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30 septembre 1999 ![]() |
"Dans notre société, je peux euthanasier mon chat parce qu'il souffre, mais je ne peux euthanasier mon ami qui se débat pourtant dans les pires souffrances. Parce que la vie est sacrée, dit-on. Mais de quelle vie s'agit-il quand on a 40 ans et qu'on en paraît 80, quand la maladie nous rend méconnaissable et que la vie, justement, ne signifie plus rien?"
L'émotion était palpable à l'Agora du pavillon Alphonse-Desjardins, le 22 septembre, alors que Réjean Thomas, médecin bien connu pour son travail auprès des sidatiques depuis 20 ans, donnait un vibrant témoignage en faveur de la dignité du malade et, ultimement, du mourant. Invité par la Chaire publique de l'AELIÉS (Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures) à échanger sur le thème "Entre le suicide assisté et l'acharnement thérapeutique", le conférencier était entouré de Bernard Keating, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses et d'Anne-Marie Voisard, journaliste au journal Le Soleil.
"Finalement, cet ami dont je vous parle est mort seul chez lui, d'une overdose de drogue, sans autre chose qu'une croûte de pain dans le frigo", a poursuivi Réjean Thomas, qui cachait mal son émoi face à ce douloureux souvenir. "Son souhait le plus cher - mourir accompagné, sa main reposant dans celle d'un autre être humain - n'aura pas été entendu par les autorités médicales. Si les gens ont peur de la souffrance et de la mort, l'idée de solitude et de la perte de dignité au moment de la mort les effraie encore plus."
Une lueur d'espoir
Cofondateur et président de l'Actuel, une clinique
médicale orientée vers le dépistage, le diagnostic
et le traitement des MTS et du VIH, Réjean Thomas a souligné
que la question de l'accompagnement au moment de la mort préoccupait
énormément les malades promis à une fin certaine.
"Serez-vous là quand je mourrai? M'aiderez-vous à
mourir, le moment venu?" Telles sont les questions qui reviennent
le plus souvent dans la bouche de ces gens qui n'ont plus rien
à perdre que leur dignité. À ces interrogations
à double tranchant, Réjean Thomas n'oppose jamais
de réponse négative, afin de ne pas éteindre
la petite lueur d'espoir qui brille au fond du tunnel.
"Les médecins sont mal à l'aise avec la mort, soutient-il. Ils se sentent seuls, avec l'impression de ne pas avoir de support moral et social. Juste sur l'épineuse question de l'euthanasie, chaque patient nécessiterait un comité d'éthique à lui seul..."
Selon le théologien Bernard Keating, plusieurs dangers sont associés à l'acceptation de l'euthanasie, dont le renforcement du sentiment "d'être de trop" chez les personnes mourantes qui n'auront d'autre choix que de "savoir s'esquiver" quand leur présence devenue trop lourde ne sera plus souhaitée, en quelque sorte. D'autre part, les personnes inaptes à donner leur consentement pourraient être perdantes au grand jeu de "l'égalité pour tous". En effet, comment savoir si une personne souhaite mourir ou non, si elle-même ne peut porter un jugement éclairé sur sa propre mort? Doit-on développer une catégorie de critères pour gens inaptes et une catégorie pour les autres?
L'apologie du suicide?
Quant au suicide assisté, Bernard Keating croit que
son acceptation pourrait donner l'impression que le suicide constitue
une option parmi tant d'autres. Or, on sait que le taux de suicide
chez les jeunes hommes au Québec est l'un des plus élevés
au monde, ce qui pourrait avoir un effet d'entraînement
chez les jeunes. "Dans notre société, il semble
que le respect des personnes qui se sont suicidées requiert
l'apologie du suicide, constate Bernard Keating. Je pense ici
à la mort récente de la chanteuse Pauline Julien.
Tout cela crée un malaise."
À une personne de l'assistance qui affirmait que l'euthanasie était un problème de pays riches, Réjean Thomas a répondu que selon son expérience, seuls les gens ayant les moyens de se payer des soins palliatifs - dans des maisons comme Michel-Sarrazin par exemple - avaient la possibilité de mourir dignement. "Mais les gens pauvres meurent pauvrement, a-t-il laissé tomber. Finalement, on meurt comme on a vécu."
Le mot de la fin appartient à la journaliste Anne-Marie Voisard, auteure d'une série d'articles sur la problématique de la douleur. "Généralement, quand la douleur est soulagée, les patients veulent continuer à vivre. Mais la souffrance morale, elle, demeure. Car il n'y pas que la souffrance physique qui compte, quand on souffre de tout son être."