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7 octobre 1999 ![]() |
Lorsque Michel Dorais allait rendre visite à son grand-père, il le trouvait parfois penché sur sa machine à coudre, s'adonnant à une passion jugée très féminine à l'époque. Il paraît même qu'il échangeait secrètement des patrons avec une des grand-mères de celui qui allait devenir professeur à l'École de service social de l'Université Laval. Chauffeur de camion, cet ancêtre original cultivait par ailleurs une allure masculine bien intégrée dans son époque. C'est peut-être cet exemple familial de brassage de masculin et de féminin qui a servi de point de départ à la réflexion développée par Michel Dorais dans son essai Éloge de la diversité sexuelle qui vient de paraître chez VLB. Un essai qui prône une ouverture envers les zones grises de l'identité sexuelle, afin que la société soit capable d'intégrer les membres qui les composent, sans aucune discrimination de genre.
Michel Dorais a trop reçu de patients meurtris par les jugements assenés par leur entourage, parce qu'ils ne se conformaient pas aux stéréotypes sexuels communément admis. "Comment appelle-t-on un homme qui prend des hormones pour se faire pousser les seins, un travesti hormoné ou un transsexuel?",demande-t-il. "Et un hétérosexuel devient-t-il brusquement homosexuel quand il a un seul rapport avec un homme? Ça n'a plus de bons sens, personne ne se reconnaît plus dans ces catégories trop hermétiques!" Dans son livre, Michel Dorais dénonce cette tendance à coller des étiquettes bien définies aux individus qui amène, par exemple, des parents à consulter des thérapeutes lorsqu'ils soupçonnent que leur enfant ne se conforme pas aux stéréotypes sexuels en vigueur. Un geste qui peut provoquer un véritable malaise identitaire chez la personne traitée qui ne parvient plus s'accepter.
Des sexes de plusieurs genres
En fait, Michel Dorais se fait l'apôtre d'une carte
du tendre aux frontières volontairement floues et ambiguës.
Il admet bien volontiers que nous naissons fille ou garçon,
mais ajoute ainsi du même souffle que le genre relève
par contre de la construction sociale, et peut donner lieu à
des mélanges de composition féminine ou masculine
de toutes sortes. Autrement dit, si certaines filles prennent
un malin plaisir à grimper aux arbres, ou à arborer
des vêtements d'hommes, elles ne se définissent pas
forcément toutes comme lesbiennes. De la même façon,
plusieurs des hommes qui adoptent de temps en temps la robe et
les talons hauts ont des partenaires féminines et se reconnaissent
comme hétérosexuels. Le chercheur en sciences sociales
plaide donc pour une tolérance accrue, et même une
acceptation pleine et entière de ceux qui se moquent des
conventions sexuelles.
Même s'il reconnaît volontiers que le regard de la société sur ce qu'on qualifiait autrefois de déviants sexuels a évolué, Michel Dorais estime qu'il reste encore beaucoup de travail à faire: "En dehors de certains quartiers bien circonscrits, ou de quelques fêtes bien identifiées, il est rare de voir des couples de même sexe se promener main dans la main. remarque le professeur. De plus, la tolérance me semble un concept relativement condescendant. Chacun veut être intégré à la société et non seulement toléré."
Un masculin toujours omniprésent
De la même façon, Michel Dorais remarque dans
son ouvrage que tous les discours sur l'égalité
entre hommes et femmes ne reflètent pas forcément
la réalité, où dominent encore les valeurs
masculines. "Je ne comprends pas pourquoi une fille qui devient
joueuse de hockey provoque un véritable battage médiatique,
alors qu'il a fallu attendre qu'un patineur de fantaisie arbore
un look viril et "bodybuildé" pour qu'on commence
à s'intéresser à ce sport", s'indigne
le chercheur. Dans son essai, il dénonce du même
souffle la propension de nombreuses femmes à se moquer
des hommes roses, mettant en valeur leurs qualités féminines,
alors que dans le même temps elles portent aux nues celles
qui optent pour des valeurs résolument masculines.
Vous avez dit "équité"?
Cette orientation constante vers le masculin démontre,
à en croire l'auteur de l'Éloge de la diversité
sexuelle, que les femmes n'ont pas encore atteint l'égalité.
Une égalité qui dépend bien plus, selon lui,
de l'amélioration des conditions de vie des femmes que
de l'adoption de mesures comme la discrimination positive en matière
d'embauche ou des quotas en politique. "Je trouve que le
quota demeure une mesure très artificielle, précise
Michel Dorais, car je ne crois pas à une solidarité
basée sur le sexe. Vous n'avez qu'à porter attention
aux gestes posés actuellement par certaines ministres féminines
du gouvernement du Québec envers les plus démunies"
La politique d'embauche systématique de certaines candidates dans plusieurs universités ne satisfait pas également son désir d'équité. Tout en précisant que l'Université Laval ne semble pas tomber dans de tels travers, il remarque que certains départements universitaires ne prennent même pas la peine de recevoir les hommes en entrevue lorsque les responsables veulent absolument recruter une femme. "Est-ce que notre sexe nous rend plus compétent?", demande sérieusement Michel Dorais. Par ailleurs, il remet en question la tendance actuelle à préférer une embauche féminine quand il s'agit de venir en aide aux femmes victimes de violence. Bien des féministes auront sans doute des commentaires à adresser à l'auteur à la lecture de son livre.