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18 novembre 1999 ![]() |
DES COMPETENCES TRANSVERSALES ? OUI, MAIS A QUELLES CONDITIONS?
Dans un monde en changements accélérés,
le développement de compétences durables et transférables
(aussi appelées transversales) est devenu une réalité
incontournable. Cette année, le ministère de l'Éducation,
par le biais du Programme des programmes, a identifié
douze compétences qui devront être développées
tout au long de la formation dispensée aux niveaux primaire
et secondaire. Pour sa part, le collégial a entrepris ce
type de virage en 1994. Qu'en est-il de l'ordre universitaire
à cet égard ? À n'en pas douter, nombre d'intervenants
, au moins sur une base individuelle, visent le développement
de compétences durables comme l'esprit critique, la résolution
de problèmes, la communication orale ou la capacité
de travailler efficacement avec d'autres personnes. Cependant,
souvent ces compétences demeurent des objectifs implicites
de formation ou sont traitées brièvement sans qu'un
suivi ne soit assuré dans d'autres cours. Collectivement,
nous en sommes réduits à présumer que nos
futurs professionnels maîtrisent ces habiletés au
terme de leurs études. À notre avis, l'un des défis
majeurs qui se pose au niveau universitaire consiste à
faire de telles compétences des objectifs explicites de
formation et à les développer par la suite dans
des séquences de cours.
Au Département d'éducation physique de la Faculté des sciences de l'éducation, deux nouveaux programmes, conçus après quatre années de gestation, sont implantés depuis l'automne 1997. Il s'agit du Baccalauréat en enseignement de l'éducation physique (BEÉP), destiné aux personnes désirant oeuvrer auprès de la clientèle scolaire et le Baccalauréat en sciences de l'éducation physique (BSÉP) débouchant sur l'intervention auprès de clientèles variées du milieu communautaire telles les adultes, les personnes âgées autonomes, les adeptes du secteur sportif et ceux du secteur "plein air".
Le collectif des professeurs, soucieux d'assurer une formation cohérente, intégrée et ayant un réel impact à long terme, a produit un document qui identifie clairement la mission du département ainsi que les deux grands axes de formation qu'il entend privilégier: le développement personnel de chaque étudiant et son développement professionnel . Ceci nous a conduit à tracer un profil de sortie pour nos étudiants finissants (voir tableau 1). Ce profil indique les compétences personnelles et professionnelles que devrait maîtriser tout étudiant au terme de sa formation initiale. Dans le but de concrétiser cette démarche intégratrice, plusieurs cours sont communs aux étudiants des deux programmes et certaines compétences transversales sont actuellement développées chez tous nos étudiants. Pour développer ces compétences, nous nous inspirons dans une large mesure de l'approche du Collège Alverno, situé à Milwaukee au Wisconsin. Jouissant d'une expertise de plus de 25 ans dans le développement de "capacités génériques" au niveau postsecondaire, cette institution est maintenant reconnue commme un leader mondial dans ce domaine .
Tableau 1
Compétences transversales | Compétences professionnelles |
- Communication | - Programmation, interaction, évaluation |
- Interaction sociale (travail en équipe, leadership, entrepreneurship) | - Pratique réflexive |
- Observation, analyse et synthèse | - Didactisation des contenus |
- Jugement de valeur et prise de décisions | - Polyvalence motrice et effort physique |
- Résolution de problèmes et esprit critique | - Engagement professionnel et social |
- Apprentissage autonome | - Développement de la santé individuelle |
- Connaissance de soi et auto-actualisation | - Formation continue |
- Prise en charge de sa santé |
Dans un premier temps, compte tenu des ressources limitées dont dispose le département, quatre compétences transversales ont été privilégiées, soit la communication écrite, la communication orale, le travail en équipe et l'apprentissage autonome.
Certains cours ont été ciblés pour développer chacune de ces compétences sur une période de trois ou quatre ans. Par exemple, la communication orale fait l'objet d'un apprentissage particulier dans les cours Habiletés psychomotrices 1 (trimestre 1), Habiletés psycho-motrices 2 (trimestre 2) et Habiletés sociomotrices (trimestre 3), dans les nombreuses heures de stage ainsi que dans certains cours de technico-pédagogie. De plus , le travail en équipe est développé de façon systématique depuis plusieurs années dans une série de cours du secteur plein air ainsi que plus récemment dans une série de trois cours obligatoires à caractère biologique.
En septembre 1998, le collectif des professeurs a fait une brève présentation des expériences en cours au Réseau de valorisation de l'enseignement. À cette occasion, le collectif a invité toute personne intéressée à se joindre à l'un des quatre groupes de compétences ci-haut mentionnés. Ces groupes se sont rencontrés tout au long de l'année 1998-1999. Chaque groupe était autonome et libre de sa production. Le 9 juin dernier, chacun d'eux a présenté le bilan de ses travaux. Trente-trois (33) personnes ont participé à cette journée d'échanges, dont vingt-deux (22) provenaient de l'extérieur du Département d'éducation physique. Cette année, les groupes ont repris leurs activités le 29 septembre dernier et se rencontrent de façon formelle une fois par mois.
Le développement de compétences transversales en tant qu'objectifs explicites de formation posent de nombreux défis tant aux intervenants qu'aux étudiants. Pour ce qui est des professeurs et des chargés de cours, ils sont conviés, entre autres, à passer d'un paradigme axé sur l'enseignement à un paradigme centré sur l'apprentissage, à développer une pensée plus "critériée" et à se préoccuper constamment de rendre explicite ce qui est attendu de la part des étudiants en termes de résultats d'apprentissage. Les étudiants, pour leur part, sont désormais placés au centre du processus d'apprentissage; ils sont appelés à être plus actifs, plus engagés, plus responsables face à eux-mêmes et face aux autres pour devenir éventuellement de vrais apprenants autonomes.
Le développement de compétences durables et transférables constitue une tâche à la fois stimulante et exigeante. Dans ce domaine, comme dans bien des secteurs de la vie, la crédibilité repose sur la congruence. Par exemple, un enseignant peut vouloir développer la capacité de travailler en équipe chez ses étudiants mais s'il évolue dans un programme largement perçu comme une simple liste de cours sans liens évidents entre eux, l'étudiant astucieux, désireux d'acquérir une formation significative et intégrée, aura tôt fait de retourner la question aux professeurs : est-ce que vous-mêmes, vous travaillez en équipe ?
Ceci nous amène à une autre condition qui nous apparaît fondamentale pour développer des compétences transversales : l'instauration d'une véritable culture de collaboration. Par définition, les compétences transversales sont complexes et doivent être démontrées dans l'action. Elles s'acquièrent selon un mode expérientiel d'apprentissage, lequel implique à la fois l'engagement dans l'action et la réflexion sur celle-ci. Pour être maîtrisées, ces compétences requièrent des résultats visés qui soient clairs, de préférence en fonction de niveaux "débutant", "intermédiaire" et "avancé". Elles reposent aussi sur des critères d'évaluation explicites, sur de nombreuses occasions de pratique dans des contextes variés et étalées dans le temps ainsi que sur des rétroactions judicieuses. L'auto-évaluation ainsi que l'évaluation par les pairs jouent un rôle important dans l'intégration des critères d'évaluation et l'appropriation des compétences. Le portfolio devient alors un outil de premier choix pour assurer le suivi du développement de telles compétences. Le tout devant s'articuler avec cohérence tant sur le plan horizontal que vertical. Tout un programme pour un professeur seul ! Comme l'a démontré l'expérience du Collège Alverno, le développement intégré de plusieurs compétences durables dépend essentiellement d'une culture de collaboration partagée par l'ensemble des intervenants oeuvrant auprès d'une clientèle spécifique.
Au Département d'éducation physique, depuis quelques
années, nous travaillons quotidiennement à construire
une telle culture de collaboration. Celle-ci, toujours perfectible,
s'instaure graduellement en favorisant au maximum la communication
entre toutes les personnes concernées. Depuis mars 1997,
une plage de 90 minutes a été réservée,
le mercredi après-midi, pour discuter d'éléments
comme le développement de compétences transversales,
la gestion pédagogique, le budget et les politiques universitaires.
Par exemple, de nouveaux critères d'agrégation et
de titularisation, accordant une place cruciale à l'enseignement
et à l'apprentissage, ont été élaborés
et acceptés par le Conseil universitaire en avril 1998.
De plus, les éducateurs physiques associés, les
chargés de cours, le personnel du secrétariat ainsi
que les étudiants sont régulièrement informés
et invités à prendre une part active à la
construction de ce projet qui a pour nom "vers une culture
de collaboration".
Une participation soutenue au Comité de programme ainsi
que l'achat par l'AEDEPUL , grâce au Fonds d'investissement
étudiant, de caméras pour permettre l'enregistrement
de situations de communication orale, sont deux échantillons
de la collaboration étudiante. Ajoutons que les communications
informelles entre tous les acteurs concernés ont augmenté
de façon remarquable.
Depuis plusieurs mois, le Département d'éducation physique constitue un véritable chantier. Notre cible commune par rapport à la formation de nos étudiants est de plus en plus claire et partagée. Quoique notre cadre global soit assez bien défini, beaucoup de travail reste à faire. Il y a des réalisations dont nous sommes fiers. Il y a aussi des erreurs que nous nous efforçons de corriger au fur et à mesure. De l'aveu de plusieurs, le fait de tous travailler dans un réel esprit de concertation a généré une énergie jusque-là inconnue au département. Les témoignages reçus lors de la présentation que nous avons effectuée en mai dernier à Montréal au 16ème colloque de l'Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU) , nous ont confirmé l'expression de cette synergie particulière. Malgré tout, nous demeurons réalistes : les problèmes sont nombreux et la "vraie vie", incluant la diminution des ressources humaines et matérielles, nous ramène sans cesse à la prudence et à la patience.
Bref, malgré les difficultés, dont le fait non négligeable que nous baignions dans une culture sociétale et universitaire à caractère fortement compétitif et individualiste, nous demeurons profondément convaincus de la nécessité de continuer à travailler ensemble au service de tous, étudiants, éducateurs physiques associés, personnel et professeurs, véritables partenaires dans cette aventure novatrice que représente l'apprentissage intégré de contenu disciplinaire et de compétences durables! Pour plus d'information, vous pouvez communiquer avec l'auteur de ces lignes au (418) 656-2131, poste 8538, ou par courrier électronique: robert.boudreau@fse.ulaval.ca
1 Dans cet article, le genre masculin est utilisé sans discrimination pour désigner aussi bien les femmes que les hommes et uniquement dans le but d'alléger le texte.
2 Le collectif des professeurs, Pour une approche renouvelée de l'éducation physique à l'Université Laval, Sainte-Foy: Éditions DÉPUL, Coll. "L'intervention éducative", No. 3, 1998, 30 pages.
3 Pour de l'information supplémentaire sur le Collège Alverno, on peut consulter le site Internet suivant: www.alverno.edu
4 Association étudiante du Département d'éducation physique de l'Université Laval.
5 Voir "Une culture de collaboration en milieu universitaire: condition incontournable pour une innovation pédagogique durable", dans BÉCHARD, Jean-Pierre et GRÉGOIRE, Denis, éditeurs, Actes du 16ème colloque de l'Association internationale de pédagogie universitaire, Tome 1, Montréal: HEC, 25-28 mai 1999, p. 236-248.