20 janvier 2000 |
Le père Georges-Henri Lévesque, fondateur de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval et l'un des personnages marquants de l'histoire contemporaine du Québec, s'est éteint le 15 janvier à Québec, à l'âge de 96 ans et 11 mois. L'annonce du décès de celui que certains ont déjà qualifié de "père de la Révolution tranquille" ou de "père de la renaissance québécoise" a vite suscité nombre de témoignages provenant tant du milieu universitaire que politique du Québec et du Canada. De la race des bâtisseurs |
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"Son départ nous chagrine profondément. Son legs est tout simplement unique et exceptionnel", a estimé de son côté Lise Darveau-Fournier, doyenne de la Faculté des sciences sociales. Jean-Paul Montminy, professeur émérite et ancien doyen de la Faculté, s'est souvenu, quant à lui, de l'homme qu'il a bien connu."
À l'occasion de son décès, on rappellera les grandes réalisations et les nombreuses fondations du Père Lévesque. Pour ma part, je soulignerai avec émotion ses qualités de coeur: accueil et service. Combien d'étudiants et de professeurs venus frapper à sa porte ont trouvé un homme d'écoute et même, il faut le dire, une homme de compassion", de témoigner le dominicain.
C'est également le côté humain de l'"inspirateur" et du "bâtisseur" que fut le père Lévesque qu'a tenu à louer à son tour l'ex-recteur Michel Gervais. "Je retiendrai surtout de lui sa chaleur humaine. Il connaissait personnellement tous les étudiants et les étudiantes de la faculté qu'il avait fondée et dont il était doyen, raconte-il. Et puis, il avait un sens de l'humour extraordinaire. Je me souviens de l'avoir entendu dire à un ancien étudiant de l'École de service social qui résidait à Trois-Rivières: "Peux-tu me rendre service? Irais-tu réciter pour moi un Ave sur la tombe de Duplessis?" Comme disait un maître à propos de la musique de Haëndel, la connaissance du père Lévesque avait de quoi "réconcilier avec la nature humaine"."
Un leader intellectuel du Québec
Les médias écrits et électroniques de
la province, de même que des agences comme la Presse canadienne,
n'ont pas manqué de faire grand état de la litanie
d'hommages qui n'ont cessé de fuser depuis l'annonce du
décès de Georges-Henri Lévesque, samedi dernier.
Au premier plan, la gerbe du premier ministre Lucien Bouchard. "Père intellectuel d'un grand nombre d'acteurs de la Révolution tranquille, il a formé plusieurs personnes qui ont contribué à faire entrer le Québec dans la modernité. Le progrès social a toujours été au coeur de ses préoccupations. Son ouverture d'esprit peu commune, son respect d'autrui et l'élévation de sa pensée font de lui un leader intellectuel du Québec", s'est exprimé le premier ministre par le biais d'un communiqué.
Pour le chef du Parti libéral du Québec, Jean Charest, le père Lévesque aura favorisé l'apparition d'un nouveau courant idéologique qui s'est concrétisé dans la Révolution tranquille. "Son engagement social aura laissé une marque impressionnante sur le Québec d'aujourd'hui", a déclaré le chef du PLQ. D'Ottawa, le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion, fils du défunt politologue Léon Dion, de l'Université Laval, devait ajouter: "Il a créé un espace de liberté. Sa grande phrase qui résume toute sa pensée était: "La liberté aussi vient de Dieu." Cette simple phrase a transformé le Québec." Et de renchérir Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois: "Georges-Henri Lévesque s'est battu pour la liberté. Il aura cherché jusqu'au bout à briser les cloisons qui enferment l'esprit, aussi bien au sein de l'Église que dans notre société."
D'anciens élèves du père Lévesque ont joint leur voix au concert d'éloges qui s'est fait entendre depuis quelques jours. Ainsi en est-il de Claude Morin. "Dans un contexte où l'Église s'opposait au progrès, il nous expliquait qu'on pouvait proposer des réformes audacieuses, que ce n'était pas péché, que c'était même vertueux de le faire", a raconté l'ex-ministre de René Lévesque. Et aussi de Marcel Pepin, qui a assumé longtemps la présidence de la CSN. "Il a été un très grand professeur. Il nous disait: "Vous êtes jeunes, vous avez des idéaux. Quand vous vieillirez, montez vers votre idéal, ne l'abaissez jamais." J'ai toujours tenté de suivre ce conseil", a relaté l'ancien chef syndicaliste.
Une vie bien remplie
Georges-Henri Lévesque a vu le jour le 16 février
1903 à Roberval. Ses parents, Georges Lévesque et
Laura Richard, ont élevé 15 enfants. Après
avoir réussi des études classiques au Séminaire
de Chicoutimi, Georges-Henri Lévesque entre chez les Dominicains
à Saint-Hyacinthe en 1923 et sera ordonné prêtre
cinq ans plus tard. Il obtiendra un doctorat en théologie
du Collège dominicain d'Ottawa en 1930.
À la demande de ses supérieurs, le père Lévesque part ensuite étudier à l'École des sciences sociales de l'Université catholique de Lille en France où on lui accorde, en 1933, un diplôme supérieur en sciences sociales. Sa carrière d'enseignant en philosophie sociale débute à ce moment au Collège dominicain d'Ottawa et il enseigne en même temps à l'Université de Montréal (de 1935-1938) et à l'Université Laval, à compter de 1936.
Georges-Henri Lévesque quitte Ottawa et laisse Montréal en 1938 pour enseigner à l'Université Laval et y fonder l'École des sciences sociales et politiques, rattachée alors à la Faculté de philosophie, et qui deviendra faculté autonome en 1943. Fondateur de la Faculté des sciences sociales, le père Lévesque en sera le premier doyen de 1938 à 1955. Il aura été professeur de philosophie sociale à l'Université Laval de 1936 à 1962.
Tout en assumant sa fonction de doyen, le père dominicain met sur pied le Conseil supérieur de la coopération dont il sera le premier président (1939-1944), puis fonde et dirige la revue Ensemble (1939-1944). Pendant les années 1950 et jusqu'au début de la décennie 1960, il sera, entre autres, membre de la Commission royale d'enquête sur les arts, sciences et lettres au Canada (dénommée commission Massey-Lévesque) de 1949 à 1951, président de la Canadian Political Science Association en 1951-1952, vice-président du Conseil des Arts du Canada de 1957 à 1962, vice-président de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS) en 1960-1961, et vice-président de la Société royale du Canada en 1962-1963.
En 1955, Georges-Henri Lévesque quitte le décanat de la Faculté des sciences sociales et fonde la Maison Montmorency, sur la côte de Beaupré, un centre de rencontres sociales, culturelles et religieuses. Il dirigera cet organisme jusqu'en 1963. Cette année-là, il se rend en Afrique, à la demande de ses supérieurs et du gouvernement rwandais, pour y instituer l'Université nationale du Rwanda. Il en sera le premier recteur de 1963 à 1972.
La carrière internationale du père Lévesque fut imposante. Il fut membre de plusieurs organisations vouées notamment à l'éducation sociale. Citons l'UNESCO, la Confédération interaméricaine d'action sociale catholique, l'Union internationale d'études sociales de Malines, la Fraternité mondiale de Genève, mais également l'Institut polonais des arts et des sciences et l'Institute of Man and Science de New York.
Il a par ailleurs reçu de multiples distinctions nationales et internationales au cours de sa vie. Il a été fait Chevalier de la Légion d'honneur de France, Compagnon de l'Ordre du Canada, Officier de l'Ordre du Québec, Commandeur de l'Ordre national des Mille Collines du Rwanda et Chevalier de l'Ordre international de la Pléiade. De nombreux prix lui ont de plus été remis comme le prix Molson du Conseil des Arts du Canada, le Prix de la Banque royale du Canada et la médaille Pearson pour la Paix. Le père Lévesque s'est vu décerner 14 doctorats d'honneur d'universités réputées, dont celui de l'Université Laval en 1963.
Pour souligner le deuil que vit présentement la communauté universitaire, les drapeaux de l'Université Laval ont été mis en berne jusqu'aux funérailles du père Georges-Henri Lévesque, qui auront lieu le samedi 22 janvier à 11 h, en l'église Saint-Dominique de Québec.
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