérience ou encore,
une affaire de bon sens." En revanche, l'échec du
modèle scientiste a mis de l'avant l'idée d'un projet
de professionalisation de la formation à l'enseignement
chez plusieurs formateurs des maîtres des facultés
des sciences de l'éducation. "Essentiellement, fait
valoir Clermont Gauthier, ce projet vise à réunir
le monde des enseignants et le monde universitaire, deux univers
séparés depuis trente ans. Il vise aussi une formation
plus intégrée entre les cours à visée
théorique et ceux de nature plus pratique. Enfin, la professionnalisation
vise à mettre davantage en lien la recherche avec la formation,
ce qui constitue un point capital, à mon avis."
Le "bon" enseignant
Pour sa part, le sociologue Gilles Gagné fait de l'idée
de responsabilité l'essence même de l'enseignement.
Dans cette optique, "l'enseignant croit que ce qu'il dit
est digne d'être dit et mérite d'être appris".
Dans un esprit d'ouverture aux besoins de l'enfant, l'enseignant
participe activement à ce savoir qu'il transmet; il en
est maître et donc, il en est juge. "On ne transmet
jamais en vrac mais toujours avec une certaine organisation, a
soutenu le sociologue. Il est normal qu'un enseignant insiste
plus sur ceci que sur cela. Par exemple, il peut préférer
Baudelaire à Rimbaud et organiser son enseignement en conséquence.
Par ailleurs, je dis bravo au professeur qui accepte de sortir
de sa matière, l'espace de quelques instants, et qui échappe
ainsi à ce que le ministère de l'Éducation
a prévu pour lui!"
Participant à cet idéal de connaissance et de lucidité, l'enseignant se porterait donc responsable de ce qui, dans une culture, mérite d'être transmis et acquis. Sa matière est le lieu de sa responsabilité. Selon Gilles Gagné, "le mythe de la pédagogie", selon lequel il existe de grands savants qui sont de mauvais professeurs, gagnerait du terrain à l'université. Convenant que les enseignants sont nécessairement mauvais s'ils n'entretiennent pas de rapports profonds avec leur discipline, Gilles Gagné pense que l'enseignant est intéressant s'il s'intéresse lui-même à sa matière et à ceux auxquels il s'adresse. Outre un rapport passionnel avec la chose enseignée, l'enseignant digne de ce nom doit posséder cette capacité de témoigner personnellement de ce que la civilisation juge valable pour tous. "Finalement, conclut-il, c'est la routine qui fait les mauvais professeurs."
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