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20 janvier 2000 ![]() |
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Ce texte est le mémoire remis par ses auteurs à
la Commission parlementaire
de l'éducation sur la place de la religion à l'école
"La finalité de l'éducation fondamentale,
publique ou privée, doit être d'humaniser les êtres
humains et non pas de les christianiser, de les islamiser ou de
les judaïser."
Préoccupés par l'humanisation des humains, nous
avons suivi, avec intérêt, les débats entourant
la confessionnalité à l'école lors des États
généraux sur l'éducation (1995-1996). Nous
nous sommes penchés depuis sur les problèmes que
soulève une école confessionnelle dans une société
démocratique, libérale et de plus en plus pluraliste
comme le Québec. Nous aimerions par la présente,
faire part de certaines de nos réflexions sur l'école
confessionnelle.
Les discussions autour du Rapport du groupe de travail sur
la place de la religion à l'école démontrent
encore une fois que l'école québécoise demeure
un perpétuel champ de bataille où différents
pouvoirs cherchent constamment à se l'assujettir plutôt
qu'à la servir. Malheureusement, il y a toujours dans ces
luttes de pouvoir un grand absent, l'enfant. Nous aimerions nous
en faire le défenseur contre tous ceux qui veulent l'emprisonner
dans un système de croyances dogmatique et fermé
avant même que sa pensée réflexive et critique
soit développée.
Des conceptions trop dogmatiques
La finalité ultime de l'humanité est de s'humaniser.
Après le droit à la vie et à la liberté,
tous les êtres humains ont le droit inaliénable aux
connaissances théoriques et pratiques de leur propre humanisation.
Êtres perfectibles, les humains s'humanisent par un long
processus d'apprentissage qui exige temps et effort ainsi que
l'aide de guides avisés. Or, nous savons que les fondements
de cette humanisation, bonne ou mauvaise, sont posés surtout
par la famille et l'école dans les premières années
de la vie d'un enfant alors que ce dernier n'a pas encore développé
sa pensée réflexive et critique. C'est durant cette
période cruciale de son développement que l'être
humain acquiert les connaissances qui détermineront en
grande partie la qualité de sa vie et de ses relations
avec lui-même, autrui et l'environnement.
Avant d'être Québécois, Anglais ou Chinois,
catholiques, islamistes ou bouddhistes, médecins, avocats
ou pompiers, nous sommes donc des êtres humains avec un
potentiel d'humanisation dont nous ignorons encore les limites,
si limites il y a. La finalité de l'éducation fondamentale,
publique ou privée, doit être d'humaniser les êtres
humains et non pas de les christianiser, de les islamiser ou de
les judaïser. Il importe que les systèmes d'éducation
cessent de véhiculer des conceptions dogmatiques de l'existence
qui n'ont aucun fondement scientifique et qui divisent les humains
plutôt que de les unir. Le débat actuel sur la place
de la religion à l'école est un bel exemple, bien
que mineur, de cet état de fait comparé aux événements
récents du Kosovo ou d'ailleurs dans le monde.
L'éducation fondamentale qui jette les bases de notre humanisation
doit être fondée sur les déterminants essentiellement
et universellement humains que la sagesse humaine et la science
découvrent progressivement. Nous pouvons affirmer que la
rationalité constitue le premier déterminant essentiel
et universel de notre commune humanité et tous les autres
en dépendent (conscience de soi, liberté, moralité,
responsabilité, etc.). Il s'avère donc capital que
ce déterminant soit au centre de tout projet éducatif
et qu'on y respecte les exigences de son développement.
Dans les pages qui suivent, nous démontrons comment ce
déterminant fondamental de notre humanité qu'est
la rationalité est bafoué dans une école
confessionnelle. Cet état de fait entraîne des contradictions
qui perturbent l'esprit des enfants à la recherche d'une
conception de la vie qui donne sens et cohérence à
leur agir humain. Ces contradictions des adultes qui les encadrent
provoquent chez les enfants non seulement un manque de confiance
dans leur pensée réflexive et critique mais également
une remise en question progressive de la confiance qu'ils vouent
naturellement aux adultes signifiants de leur vie.
Les contradictions sur une conception de la vie et de l'humain
"La caractéristique fondamentale de l'être
humain est la capacité de son cerveau à former des
concepts à partir des perceptions que ses sens captent
de la réalité et de les organiser en de multiples
cadres de référence qui le guident dans la conduite
de sa vie quotidienne " . " De tous les concepts et
les cadres d'orientation développés par les êtres
humains, au cours de leur longue évolution, aucun n'a eu
plus d'impact que ceux qui définissent leur propre nature
" .
" Dans les débuts de l'aventure humaine, ce rôle
explicatif fut rempli par les religions et leurs ministres. Au
cours de leur histoire, les êtres humains se sont construits
au-delà de 32 000 différents dieux dans leur effort
pour comprendre et maîtriser la dure réalité...
Ce rôle, joué par les religions, fut progressivement
remplacé par les sciences depuis Aristote. La raison, la
science et la technologie ont acquis droit de cité en multipliant
à un rythme croissant les connaissances sur la nature humaine
et les différents systèmes dont elle fait partie.
Cet état de fait oblige les êtres humains à
remettre constamment à jour leurs représentations
mentales et leurs cadres d'orientations s'ils ne veulent pas conduire
leur vie individuelle et collective sur des connaissances fausses,
limitées ou dépassées " .
Chaque humain doit, pour sa survie, celle de son espèce
ainsi que pour son épanouissement et son bonheur personnels,
sans cesse s'efforcer de se doter d'une représentation
mentale de sa nature qui soit la plus scientifique, récente
et cohérente possible. D'où l'importance capitale
de choisir, avec le plus de circonspection possible, les cadres
de référence que nous enseignons aux enfants. Il
faut faire des efforts inouïs pour que les représentations
mentales que nous leur présentons soient le plus près
possible de la réalité qu'ils vivent dans le présent
et celle qu'ils vivront dans le futur.
Les religions contre le changement
Si notre démarche est logique et factuelle, comment
accepter alors qu'une école publique, quelle qu'elle soit,
enseigne la conception de l'existence, de la vie et de la personne
d'une confession particulière avec ses dogmes et ses rites
qui demeure un construit socioculturel parmi plusieurs, figé,
de par sa nature même, dans le temps. Une telle position
s'oppose aux exigences du cerveau, du développement des
connaissances et de la personne ainsi que d'une réalité
en perpétuel changement. Ce n'est pas un hasard que la
plupart des religions, à travers l'histoire, se sont constamment
élevées contre l'inexorable changement et sont également
devenues une des causes majeures des conflits entre les humains
et des souffrances incommensurables qui en découlent. Dans
certaines écoles américaines, les pressions religieuses
ont fait rejeter récemment l'évolutionnisme au profit
de créationnisme.
L'école québécoise peut continuer à
véhiculer la vision confessionnelle de la vie mais elle
le fait nécessairement au détriment d'une nouvelle
vision qui tiendrait davantage compte des connaissances scientifiques
sur l'être humain et son humanisation.
Plaçons-nous dans la tête d'un enfant à qui
on enseigne la " pensée magique " d'une confession
dans un cours et qui se fait dire, dans un autre, d'être
rationnel et logique et de baser sa réflexion sur des faits.
Comment peut-il développer sa confiance en ses capacités
réflexives et critiques ? La tête de nos enfants
est remplie de contradictions évidentes et on se surprend
ensuite qu'ils soient désorientés et rejoignent
les sectes les plus farfelues.
On sait depuis toujours que les humains préfèrent
croire que penser. C'est normal puisque penser est l'acte volontaire
par excellence qui fonde notre humanité mais contrairement
à la croyance, il exige un effort soutenu pour se développer.
Tous les déterminants essentiellement et universellement
humains de l'espèce nous sont légués que
sous forme de potentialités, y compris la capacité
de penser qui fonde notre humanité. Or, la question fondamentale
est de savoir si l'école québécoise veut
enseigner à croire ou à penser ?
Plus grave encore : tant que le monopole de la vision chrétienne
régnera sur l'école québécoise, il
sera impossible de fonder le système québécois
d'éducation sur une conception véritablement humaniste
tenant compte de toutes les merveilleuses découvertes faites
sur l'humain au cours des dernières décennies. C'est
pourquoi Edgar Morin affirme " que la philosophie de l'homme
surnaturel serait un des derniers fantasmes, une des dernières
résistances opposées à la science de l'homme
" . Or, comment avoir une véritable éducation
fondamentale sans une science du développement de la personne.
Carl Rogers, un psychologue humaniste, avait lui aussi bien saisi
l'impossibilité, pour des religions, d'appuyer un mouvement
d'humanisation puisque " le vrai croyant est aussi l'ennemi
du changement et on le trouve à gauche, à droite
et au centre " .
Le drame de l'école québécoise
Enseigner la vision d'une seule religion à des enfants
qui n'ont pas encore développé leur pensée
réflexive et critique nous apparaît totalement immoral.
C'est une façon malhonnête de passer par la grande
sensibilité des enfants pour mettre dans leur subconscient
une représentation d'un monde surnaturel dont l'existence
n'a jamais été prouvée et dont ils deviendront,
à leur insu, les prisonniers.
L'école québécoise ne pourra jamais être
fondée sur un véritable humanisme, séculier
et rationnel, tant et aussi longtemps qu'un l'humanisme surnaturel
y sera présent. Ceci nous apparaît actuellement comme
le grand drame de l'école québécoise actuelle.
Selon nous, il est incompréhensible que le Québec,
à l'aube du 3e millénaire, s'en remette encore à
certaines confessions pour définir la conception de la
nature humaine qui sous-tend tout système d'éducation.
Ne comprendrons-nous jamais l'importance capitale d'une conception
la plus juste et cohérente possible de notre nature dans
toutes les sphères de l'activité humaine ?
Autres questions fondamentales : l'école québécoise
publique va-t-elle continuer à enseigner une conception
surnaturelle et fermée de l'être humain basée
sur la révélation ou s'orientera-t-elle vers une
conception naturelle et ouverte basée sur la recherche
scientifique et la sagesse humaine ? Est-ce que l'école
publique privilégiera enfin un humanisme fondé sur
les déterminants essentiellement et universellement humains
de notre espèce qui nous mettent tous sur un pied d'égalité
ou continuera-t-elle à privilégier une confession
particulière, source de concepts divisifs, source de conflits
et de misères humaines incalculables.
Les contradictions des confessions
Nous nous expliquons difficilement comment une confession
qui " prône les valeurs d'autonomie, de responsabilité,
de respect, de justice, d'amour, de solidarité, etc. "
puisse en appeler à la clause nonobstant pour se soustraire
à la Charte des droits et libertés de la personne,
ce sommet moral de l'humanité qui prône l'égalité
pour tous.
Il est également inconcevable que le " Comité
catholique du Conseil supérieur de l'éducation justifie
le traitement privilégié accordé aux traditions
chrétiennes au nom de <l'équité> "
alors que tout le débat tourne autour de l'iniquité
actuelle de ce privilège politique historiquement compréhensif
mais actuellement indéfendable. Le discours chrétien
sur l'école confessionnelle est loin d'être monolithique.
Beaucoup de catholiques sont mal à l'aise, et avec raison,
devant l'usage que fait l'épiscopat catholique de la clause
nonobstant pour contourner la Charte des droits et libertés
de la personne.
Des membres du clergé catholique, ont déclaré
dans un reportage récent présenté à
l'émission télévisée " Enjeux
" que confirmer des enfants de huit ans c'est tôt puisqu'ils
ne savent pas les vraies raisons de leur confirmation. Ils le
font pour leurs parents, le professeur, leur curé ".
Si on remet en question l'âge trop jeune des enfants à
la confirmation, ne serait-ce pas de mise de se requestionner
sur l'âge à laquelle une confession pourrait être
présentée à ces enfants. S'ils sont trop
jeunes pour comprendre le sens abstrait de la confirmation, ils
le sont également pour une confession largement abstraite.
Comme aucune confession ne peut démontrer l'existence d'un
monde surnaturel ni sa supériorité sur les autres
confessions, maintenir dans un système public d'éducation
un privilège politique à une ou deux confessions
au détriment des autres nous apparaît non seulement
injuste mais immoral. Comment des hommes d'église, qui
se targuent d'être les gardiens de la morale publique, peuvent-ils
accepter et défendre une injustice aussi évidente,
même aux yeux d'un enfant.
Les contradictions des enseignants
En faisant de l'école publique une école confessionnelle,
on oblige de nombreux enseignants " à dispenser un
enseignement religieux confessionnel avec lequel ils se sentent
mal à l'aise " . Comme ... " la religion est
pour l'heure la discipline que les enseignants valorisent le moins
" et qu'entre le tiers et 50% d'entre eux s'y sentent mal
à l'aise, comment s'imaginer qu'un tel enseignement puisse
avoir un impact éducatif sur les enfants. Le fait que la
presque totalité des adolescents/es sont non-pratiquants
démontre l'échec de l'enseignement religieux à
l'école. Si une autre matière scolaire obtenait
le niveau d'échec de l'enseignement religieux, on l'aurait
retirée depuis longtemps de l'horaire.
Comment des enseignants qui doivent transmettre les valeurs démocratiques
de la société québécoise dont la justice
et l'égalité de tous devant la loi peuvent-ils tolérer
à l'intérieur même de leur école une
situation aussi antidémocratique qu'injuste ?
Maintenir l'école confessionnelle, n'est-ce pas encourager
en quelque sorte l'hypocrisie chez les enseignants qui enseignent
une matière à laquelle ils ne croient pas tout en
perpétuant une injustice ? Est-ce que l'école québécoise
va continuer longtemps à forcer ses enseignants à
s'avilir ainsi intellectuellement et moralement ? Comment ces
enseignants oseront-ils ensuite exiger des élèves
d'être cohérents et justes ?
Les contradictions des parents
Approximativement 86% de parents se disent catholiques. Pourtant,
seulement 10% à 15% d'entre eux pratiquent régulièrement
leur foi. La très grande majorité sont des gens
âgés. Dans une émission récente à
la télévision, un curé affirmait que seulement
4.5% de ses paroissiens pratiquaient régulièrement
et que leur moyenne d'âge était de 70 ans. De tels
chiffres démontrent que la presque totalité des
parents qui inscrivent leurs enfants à l'enseignement religieux
sont non-pratiquants puisqu'ils sont encore jeunes. Est-il alors
normal de laisser une frange aussi petite de pratiquants, déterminer
l'orientation éducative des générations futures
?
Est-ce que les parents seraient victimes du discours des Églises
qui laisse sous-entendre, en faisant l'économie de la preuve,
que l'école laïque est " une école sans
valeur éducative en raison de sa neutralité sur
le plan religieux " . Quelle présomption de la part
des Églises chrétiennes de croire qu'elles possèdent
le monopole du patrimoine moral de l'humanité et quelle
naïveté de la part des parents qui les croient ?
On peut également penser que beaucoup de parents inscrivent
leurs enfants dans les cours d'enseignement religieux afin d'éviter
que leurs enfants soient en quelque sorte marginalisés
dans une école qui s'affiche ouvertement comme confessionnelle.
Est-ce qu'une école publique ne devrait pas, de par sa
nature même, créer les conditions qui éliminent
systématiquement la division et l'exclusion dans son enceinte
?
Les contradictions des politiciens
Comment un politicien peut-il justifier qu'un état
de droit, démocratique, libéral et pluraliste comme
le Québec puisse maintenir dans ses lois une clause dérogatoire
permettant à un petit groupe confessionnel organisé
de se soustraire à la Charte des droits et libertés
de la personne ?
Comment un gouvernement peut-il utiliser les taxes de tous ses
citoyens, croyants et incroyants, pour favoriser l'enseignement
d'une seule confession à l'intérieur d'un système
d'éducation qui doit, de par sa nature même, satisfaire
des besoins qui sont communs à tous ?
Si l'État québécois " veut développer
chez tous un sentiment de solidarité sociale et d'appartenance
commune à la société québécoise
" , comment peut-il privilégier une confession au
détriment des croyants des autres confessions et des incroyants
sachant que les religions ont été l'une des causes
majeures des conflits entre les humains au cours de leur histoire
?
Comment maintenir sa confiance envers des dirigeants politiques
qui s'inquiètent davantage de la perte de votes que de
la justice et de l'égalité de tous devant la loi
?
Un premier pas vers la cohérence
L'école doit être, avec la famille, le lieu par
excellence de l'humanisation des êtres humains. Elle a le
devoir d'offrir aux générations montantes les outils
théoriques et pratiques de leur propre humanisation. Elle
doit surtout aider les jeunes cerveaux à se doter de cadres
théoriques qui leur offrent la conception la plus juste,
cohérente, rationnelle et scientifique de la nature,
de la vie, d'eux-mêmes et de la société.
Pour ce faire, l'école doit éliminer en son sein
les contradictions qui font qu'un enfant apprend non seulement
à douter de ses capacités réflexives, mais
également de toutes les personnes dont il dépend
pour se doter d'un " paysage mental " cohérent
et le plus juste possible de l'existence. Or, l'école confessionnelle
dans un État de droit, démocratique, libérale
et pluraliste est en soi une contradiction flagrante qui oblige
de nombreuses personnes à vivre au milieu de contradictions
déshumanisantes.
L'humanisation d'un être humain est suffisamment difficile
sans qu'on y ajoute toutes ces contradictions inutiles qui contribuent
grandement à l'inefficacité d'un système
d'éducation en perpétuelle crise.
Déconfessionnaliser totalement l'école québécoise
est un premier pas vers la justice et la cohérence. Cela
obligera enfin l'école québécoise à
se doter d'une conception de l'humain qui soit naturelle, c'est-à-dire
scientifique, ouverte et non pas surnaturelle et fermée.
Cette révolution est urgente mais impossible dans une école
confessionnelle.
L'État québécois se doit de révoquer
un privilège devenu injuste et qui aujourd'hui n'a plus
sa raison d'être dans un état de droit basé
sur l'égalité de tous et la justice pour tous. L'État
québécois doit cesser de se faire manipuler par
les lobbies confessionnels et tout particulièrement par
l'épiscopat catholique qui exerce, grâce à
sa structure paroissiale et son autorité sur ses fidèles,
une influence bien au-delà des 12% à 15% de catholiques
pratiquants du Québec.
L'éducation fondamentale doit aider tous les enfants dans
leur processus d'humanisation. Ne sont-ils pas alors en droit
d'être entourés à l'école d'adultes
démontrant un haut niveau d'intégrité intellectuel
et moral. Or, l'existence d'une école publique confessionnelle
rend ce souhait difficilement réalisable compte tenu des
nombreuses contradictions qu'elle engendre.
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