13 janvier 2000 |
Officiellement, la Suisse ressemble à un pays où hommes et femmes entretiennent des rapports très égalitaires. Personne n'ose publiquement risquer une remarque sexiste ou misogyne, et les universités helvétiques regorgent d'étudiantes désireuses de se lancer dans des carrières prestigieuses, qu'il s'agisse de devenir médecin ou avocate. Pourtant, la réalité domestique s'avère un peu différente, comme l'a constaté Patricia Roux, une professeure suisse de sociologie qui présentait ses travaux de recherche à une réunion organisée fin novembre par le GREMF, le groupe de recherche multidisciplinaire féministe de l'Université Laval.
Pendant plusieurs mois, Patricia Roux a tenté de comprendre la manière dont 400 couples mariés se partageaient les tâches quotidiennes, et surtout les arguments qui pouvaient justifier la division des travaux. Au fil de ses rencontres et des questionnaires recueillis, elle a constaté que malgré tous les beaux discours, la responsabilité du travail ménager repose encore sur la femme dans 80 % des cas. Pire, alors qu'articles, livres, conférences abondent sur le rôle des nouveaux pères, ces derniers continuent à déléguer le soin aux enfants à leur épouse, dans une proportion de 73 % des ménages interrogés.
"Depuis dix ans, les statistiques montrent clairement une très faible évolution du rôle des hommes à la maison, renchérit Patricia Roux. En fait, il semble qu'ils consacrent deux heures de plus par semaine au ménage et au soin des enfants, soit neuf heures. Pendant ce temps, les femmes continuent à investir 36 heures hebdomadairement." Le plus curieux, c'est que la recherche de la sociologue montre que les épouses justifient le comportement discriminatoire de leur conjoint. "Très souvent, elles déclarent que leur mari n'a pas le temps de s'occuper de la maison, car il travaille trop."
La peur du conflit?
Selon la sociologue, les femmes ont tendance fréquemment
à valoriser la moindre implication de leur époux
dans la vie quotidienne en espérant secrètement
qu'il en fera un peu plus dans l'avenir. De plus, elles préfèrent
lui trouver des excuses pour le travail qu'il n'accomplit pas
dans la maison par souci de maintenir une harmonie au sein du
couple. Même si les femmes interrogées savent pertinemment
que la plupart des tâches quotidiennes leur reviennent,
elles ne veulent pas pour autant se livrer à une guerre
des tranchées qui transformerait le foyer en champ de bataille,
et essayent donc de minimiser le travail à accomplir.
Alors, comment revenir à un mode de gestion plus égalitaire? Peut-être tout simplement en mieux répartissant le partage des activités professionnelles, suggère la sociologue. En Suisse, seulement 20 % des femmes travaillent à temps plein, contre 98 % des hommes, et un tiers des épouses se définissent comme des femmes au foyer. Il faut dire que les places en garderies brillent par leur rareté, et que l'horaire des écoliers, avec une pause de trois heures pour le dîner, semble peu compatible avec celui de deux parents salariés.
"Je crois vraiment que si les hommes s'investissaient un peu moins à l'extérieur - la moyenne des heures travaillées des postes à temps plein s'élève à 47 heures hebdomadaire - ils auraient davantage de temps à accorder aux soins des enfants et au ménage, soutient Patricia Roux. Peut-être que des épouses qui se consacrent entièrement à leur famille pourraient alors exercer une activité professionnelle, et acquérir alors une autonomie financière." Dans une prochaine recherche, la sociologue envisage d'ailleurs d'explorer les politiques publiques qu'il faudrait mettre en place pour faciliter cette transition.