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4 novembre 1999 ![]() |
Une équipe du Centre de recherche en biologie de la reproduction (CRBR) a annoncé la semaine dernière dans la revue scientifique Nature Biotechnology qu'elle avait réussi à produire une souris transgénique qui synthétise un médicament - l'hormone de croissance humaine - dans ses vésicules séminales. Les chercheurs sont parvenus à insérer le gène qui code pour cette hormone dans le génome d'oeufs fécondés de souris. Deux des quatre souris ainsi produites ont commencé à synthétiser l'hormone de croissance humaine dans leurs vésicules séminales à partir de leur huitième semaine de vie. Le gène s'est bien intégré au génome de ces animaux puisque la moitié de leurs descendants ont eux aussi produit de l'hormone de croissance humaine au même taux que leur père. "Même avant les analyses moléculaires du sperme, on se doutait qu'il se passait quelque chose parce que les souris étaient 1,5 fois plus grosses que les autres", raconte le chercheur François Pothier.
Si les chercheurs ont choisi l'hormone de croissance humaine pour réaliser cette première, c'est uniquement parce que les tests biochimiques qui permettent d'en dépister la présence sont simples et efficaces. "Cette hormone est déjà produite efficacement par des bactéries recombinantes et il n'est pas question de faire mieux avec des souris", dit le chercheur. En fait, cette expérience avait surtout pour but de démontrer la faisabilité d'un procédé pour lequel François Pothier avait fait une demande de brevet. "En mai 1997, j'ai déposé un brevet pour la production de protéines recombinantes à l'aide de l'appareil reproducteur mâle (l'appareil reproducteur femelle est déjà breveté par une compagnie américaine). C'est le porc qui nous intéresse mais comme on avait un an pour faire la preuve du concept, c'était plus simple d'utiliser des souris. On a réussi à produire nos souris transgéniques à temps pour mai 1998 mais ça a été assez stressant. Les résultats ont finalement été publiés la semaine dernière."
Porc contre vache
D'autres chercheurs ont déjà réussi à
créer des animaux qui synthétisent des médicaments
dans leurs glandes mammaires, dans leur vessie ou dans leur sang,
mais c'est la première fois qu'un système reproducteur
mâle est utilisé comme bioréacteur. Comme
on peut le soupçonner, le volume de médicaments
produit par des souris transgéniques est relativement modeste
0,5 mg/ml de sperme . Comme la souris peut donner,
au mieux, 1 ml de sperme par jour, ce système transgénique
est peu productif comparé à un pie de vache, reconnaît
François Pothier.
La situation est cependant différente chez le porc. Cet animal donne entre 250 à 500 ml de sperme chaque jour, à raison de 30 mg de médicament/ml de sperme, soit l'équivalent du lait de la vache. Le sperme présente aussi l'avantage d'être produit de façon continue, contrairement au lait qui n'est produit qu'en période de lactation. Toujours par rapport à la vache, le porc a un temps de gestation court (3 mois, 3 semaines, 3 jours contre 10 mois chez la vache), sa maturité sexuelle est atteinte à l'âge de 5 à 6 mois (2,5 ans chez la vache) et il produit de 10 à 12 cochons par portée. Autre avantage, les vésicules séminales forment un système plus étanche que la glande mammaire de sorte que les médicaments synthétisés demeurent là où ils sont produits plutôt que de circuler dans l'organisme de l'animal transgénique. Enfin, il serait plus facile d'isoler les médicaments à partir de sperme qu'à partir de lait.
Commercialiser l'idée
François Pothier et Marc-André Sirard, le directeur
du CRBR, ont créé une compagnie, TGN Biotech, pour
commercialiser la production de médicaments à l'aide
de porcs transgéniques. "Au lieu de vendre notre idée
à une grande entreprise, nous avons choisi de créer
une compagnie qui donnera de l'emploi à nos diplômés
et qui maximisera les retombées économiques dans
la région", explique François Pothier. L'Université
est partenaire du projet et elle servira d'incubateur pour l'entreprise
pendant deux ans.
Annoncé mardi dernier par voie d'un communiqué émis par Nature Biotechnology, le coup d'éclat des chercheurs Michael Dyck, Dominic Gagné, Mariette Ouellet, Jean-François Sénéchal, Edith Bélanger, Dan Lacroix, Marc-André Sirard et François Pothier a rapidement fait le tour de la planète. Le Globe and Mail, le National Post, La Presse, Le Monde, l'Agence Reuter, le magazine Discover et même une publication appartenant à Playboy, ont publié ou publieront sous peu un article sur cette découverte. "Je ne m'attendais pas à une telle réaction des médias, avoue François Pothier, même si notre découverte faisait la une de Nature Biotechnology."
Cette couverture arrive cependant à point nommé, constate le chercheur, parce que les organismes modifiés génétiquement ont mauvaise presse par les temps qui courent. "Il me semble que notre découverte montre qu'on peut faire du transgénisme utile à la société, qui ne fait pas souffrir les animaux, bien au contraire, et qui ne pose pas de risques pour les consommateurs ou l'environnement." Il n'y a aucune chance pour que la viande de porcs transgéniques se retrouve un jour sur les rayons des épiceries parce que, par la force des choses, ils ne seront pas castrés. Les porcelets mâles destinés à la consommation humaine sont tous castrés en bas âge, faute de quoi leur viande prend une odeur et un goût désagréables, signale François Pothier.