25 novembre 1999 |
"Finalement, ce qui est distinct au Québec, oui, c'est la langue française, oui, c'est le Code civil, mais c'est d'abord le paysage construit. Tout est là-dedans: la langue et le Code civil."
À la fin des années 1970, un jeune professeur d'histoire de l'architecture de l'Université Laval écrit au tout nouveau ministre des Affaires culturelles du Parti québécois, Louis O'Neill, puis à son successeur, Denis Vaugeois. Il leur demande d'instituer un prix dont l'objet sera de donner un élan à la carrière d'un jeune diplômé dans le domaine du patrimoine en favorisant une première publication. Et, selon ce professeur, ce prix se doit de porter le nom de Gérard Morisset, grand historien de l'art au Québec. Voilà que 25 ans plus tard, le même professeur, Luc Noppen, reçoit à l'âge d'à peine 50 ans le prix qui rend hommage à celui dont il n'a cessé de célébrer l'oeuvre et la mémoire, le prix Gérard-Morrisset, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine du patrimoine.
Cette initiative traduit le militantisme qui marquera toute la carrière de Luc Noppen ainsi que son adaptation rapide à sa terre d'adoption. Né en Belgique, il grandit en Afrique où son père est professeur et, comme il le dit lui-même, est éduqué au Québec où il arrive à l'âge de 15 ans. Il s'ouvre aussitôt à la société et à la culture québécoises et entreprend de se défaire de son accent néerlandais qui tend à le singulariser. C'est sa grande passion du cinéma qui le mène à l'histoire de l'art puis à celle de l'architecture qu'il enseigne à l'Université Laval depuis le début des années 1970. Luc Noppen est également chercheur au Centre d'études interdisciplinaires sur les lettres, les arts et les traditions (CÉLAT) de l'Université Laval
Critiquer mais aussi proposer
Ses premières interventions dans le dossier de la restauration
de Place-Royale, à Québec, datent de cette époque.
Luc Noppen s'insurge alors contre la volonté d'urbanisation
du mythe de la Nouvelle-France que sous-tend ce projet: "Le
Québec, ce n'est pas que le Régime français;
c'est aussi l'héritage britannique et c'est surtout la
superposition de tout cela." L'originalité du Québec
tient selon lui à "ce palimpseste qui est fait de
couches superposées". Et cela pousse les visiteurs
à dire: " C'est spécial chez vous! Les Français
ne se reconnaissent pas comme s'ils étaient en France."
"Il en est de même des Britanniques et des Américains",
ajoute-t-il. Luc Noppen se défend bien d'être un
empêcheur de danser en rond. "Lorsqu'on critique un
projet, dit-il, il faut toujours proposer autre chose." C'est
l'enseignement à l'École d'architecture, creuset
du patrimoine de demain, qui lui commande cette ouverture. Ainsi,
malgré tout, il n'hésite aucunement à admettre
l'importance de la restauration de Place-Royale telle qu'elle
fut accomplie pour la quête identitaire du peuple québécois
"parce que ses origines n'étaient pas reconnaissables
dans aucun endroit de façon pure". En 1997, par un
juste retour des choses, l'équipe d'architectes à
laquelle il est associé à titre d'idéateur
remporte le concours en vue de la restauration de la maison Hazeur-Smith,
ce qui lui fait dire non sans fierté: "J'ai commencé
à crier contre les pastiches et les restaurations en 1970
puis, finalement, j'ai réussi à influencer sérieusement
le projet qui a mis un terme au chantier. Ça, c'est assez
satisfaisant."
La bataille des églises
Durant la même période, soit pendant plus de
vingt ans, Luc Noppen lutte pour la connaissance, la reconnaissance
et la sauvegarde des églises du Québec, comprises
comme des monuments déterminants de l'héritage culturel
québécois. "Nos églises sont nos châteaux",
n'hésite-t-il pas à affirmer au ministre Claude
Ryan pour le convaincre, avec succès, d'inclure la rénovation
des églises du diocèse de Québec dans le
Programme fédéral-provincial des infrastructures.
À travers des démarches comme celle-ci et l'organisation
de rencontres comme le Premier Colloque international sur l'avenir
des biens d'Église, tenu à Québec
en juin 1997, et par ses nombreux écrits sur le sujet,
Luc Noppen entend sensibiliser l'ensemble de la communauté
à l'urgence de trouver des modèles pour transférer
ce patrimoine religieux à la société civile.
Parce que "le navire amiral du patrimoine au Québec,
c'est l'église", qu'elle soit de confession protestante
ou catholique. La mise en valeur de cet élément
fondateur du patrimoine québécois ne peut avoir,
selon lui, qu'un effet d'entraînement quant à la
valorisation de l'ensemble culturel.
Les projets de sauvegarde et de restauration du patrimoine auxquels Luc Noppen s'est associé à titre de conseiller, qu'il a dirigés ou sur lesquels il a eu une influence par des prises de position ponctuelles ou des écrits antérieurs ne se comptent plus. Son nom est lié à des projets ou à des réalisations aussi bien à Montréal et à Québec, où il enseigne, qu'au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Par exemple, ses textes sur l'architecture des prisons fonderont la sauvegarde, menée par Héritage Montréal, de la prison du Pied-du-Courant. Il sera l'instigateur d'un projet d'emplois d'été qui servira finalement de base à la revitalisation de la rue Saint-Jean à Québec.
À la fois artisan, chercheur et enseignant, Luc Noppen souligne l'importance de mettre la main à la pâte. Au fil des années, à ses frais et de ses mains, il restaure plusieurs maisons du Vieux-Québec et en assure la réfection, dont sa résidence née des plans de l'architecte Thomas Baillairgé, en 1836: "C'est fou ce que l'on apprend lorsqu'on ouvre un mur, qu'on soulève un plancher, quand on va dans le toit ou qu'on visite la cave." Ses étudiants ont tôt fait de se rendre compte que, lorsque l'historien parle d'un bâtiment, il sait de toute évidence ce qu'est la construction.
Des ouvrages incontournables
La liste des ouvrages de Luc Noppen est impressionnante. Le
dernier paru s'intitule Québec de roc et de pierres,
la capitale en architecture (1998) et est écrit en
collaboration avec Lucie K. Morisset. Mentionnons également
les grands classiques comme Québec: Trois siècles
d'architecture, L'hôtel du Parlement et Les
églises du Québec (1600-1850) qui sont souvent
remis à des visiteurs étrangers comme cadeaux d'État
par les divers niveaux de gouvernement. L'entreprise de la sauvegarde
des églises et des biens culturels qu'elles renferment
sera la source de très nombreuses publications dans lesquelles
se lit l'originalité de la démarche de l'auteur.
Par exemple, l'ouvrage Les églises du Québec
offre une nouvelle lecture, celle de l'objet tangible, pour expliquer
la place des monuments survivants au sein de l'héritage
culturel québécois. L'auteur l'affirme d'emblée:
il est très attaché aux objets. "Dans la rue,
ce qui me parle, moi, ce sont des maisons, des pierres. Ça
me parle plus que des archives, que des papiers." Des visiteurs
bretons n'en sont jamais revenus de cette visite en compagnie
de Luc Noppen qui a fait parler pour eux un des portails d'une
maison du Vieux-Québec pendant une heure et demie.
Luc Noppen demeure toujours, malgré le temps, un professeur passionné. Et cette passion, il la communique à ses étudiants à travers "une certaine forme de savoir qui est ancré dans des objets, qui leur permet de décoder le sens des choses". Il met tous ses efforts à leur inculquer la signification fondamentale du paysage construit du Québec dans la définition de l'identité de sa population. "Finalement, dira-t-il, ce qui est distinct au Québec, oui, c'est la langue française, oui, c'est le Code civil, mais c'est d'abord le paysage construit. Tout est là-dedans: la langue et le Code civil."
Le travail de Luc Noppen a été largement reconnu par ses pairs et par le public. En 1997, il est récipiendaire de la prestigieuse bourse Killam du Conseil des arts du Canada. Son ouvrage intitulé Foi et patrie: art et architecture des Églises au Québec (1996) mérite en 1997 le Prix d'excellence des arts et de la culture de l'Institut canadien de Québec (prix du public). Luc Noppen est membre de l'Académie des lettres et des sciences humaines de la Société royale du Canada depuis 1994.