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6 janvier 2000 ![]() |
Élevé dans une famille friande d'art et de littérature, Patrice Groulx a développé très tôt une véritable passion pour les récits historiques, dont le côté épique l'a toujours fasciné. À l'école, bien sûr, les cours d'histoire remportaient sa faveur et il a décidé de faire ses études universitaires dans ce domaine. Son baccalauréat de l'UQAM en main, il a d'abord travaillé comme consultant en interprétation du patrimoine auprès d'organismes gouvernementaux. Ses fonctions l'ont amené à prendre conscience de l'importance du rôle que joue la sélection d'événements et de personnages du passé dans la constitution de l'identité québécoise et particulièrement dans les rapports que les Québécois entretiennent avec les minorités.
La crise d'Oka, en 1990, a éveillé l'intérêt
de Patrice Groulx pour la question autochtone, particulièrement
parce qu'une commémoration de Dollard des Ormeaux a eu
lieu au cours de cette année. À son avis, dans ce
contexte, la résurgence de ce vieux mythe, pourtant enterré
depuis plusieurs années, visait un objectif précis:
alimenter la vieille croyance au méchant "sauvage
" qu'il faut civiliser. Par la suite, il s'est demandé
comment - et pourquoi - les Amérindiens, des alliés
à l'époque de la Nouvelle-France, en sont venus
à être considérés comme des ennemis
par les Québécois francophones.
Patrice Groulx décide de retourner aux études afin
de creuser la question. Il s'inscrit donc à la maîtrise
en histoire à UQAM, puis au doctorat à l'Université
Laval, où il choisit d'analyser les transformations du
récit de la bataille du Long-Sault depuis la première
relation de cet événement, en 1660, jusqu'à
nos jours, et la constitution du mythe de Dollard des Ormeaux
qui en a découlé.
Le devoir de l'historien
Patrice Groulx avoue avoir d'abord recherché, dans
l'accomplissement de ce travail, une satisfaction personnelle,
mais il n'hésite pas à dire qu'en tant qu'historien
il se sent investi du devoir de porter un regard critique sur
le passé. Ce genre de révision est normal et s'effectue
fréquemment, souligne-t-il, en citant, par exemple, les
nouvelles approches sur la Révolution tranquille et l'époque
de Duplessis. Il insiste d'ailleurs sur l'importance de cet exercice,
car, selon lui, la mémoire collective agit sur l'inconscient
des individus. Ainsi, le mythe de Dollard, qui sous-tend que les
Amérindiens sont les ennemis à combattre, influence
l'attitude que nombre de gens, sans les connaître vraiment,
entretiennent envers eux. D'où le titre de son ouvrage
Pièges de la mémoire: Dollard des Ormeaux, les
Amérindiens et nous paru aux Éditions Vents
d'ouest en 1998, pour lequel le Prix Lionel-Groulx, doté
d'une bourse de 5 000 $, lui a été attribué
récemment par l'Institut d'histoire de l'Amérique
française.
Ce prix, décerné chaque année, récompense le meilleur ouvrage portant sur un aspect de l'histoire de la Nouvelle-France et s'imposant par son caractère scientifique. Le livre de Patrice Groulx était également en nomination pour le Prix Jean-Charles-Falardeau accordé par la Fédération canadienne des sciences humaines et sociales au meilleur ouvrage savant en sciences sociales publié en français. "Je ne suis pas un historien connu, ce genre de prix est habituellement décerné à des gens qui font une carrière universitaire et qui travaillent dans le milieu depuis des décennies. Je suis flatté, mais aussi angoissé de recevoir cette haute distinction pour mon premier ouvrage, parce que je sens les attentes pour mon prochain livre vont être élevées. Mais, en même temps, cette reconnaissance de mes pairs m'encourage à persévérer dans mes recherches ", affirme Patrice Groulx.
Bien que sa thèse porte sur la question des premières nations, Patrice Groulx se défend bien de prendre leur parti: "Je ne suis pas l'ami des Indiens, je suis le défenseur d'une société qui soit plus acceptable. Je lutte contre les conflits stériles. Sous le Régime français, les Hurons et les Algonquins étaient nos alliés, même les Iroquois au début. Il importe de ne pas l'oublier. Aujourd'hui, ils se trouvent au centre de plusieurs enjeux sociaux et la relecture de l'histoire révèle la légitimité de leurs revendications. Il faut éviter de tomber dans le piège et de croire qu'ils demandent la lune, car c'est loin d'être le cas." Patrice Groulx est chargé de cours au Département d'histoire depuis maintenant trois ans. Il projette d'entreprendre des études post-doctorales sur le fonctionnement et l'évolution des mythes présents dans la société québécoise.