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6 janvier 2000 ![]() |
Au cours des derniers mois, deux équipes de la Faculté de médecine ont annoncé indépendamment qu'elles étaient parvenues à construire, en laboratoire, des cornées humaines à partir de cellules de l'oeil. Ces deux percées ouvrent la voie à des études plus poussées sur la régénération de la cornée à la suite à une blessure à l'oeil, ainsi qu'à des études sur la toxicité de certains produits pour l'oeil humain. Mieux encore, la reconstruction de cornées complètes à partir de quelques cellules prélevées chez un patient laisse entrevoir la possibilité d'effectuer des greffes autologues (le receveur de la cornée est le donateur des cellules), réduisant ainsi les risques de rejets. Présentement, les cornées utilisées lors des greffes proviennent des cadavres de personnes décédées accidentellement. Le nombre de cornées disponibles suffit à peine à répondre aux besoins des personnes en attente de greffe de sorte que les cornées disponibles pour la recherche sont rares.
Dilemme cornéen
Dans l'édition de la revue Science du 10 décembre,
Charles Doillon, du Département de chirurgie de l'Université
Laval et une équipe de l'Université d'Ottawa publient
les résultats de leurs travaux sur la reconstruction d'une
cornée à partir de cellules provenant des trois
couches qui composent cette partie de l'oeil: l'épithélium
(couche externe), le stroma (couche médiane) et l'endothélium
(couche intérieure). Les chercheurs ont cultivé
séparément ces trois types de cellules et, après
s'être assurés de leur fonctionnement physiologique
normal, ils ont assemblé les trois couches in vitro
et les ont laissées croître pendant deux semaines.
La cornée ainsi obtenue était transparente et elle
réagissait comme une cornée humaine ou une cornée
de lapin au contact du savon ou de produits chimiques irritants.
Pour obtenir beaucoup de cornées identiques pouvant être utilisées pour des essais de toxicité en laboratoire, les chercheurs ont immortalisé les cellules à l'aide d'un virus; les cellules ainsi infectées se multiplient indéfiniment. "Nous avons procédé de la sorte parce que l'expérience était axée vers les tests de toxicité", précise Charles Doillon. Une des coauteurs de l'étude est d'ailleurs toxicologue chez Proctor & Gamble. Cette compagnie pharmaceutique, qui a fait l'objet de critiques de la part des défenseurs des animaux en raison des tests qu'elle effectue sur les bêtes, a d'ailleurs financé une partie des coûts de cette recherche.
"Si on voulait produire une cornée destinée à être greffée chez un humain, on cultiverait les cellules provenant du patient sans faire intervenir de virus, précise Charles Doillon. La technique est la même. Nous travaillons présentement à renforcer la cornée de façon à pouvoir la greffer chez l'homme. Nous nous sommes donné trois ou quatre ans pour y arriver."
De la peau à l'oeil
Dans le numéro de mai-juin de la revue Pathobiology,
les chercheurs du Laboratoire d'organogénèse expérimentale
(LOEX), Lucie Germain, François Auger, Éric Grandbois,
Rina Guignard et leurs collègues Marcelle Giasson, Hélène
Boisjoly et Sylvain Guérin, annonçaient la construction
d'une cornée humaine par ingénierie tissulaire.
Déjà connus pour leurs travaux sur la culture de
peau et de vaisseaux sanguins in vitro, les chercheurs
du LOEX faisaient alors connaître leurs premiers succès
du côté de l'oeil. La cornée du LOEX ne comportait
pas d'endothélium mais "ça ne poserait pas
de difficulté d'ajouter cette couche de cellules",
estime Lucie Germain. Une photo de l'équivalent cornéen
produit par le LOEX a été publiée en éditorial
du numéro de Science du 4 juin dernier.
Lucie Germain estime qu'il ne faut pas penser à une greffe de cornée cultivée in vitro avant cinq ans. "Il faudra d'abord faire des études pré-cliniques. Ce qui me semble plus envisageable à court terme est une greffe d'épithélium. Ça ne réglera pas les cas où le problème vient des autres couches de la cornée mais c'est un début. Des chercheurs italiens ont d'ailleurs déjà obtenu de bons résultats de ce côté."