18 novembre 1999 |
Si l'information tente bel et bien de manipuler le public, cela
ne signifie pas forcément que le public est manipulé
par l'information, estime le directeur du journal Le monde
diplomatique, Ignacio Ramonet. En effet, à l'ère
de la prolifération des médias, les citoyens ont
développé une certaine conscience qui fait en sorte
qu'ils ne gobent pas n'importe quoi, comme on serait parfois porté
à le croire.
Invité par la Chaire publique de l'ALIÉS (Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures) à s'exprimer sur la question de la manipulation de l'information, Ignacio Ramonet était entouré de Claude Cossette, professeur au Département d'information et de communication, et d'Anne-Marie Gingras, professeure au Département de science politique. Environ 375 personnes ont participé à ce débat qui a eu lieu à l'agora du pavillon Alphonse-Desjardins, le 11 novembre.
"On peut contrôler les médias mais on ne peut cependant pas contrôler les esprits, a précisé Ignacio Ramonet. Au Chili par exemple, le dictateur Pinochet s'est fait battre aux élections libres qu'il avait lui-même déclenchées, tellement il était sûr de l'emporter, et ce, après 16 années de contrôle total sur tout. Même chose pour les régime communistes, en Europe de l'Est, où une période de 70 ans de manipulation absolue de la part des autorités en place n'a pas empêché le renversement du système". "Dans l'affaire Lewinsky, de poursuivre Ignacio Ramonet, les sondages ont montré qu'une majorité de personnes étaient contre la démission du président Clinton, alors que les médias disaient que le président devait démissionner. En somme, les citoyens résistent plus facilement qu'on ne le croit."
Voir, c'est comprendre?
Selon le directeur du Monde diplomatique, l'objectif
visé par les médias n'est plus aujourd'hui d'informer
mais bien d'atteindre le plus vaste auditoire possible. Afin que
le public ne se perde pas en raisonnements complexes, l'information
est simplifiée et segmentée au possible, faisant
régulièrement appel aux émotions. Dans les
bulletins télévisés, la guerre du Kosovo
sera ainsi résumée à une succession de témoignages,
alors que les problèmes géopolitiques et économiques
qui pourraient apporter un peu de lumière sur la raison
du conflit seront le plus souvent évacués. L'événement
est réduit à l'image, comme s'il suffisait de voir
pour comprendre et d'être sur place pour savoir.
"Lors du conflit au Rwanda, on a montré des victimes du génocide qui étaient en fait les véritables auteurs de l'extermination fuyant devant l'avance des Tutsis, rapporte Ignacio Ramonet. Pourtant, l'événement ne se résume pas à l'image ni à l'endroit mais s'inscrit dans un cadre beaucoup plus complexe que le discours infantilisant à la Walt Disney que nous servent les médias."
De son côté, Anne-Marie Gingras a parlé de certains problèmes présents dans la construction de l'information politique. Au départ, croit-elle, les politiciens présentent les projets et les enjeux à la manière des avocats dans leurs plaidoiries, de façon à montrer les choses sous leur angle le plus favorable. "On laisse aux membres de l'opposition le soin d'en faire la critique, bien que ces personnes ne détiennent souvent pas toute l'information nécessaire pour faire la lumière sur le sujet", a fait valoir la professeure de science politique.
La bonne nouvelle
Pour faire passer un message, rien n'est trop beau: on exploite
les émotions, on fait appel à l'humour, à
moins qu'on dramatise à outrance un événement.
Une "crise" à l'horizon? On s'y précipite
tête baissée, sans autre forme de procès.
À la télévision, un projet de loi complexe
est parfois expliqué en quelques secondes. Les présentateurs
de nouvelles ne souhaitent pas être inquiétés
et par là, ne veulent surtout pas inquiéter les
spectateurs, d'où, parfois, l'idée de la "bonne
nouvelle" à la fin du bulletin. "Entre l'information
ludique et l'information sérieuse, nos choix sont importants
comme société, a souligné Anne-Marie Gingras,
avant de conclure: "Il y a de la manipulation parce qu'il
y a des gens qui acceptent d'être manipulés".
Mal nécessaire dans une société fondée sur l'image, omniprésente comme jamais, la publicité a au moins le mérite d'afficher ouvertement ses couleurs, a soutenu Claude Cossette. De plus en plus, en effet, selon lui, l'information donne dans la publicité. Ainsi, il est presque impossible de lire un point de vue critique sur la façon de négocier sérieusement avec le vendeur lors de l'achat d'une automobile, dans les cahiers "Auto" des journaux. Et que dire des cahiers "Habitation" ou des sections traitant de "la bonne cuisine"?