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2 décembre 1999 ![]() |
Vers 16 h 30, le samedi 27 novembre, les porte-couleurs du
Club de football Rouge et Or ont écrit la dernière
ligne d'une historique symphonie en douze temps. Sur le dernier
jeu du douzième match d'une longue saison, le quart-arrière
François Chapdelaine pose pour une dernière fois
le genou au sol, afin d'écouler les quelques secondes figurant
toujours au cadran.
Juste au-dessus de lui et de onze coéquipiers de la brigade
offensive, le tableau indique alors : 0.00 QRT 4 SAINT MARY'S
10 LAVAL 14.
Explosion de joie. C'est fait, le Rouge et Or offre à
l'Université Laval le titre de première institution
francophone championne de la prestigieuse Coupe Vanier! Trois
mois et demi après le premier jour du camp d'entraînement
automnal, près de onze mois après les premières
séances en gymnase, quelques 70 étudiants-athlètes
voient leur efforts et leurs sacrifices récompensés
de la plus belle des façons.
Peu importe les chemins que prendront désormais leur carrière
de footballeur ou leur vie personnelle, ils se souviendront à
jamais de cette saison 1999. Et pour de multiples raisons, débordant
souvent du seul cadre du sport.
Semaine particulière
Joueurs et entraîneurs avaient beau tenter de convaincre
et de se convaincre que la rencontre de la Coupe Vanier n'était
qu'un match comme les autres, il n'en était évidemment
rien.
Hôtel de luxe, banquets, honneurs, stade de 50 000 sièges,
couverture médiatique pan-canadienne : tout était
en place pour leur rappeler sans relâche qu'ils vivaient
des moments spéciaux, uniques, précieux.
Mi-sérieux mi blagueur, le très sollicité
quart-arrière Mathieu Bertrand avouait : "Honnêtement,
je ne ressens pas de papillons en pensant au match de samedi.
Mais à chaque fois que je dois donner une entrevue en anglais,
par contre"
Jacques Chapdelaine et ses adjoints ont donc dû redoubler
d'ardeur et de vigilance afin de s'assurer que leurs ouailles
auraient la tête au football en cette semaine de "cirque"
et de festivités.
Qui plus est, après avoir écarté nombre d'adversaires
redoutables, le Rouge et Or se voyait étiqueté pour
la première fois de l'année comme favori par l'ensemble
des médias. Un qualificatif aussi inconfortable que flatteur
à la veille d'une joute de championnat.
Le match
Qu'à cela ne tienne, suite au botté d'envoi,
les Lavallois ont démontré à leurs entraîneurs
qu'ils étaient fins prêts et aux membres des médias
qu'ils avaient peut-être vu juste. Quelques passes parfaites,
quelques belles percées au sol, moins de trois minutes
pour voir un Stéphane Lefebvre en grande forme gambader
dans la zone payante.
Mais voilà. Par la suite, les Huskies de Saint Mary's,
de Halifax, ont décidé de démontrer pourquoi
ils se retrouvaient eux aussi à la Coupe Vanier. Passeur
agile, athlètes impressionnants, défensive rapide
: autant d'éléments pour donner du fil à
retordre au Rouge et Or. Celui-ci rentre tout de même au
vestiaire avec une avance de 14-7.
La seconde moitié fut l'affaire de deux défensives
impitoyables. Chaque minute semblait plus rude, mais surtout plus
longue que la précédente. D'autant plus que les
soldats commençaient à tomber au combat. Mathieu
Bertrand, Hugues Beauchamp, Jacques Cloutier et Daniel Fleury
manquent tous de précieuses minutes. Sans compter Steve
Dupuis qui joue tout l'après-midi avec une main cassée.
Et François Boulianne, lui, sur une seule cheville.
Avec une minute à faire à la rencontre et un pointage
de 14-10 favorisant le Rouge et Or, tout le monde retient son
souffle depuis déjà de longs et pénibles
moments. Saint Mary's attaque dangereusement et se trouve en milieu
de terrain.
C'est alors que Francesco Pepe Esposito réalise un jeu
comme en rêve tous les sportifs jeunes et moins jeunes,
tel le but gagnant en supplémentaire de la Coupe Stanley
ou le coup de circuit décisif en neuvième manche
de la Série Mondiale.
À la poursuite du quart adverse, "Big Play" Pepe
plonge, l'agrippe et lui fait perdre le ballon. Celui-ci, comme
par magie, rebondit dans les mains de son coéquipier Yves
Thériault. Pepe s'écroule sur les lignes de côté,
épuisé par l'effort et l'émotion. Le reste
fait partie de l'histoire. 45, 25, dix, cinq secondes champagne!
Le PEPS à Toronto
Tout au long de la saison, le Rouge et Or a pu compter sur
l'appui inconditionnel de ses nombreux partisans. Un appui qui
avait atteint son paroxysme lors de la présentation de
la Coupe Churchill, alors que plus de 12 000 amateurs envahissaient
le stade du PEPS.
Ce n'est donc pas quelques mille kilomètres qui allaient
empêcher ces "fidèles" de suivre leurs
favoris jusqu'au bout. Parti de Sainte-Foy à minuit, dans
la nuit du vendredi au samedi, un convoi de dix-huit autobus se
stationnait aux abords du Skydome, trois heures avant le botté
d'envoi. Et c'est sans compter les nombreux parents et amis ayant
fait le voyage par leurs propres moyens.
Par un samedi matin pluvieux, Toronto était envahi par
de drôles de Québécois aux couleurs rouge
et or ou bleu et blanc, c'était selon. Il y en avait partout.
Et pas seulement autour de la demeure des Blue Jays et des Argonauts.
"J'ai vu deux gars faire le tour de la ville en taxi en agitant
un drapeau de l'Université Laval," affirmait un membre
des médias.
"Ma chambre est au trente-deuxième étage et
je me suis fait réveiller par les trompettes de Carnaval,"
ajoutait une autre.
Dès midi, heure approximative à laquelle tout ce
beau monde a pu gagner son siège dans le Skydome, la fête
est repartie de plus belle. Les deux mains géantes qui
dirigent les célèbres "prrrrremiers jeuuuuuux"?
Présentes. Les perruques oranges et leur "J'pense
que ouiiiii!"? Présents.
"C'est pas croyable, on est au PEPS!" s'émerveillaient
les dirigeants et partenaires du club arpentant les lignes de
côté. Le bruit ne devait finalement s'arrêter
qu'une bonne heure après la fin des hostilités.
Plus que du football
On le savait depuis un certain temps déjà. Mais
la victoire du Rouge et Or, en fait sa seule présence à
la Coupe Vanier, nous l'a fait réaliser à nouveau
et de façon encore plus marquante. Le Rouge et Or football,
c'est bien plus que du football.
Parmi les nombreux partisans présents à Toronto,
on en dénombrait une bonne demi-douzaine ayant choisi d'arborer
le chandail fleurdelysé des défunts Nordiques. Nostalgiques?
Peut-être. Mais surtout un rappel que les amateurs de sports
de Québec aimaient jadis s'identifier à leur équipe
locale. Nombre de ceux-ci arborent désormais fièrement
le LAVAL. La nouvelle équipe-coqueluche de la Capitale?
"J'pense que ouiiiii!".
Et que dire des retombées pour l'Université Laval
dans son ensemble. Son nom, son drapeau, son emblème ont
circulé pendant des jours à la une des quotidiens
et des bulletins de nouvelles du Canada entier. Il fallait voir
le visage de Monsieur le recteur François Tavenas, radieux,
admirant les armoiries lavalloises flottant pendant de longs moments
sur l'écran géant Jumbotron du Skydome.
Puis, il y a eu ce télégramme de félicitations
du Premier ministre Lucien Bouchard, "particulièrement
heureux des performances de l'équipe de football de mon
alma mater".
Puis viendra une réception, ce samedi, au Centre Molson,
par le Club de hockey Canadiens de Montréal. En présence
des caméras des télévisions nationales, évidemment.
Le mot de la fin revient indéniablement à monsieur
Tavenas. "Le Rouge et Or a accompli un petit miracle,"
dira-t-il à la blague lors d'une réception à
l'Hôtel de ville de Québec deux jours après
le triomphe historique. Il a fait parler en bien de l'Université
Laval pendant deux semaines".
Oui, des retombées que l'on pourrait évaluer pendant
encore longtemps. Merci Rouge et Or!