30 septembre 1999 |
"Il est étonnant qu'au Québec, à l'orée
de l'an 2000, on se scandalise de l'existence d'écoles
publiques donnant un enseignement religieux alors que dans nombres
de sociétés, aussi civilisées et démocrates
que la nôtre, les constitutions garantissent de telles écoles
confessionnelles ou inter-confessionnelles, ou du moins l'enseignement
religieux dans l'école publique. C'est le cas en Écosse,
en Belgique, en Allemagne, en Alsace-Lorraine, en Italie, en Autriche,
aux Pays-Bas, en Grèce, dans les pays scandinaves, pour
ne citer que ceux-là. Au regard de la pratique et de la
jurisprudence européennes, la conception de la laïcité
du rapport Proulx est quelque chose de dépassé,
qui nous ramène à l'époque où l'école
publique devait s'affranchir des Églises, où l'État
se sentait trop faible pour reconnaître à sa juste
valeur l'apport des religions dans la construction d'une société
diversifiée, pluraliste et ouverte. La véritable
laïcité ouverte, c'est cette neutralité positive
de l'État qui n'hésite pas à soutenir les
religions ou les groupes religieux, comme éléments
dynamiques d'une société en pleine maturité."
Dans son mémoire à la Commission parlementaire de l'éducation, mise sur pied à la suite de la publication du Rapport du groupe de travail sur la place de la religion à l'école, Patrice Garant, professeur à la Faculté de droit, admet qu'une certaine déconfessionnalisation du système scolaire est nécessaire. Par contre, il affirme ne pas partager la conception de l'égalité absolue des citoyens contenue dans le rapport. Selon lui, cette conception "abstraite" ne justifie pas de rompre les traditions qui forment l'identité d'une nation, en l'occurrence les traditions religieuses au Québec.
Et la croix du Mont-Royal ?
Si l'égalité absolue en tant que telle n'existe
pas - en témoignent tous les cas de discriminations reliés
à l'âge du droit de vote, de la majorité,
du permis de conduire, de la retraite - l'égalité
absolue en matière religieuse est pure utopie. Ultimement,
pour être "égal" en tout point, soutient
Patrice Garant, il faudrait faire disparaître de l'environnement
extérieur tout signe religieux susceptible d'indisposer
les non-croyants, en commençant par la croix du Mont-Royal.
Par ailleurs, en préconisant le concept de laïcité
intégrale, où serait abrogé le statut confessionnel
des écoles, le rapport Proulx revient des années
en arrière, reflétant une époque où
l'État devait se défendre contre l'envahissement
des églises, ce qui n'est certes plus le cas aujourd'hui.
Selon le professeur de droit constitutionnel, , le principal texte devant servir d'inspiration pour la réforme de l'enseignement religieux au Québec est celui de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, dont l'article 41 proclame que "les parents ont le droit d'exiger que, dans les établissements publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conformes à leurs convictions, dans le cadre de programmes prévus par la loi". Or, le rapport Proulx recommande de modifier cet article, afin d'assurer le caractère laïc du système scolaire, et propose que l'Assemblée nationale se soumette en ce cas précis à la Charte canadienne des droits et libertés, "imposée" à l'État québécois en 1982.
Le miroir d'une société pluraliste
Le 20 septembre, au pavillon Alphonse-Desjardins, la communauté
universitaire a pu en savoir plus long sur le rapport Laïcité
et religions. Perspectives nouvelles pour l'école québécoise,
alors que Jean-Pierre Proulx, président du Groupe de travail
ayant réalisé ce document, en a livré les
grandes lignes. Professeur à la Faculté des sciences
de l'éducation de l'Université de Montréal,
il était invité par le Centre de recherche interuniversitaire
sur la formation et la profession enseignante-Laval (CRIFPE-Laval).
Essentiellement, le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école recommande que le système éducatif du Québec soit à l'avenir fondé sur le respect des droits fondamentaux que sont l'égalité de tous et la liberté de conscience et de religion. Le maintien du système éducatif dans sa forme actuelle viendrait à l'encontre de cet engagement. "Il ne s'agit pas de nier la tradition chrétienne du Québec, qui doit avoir une place importante, a reconnu Jean-Pierre Proulx. Mais elle ne peut prétendre, sans remettre en cause la valeur de l'égalité de tous, "normer" l'école publique, ni occuper une position qui en pratique exclurait les autres."
Aux partisans des droits et privilèges confessionnels, Jean-Pierre Proulx répond que la société québécoise évoluera dans le sens marqué, non pas par une identité religieuse nationale, mais par une pluralité d'identités culturelles et religieuses, et ce, malgré la prédominance démographique des catholiques. Le Groupe de travail propose le remplacement des enseignements religieux catholique et protestant par un enseignement culturel des religions, dont le temps pourrait être partagé avec l'enseignement moral. De même, un service commun d'animation religieuse serait offert dans les écoles qui le souhaitent, en fonction de leurs besoins prioritaires. Il devrait être gratuit et accessible, pour les élèves de toutes les religions ou appartenances spirituelles.
Rappelons que dans son mémoire déposé récemment à la Commission parlementaire de l'éducation, la Faculté de théologie et de sciences religieuses dénonce la rupture radicale avec la réalité québécoise que proposerait, selon elle, le rapport Proulx. Bien que les professeurs de la Faculté abondent dans le sens d'une "évolution du projet éducatif en regard de l'enseignement moral et religieux, rendue nécessaire par le contexte", ils soulignent néanmoins que ce changement doit à tout prix s'effectuer en tenant compte du contexte historique du Québec. (voir le Fil du 23 septembre)