13 janvier 2000 |
Posant un jugement sévère sur le Québec contemporain, Fernand Dumont (1927-1997) estimait, ni plus ni moins, qu'il n'y avait que dans l'échec que les Québécois étaient forts. Dans un de ses derniers ouvrages, Raisons communes, ce professeur de sociologie à l'Université Laval, considéré comme l'un des pères de la Révolution tranquille, dresse un tableau fort sombre du système scolaire du Québec, déplorant le "gaspillage d'humanité", la "dilapidation des fonds publics", de même que le "taux élevé de décrochage scolaire". Étendant ce diagnostic pessimiste à la qualité du français et à la culture des Québécois, Dumont écrit que c'est tout le système qui est malade: "Nous avons assez bien réussi dans le travail de démolition, mais l'édifice biscornu que nous avons construit à grands frais est lézardé de toutes parts."
Professeur au Département de science politique, Max Nemni rapportait récemment ces propos étonnants de Fernand Dumont, dans le cadre d'un débat intitulé "L'oeuvre de Fernand Dumont et la Révolution tranquille", qui a eu lieu à l'agora du pavillon Alphonse-Desjardins. Participaient également à cette discussion, organisée par la Chaire publique de l'AELIÉS, le sociologue Jean-Philippe Warren, de l'Université de Moncton, et la philosophe Danièle Letocha de l'Université d'Ottawa.
"En fait, Dumont critique tout l'effort de modernisation entrepris depuis les années 1960, a souligné Max Nemni. Je n'ai jamais lu un diagnostic aussi sévère des faits et gestes des Québécois. Des critiques infiniment moins violentes émises par des observateurs non-francophones de la scène québécoise tels l'Institut C.D. Howe, Mordecaï Richler ou la Gazette sont immédiatement traitées comme de simples menaces visant "à faire peur aux Québécois"."
Les cordes sensibles
Pourquoi écoute-t-on si attentivement Fernand Dumont?
Selon Max Nemni, la réponse à cette question tient
au fait que le discours de l'illustre sociologue touche les cordes
sensibles de nombreux Québécois qui, eux aussi,
ressentent profondément la fragilité de leur langue
et de leur culture en Amérique du Nord. À l'instar
de Fernand Dumont, ils perçoivent le Québec comme
un organisme qui risque de s'éteindre s'il n'obtient pas
l'espace vital nécessaire à son plein épanouissement.
"Pour toutes ces personnes, comme pour Dumont, explique Max
Nemni, les nombreux échecs du Québec sont attribuables
avant tout à la place exigue que l'Autre culture - celle
du Canada anglais - leur a concédée. L'Histoire
ne leur appartenant que partiellement, les Québécois
ne sont que partiellement responsables de leur sort."
Dès le premier paragraphe de son ouvrage Genèse de la société québécoise, Fernand Dumont précise qu'une société n'est vraiment "fondée" que par l'accès à la sphère politique, révèle Max Nemni. Sans ces assises, on est en face d'une société "tronquée", où manquent les éléments essentiels à la préservation de son identité. "En clair, explique Max Nemni, Dumont nous dit que tant que la question de l'identité culturelle ne sera pas réglée politiquement, la société québécoise restera bloquée. La possibilité de mettre fin à la série d'échecs, de ruptures, selon son vocabulaire, qui ont jalonné l'histoire de la société québécoise, passe inéluctablement par la création d'une "communauté politique" qui permettrait enfin l'éclosion de la nation québécoise."